Redirection en cours...
PAGE D'ACCUEIL
Editions CARÂCARA
roman en vers
de
PRESENTATION
Indications :
Eudocie vécut de 394 à 461 ap.J-C. Fille d'un philosophe athénien (Léontius), elle portait le nom d'Athénaïs ("l'athénienne") mais reçut lors de son baptême le nom d'Eudocie ("la bien louable"). Très belle, elle épousa l'Empereur Théodose II (petit fils de Théodose I,dernier empereur de l'ensemble de l'empire romain : ses fils Arcadius et Honorius eurent respectivement la charge de l'Orient et de l'Occident ; rappelons qu'en 476 Rome fut prise par les Goths, prise mettant fin à l'Empire romain) et resta sa femme de 452 à 445. Amoureuse d'un certain Paulinus (à moins que ce ne soit pur prétexte), elle fut répudiée et se rendit alors à Jérusalem où elle se consacra à des oeuvres pies (envers les pauvres) et aux Lettres. Revenue en grâce auprès de son époux, elle décida de revenir à Jérusalem où elle mourut en 461 après avoir doté la ville de remparts.
Eudocie Athénaïs fut une fine lettrée, se passionnant pour un genre étrange, celui des Centons (en grec Iônia) : il s'agit de réécrire des textes sacrés en vers grecs et à partir de vers déjà exitants. On utilise par exemple les vers d'Homère que l'on fragmente pour qu'ils servent à raconter des épisodes de la Bible. Ainsi Eudocie traduisit en vers héroïques l'Octateuche (8 livres de la Bible : les 5 de Moïse, Daniel, Judith, Ruth). Il faut comprendre la surprise des gens de l'Antiquité, découvrant que la parole de Dieu, au lieu de se manifester dans une langue soignée et énigmatique comme l'étaient les oracles, s'exprimait en langue familière dans le monde hébreu. Leur désir dut dons d'aristocratiser ces textes.
Eudocie traduisit donc aussi La Vie de saint Cyprien, roman de l'antiquité tardive dont le succès était grand dans toute la Méditerranée. Il y eut deux saints Cyprien, l'un évêque de Carthage qui exista réellement et fut martyrisé sous Dèce, l'autre évêque d'Antioche qui appartient certainement à la fiction. Saint Grégoire de Naziance dans une de ces homélies les confond. L'évêque d'Antioche a donné lieu à une légende (plusieurs versions en latin, grec, copte, vieux slave). Un roman raconte ses aventures (cf. Les Romans grecs et latins, trad. P. Grimal, La Pléiade, La Confession de saint Cyprien, p. 1389-1413). Son histoire (cf. H. Delehaye, Cyprien d'Antioche et Cyprien de Carthage, in Analecta Bollandiana 39, 1921, p. 314-322) se présente en trois volets:
- la conversion : A Antioche, une jeune fille Justa (ou Justine) entend par sa fenêtre prêcher un diacre ; émue, elle se fait baptisée et fréquente assiduement l'église. Un riche païen Aglaîdas la demande en mariage, en vain. De désespoir, il s'adresse à un magicien : Cyprien qui fait apparaître des démons chargés de détourner la jeune fille de ses voeux. En vain. Cyprien étonné de la force du Christ invoqué par Justa décide de se convertir et se fait baptiser.
- la confession : Cyprien narre sa vie passée. Consacré à Apollon, initié à tous les mystères orientaux, à toutes les vertus des plantes, il voyagea en Egypte, chez les Chaldéens, capable de se métamorphoser en oiseau, en femme, il dut pour vaincre Justa évoquer un terrible démon qui fit s'abattre sur Justa et sur sa famille les pires maux et maladies. Inutilement. Cyprien reproche alors au démon son impuissance ; ce dernier se jette sur lui amis Cyprein se signe, ce qui le sauve. Il demande miséricorde à Dieu. L'Eglise le reçoit comme un des siens. Ilbrûle ses livres de magie.
- la passion : Eutolmius, comte d'Orient, est prévenu contre les chrétiens et entreprend une persécution. Justine est fouettée, Cyprien a les chairs raclés jusqu'à l'os. Ils demeurent insensibles. On les précipite dans de la poix bouillante. Miracle : cela les brûle pas. Un prêtre païen jaloux de ces pouvoirs veut montrer que s'il se jette dans un brasier, les dieux le protégeront. Hélas! Le feu le consume. On envoie les deux martyrs à l'empereur Dioclétien qui les fait décapiter. Une dame romaine leur donne une sépulture à Rome.
L'intérêt de ce roman est pour l'historien des mentalités évident. On y note l'importance de la magie dans l'Antiquité tardive, le conflit entre vielle religion et le christianisme, le besoin pour les élités intellectuelles de concilier la foi nouvelle avec les lettres antiques, l'émancipation féminine que le christianisme permet (les jeunes filles ont vu dans le christianisme une issue face à des mariages imposés, une sorte de liberté morale et physique ; qu'on se rappelle la forte mortalité des femmes accouchant), la naissance de l'hagiographie, de nouveaux thèmes littéraires, etc.
Eudocie a donc unifié ces trois parties en un poème en deux livres écrit en héxamètres (vers de six unités : dactyle ou une longue et deux brèves et spondée ou deux longues avec un dactyle obligatoire à la cinquième place). Poème écrit vers 440 de 322 vers pour la Conversion (le début est perdu) et de 479 pour le début de la Confession (Le Martyre n'est pas représenté : jamais écrit ? perdu ?). Ed. A. Ludwich, Eudociae Augustae Proclii Lycii Claudiani carminum reliquiae, 1897, p.24 sq. ou Bibliotheca Hagiographica Graeca 458-459. L'édition que nous suivons est celle l'édition de Migne tome 115 p. 828-864, basée sur un ms. grec à la médicéenne et munie d'une trad. latine en regard.
Notre traduction se veut conserver le caractère contourné de la langue (allitérations, archaïsmes, néologismes, tournures savantes, anacoluthes...) et opte pour un vers syllabique à peu près de quinze pieds. L'expérience est la suivante : se munir du roman publié en Pléiade et voir comment s'effectue la transformation épique. Il s'agit d'amener à une crise qui augmente la valeur des personnages et les rend partenaires d'un enjeu cosmique, il s'agit de redonner une formulation épique faite de répétitions formulaires ; il s'agit de développer certaines scènes, celles où l'on prendrait envie de connaître la vie de personnages annexes.
Le Livre II n'est pas encore prêt.
LE ROMAN EN VERS DE SAINT CYPRIEN
de l'Impératrice EUDOCIE ATHENAIS
Livre I ( début mutilé) :
1 ...Elle renvoya tous les jeunes gens, même vertement
Pour estimer le Christ seulement son amant et son maître.
Il fit s'amasser la foule assise sur les bancs royaux
Car de force il voulut déshonorer l'éclatante enfant.
5 Ceux qui faisaient escorte se mirent à crier très fort,
Et chacun, de sa demeure, avec des armes, accourut
Faisant fuir bientôt la troupe novice d'Aglaîdas.
Cependant il portait en son coeur une passion si pleine
Qu'égaré, ou aveugle, il enserrait la jeune fille.
10 Sans tarder, exécutant le signe victorieux du Christ,
Elle repoussa d'un coup le pervers, laboura de ses mains
Le visage d'Aglaïdas, et ses joues mangées de barbe,
Elle déchira ses beaux vêtements, et rendit à tous le rire,
Empruntant le même chemin que la divine Thécla.
15 Ainsi fait, elle se réfugia dans la demeure de Dieu.
Alors, de rage, il consulta un homme aux actions mauvaises,
Un adepte de la magie la plus impie, Cyprien,
Et lui promit deux talents d'or et autant d'argent brillant
Afin qu'il n'eût de cesse, par la contrainte, de séduire
20 Cette jeune fille, et qu'elle consente à son amour.
Sans idée de la force puissante du Christ sans faiblesse,
Le magicien s'apitoyant sur cet homme redoutable
Evoqua, par ses charmes, un démon mauvais et pervers.
Aussitôt surgissant: "Que me veux-tu?"dit-il . "Parle donc !"
25 Il lui dit : " Pour une jeune Galilléenne je brûle.
Elle a dompté mon coeur. Dis moi si toi-même, tu pourrais,
Sur mon lit, me la livrer, tant j'arde de ce désir."
Le démon, dans son imprudence, promit l'inespéré.
Cyprien encor interrogea cet Esprit de Vengeance :
30 "Raconte l'histoire de tes exploits que j'aie autant d'audace".
Il dit : " Jadis, j'étais, des Cohortes Célestes le chef
Mais je négligeais les ordres de mon Père et Souverain
Qui, les sept cieux de la terre domine ; ce que j'ai fait
Tu l'apprendras, je te dirai : les deux voûtes du ciel pur
35 Qui le fondent, par ma perversité, furent dissociés.
J'ai fait choir sur terre la troupe des habitants célestes.
Quant à Eve, mère de tout mortel, je l'ai abusée
Si bien que j'arrachai du paradis plein de joie Adam.
Moi-même, de CaÎn j'ai armé la paume fratricide.
40 J'ai versé le sang sur la terre ; le chardon a fleuri,
Récolte d'épines pour les hommes - voilà mon uvre.
Des apparences qui détournent de Dieu, je suis l'auteur :
Beautés trompeuses des femmes, faibles et vaines idoles
Que l'homme, ce naïf, adore et dont il est abusé,
45 Offrandes au taureau puissant dont j'ai instauré le culte.
Seul, j'incitai des violents à placer sur l'odieuse croix
Le Seigneur Souverain, le Fils tout puissant de Dieu, le Verbe.
Je renverse les cités et leurs murailles escarpées.
Pour chaque intérieur troublé de haine, je danse de joie.
50 Aussi, d'avoir uvré à tant et tant de maux infinis
Comment échouer auprès d'une fille même un peu fière?"
Cyprien dit à ce vil démon se rassasiant de maux :
"Prends cette drogue que tu verseras autour de la chambre
De cette vertu; moi-même, sous peu, je viendrai ensuite.
55 Je jetterai au fond de son cur le désir ancestral.
Dans son sommeil, elle cédera à ta passion brûlante."
Or cette virginale adolescente, face baissée,
A la mi-nuit même chantait les louanges du Dieu bon,
Mais dès lors du tréfonds, tout son corps chaste fut ébranlé.
60 Son cur comprit quel projet insensé avait le Pervers
Qui saupoudrait l'âtre de sourcils coupés en deux ; alors
Vite elle se souvint du Seigneur qu'elle désirait tant et tant,
Se signa toute entière, puis gémissante s'écria :
"Dieu glorieux, qui gouvernes tout, père d'un fils sans souillure,
65 Jésus Christ, toi qui, dans les séjours ténébreux de l'abîme,
As couvert de liens l'effroyable Monstre serpentueux,
Et délivré glorieusement ceux qu'il tenait enchaînés,
C'est toi qui as déployé la voûte étoilée de ta main,
Fixé Terre au milieu des molles surfaces du Chaos,
70 Offert des torches enflammées aux cavales du Titan,
Et un blanc attelage de bufs pour la lune nocturne,
Façonné à ton image celle de l'humain mortel,
Lui prodiguant dans ton vouloir la beauté du paradis,
- O Seigneur, tu le sauvas, dans ton cur plein de compassion,
75 Toi même quand il fut chassé de ces plaines aux beaux arbres
Sur les conseils de l'effroyable Monstre serpentueux.
Tu l'as, par la croix, tiré de la misère qui était sienne
Et au nom du Christ, tu l'as débarrassé de tous ses maux.
Grâce à Lui, la terre entière lourde d'hommes resplendit,
80 Le ciel se déploie tandis que le sol redevient appui
Et que s'écoulent les eaux ; pour tous les Eléments premiers
Tu es le maître qui Tout gouverne. Accours au secours
De ta servante, de toute ta force, que cet infâme
Mômos ne triomphe de moi ; pour Toi qui uvres sans peine
85 Je désire conserver à jamais ma virginité.
En mon cur, je T'ai tant accueilli, ô Jésus, ô très bon,
O Seigneur de grand renom ; car cette flamme consumante
De T'aimer,Tu l'as, en mon cur, allumée et inspirée.
Empêche alors que ta servante ne tombe sous le joug
90 De l'Odieux, de l'Inique, qui refuse Dieu et la vie,
Ne me laisse pas, ô Bienheureux, transgresser ton oracle
Mais éloigne de moi ce vagabond beau-parleur et fourbe."
Dès que sur chacun de ses points elle se fut expliquée,
Du signe divin elle s'arma, protégeant ainsi son corps,
95 Mit en déroute au nom du Christ ce démon nauséabond
Et se débarrassa de ce misérable sans vergogne.
Et le voici déconfit en présence du magicien.
Cyprien dit alors à ce démon : " Où se trouve celle
Que je t'ai ordonné d'amener ici sans un retard?"
100 Sa réponse fut on ne peut plus franche : "Ne cherche pas !
C'est un signe terrible que j'ai subi pour mon effroi."
Le magicien sourit, et confiant dans ses actions perverses,
Convoqua derechef un autre Bélarion monstrueux.
A Cyprien il déclara ; "Quels sont tes ordres ? Dis moi !
105 Quelle nouvelle perfidie ? Car mon père m'a envoyé
Pour alléger ta peine." Le magicien s'en réjouit
Et dit : " Démon, prends ceci, je vais tout te le donner
A verser comme philtre à cette vierge. Quant à moi
Je te suis, je songe abuser d'elle." Et l'autre s'en fut.
110 Que de vertu et d'honneur chez elle ! Au cur de la nuit,
Elle présentait au Seigneur cette prière sur ces lèvres :
"La nuit est à mi-course. Pourtant de mon lit je m'élance
Pour te faire part, ô très bon, des fautes que j'ai commises,
Sur le seul fléau de Ta Justice et de Ta Vérité.
115 O le meilleur des pères, source infini de tout pardon,
Toi qui ordonnas tout l'éther, toi qui secourus les cieux,
Toi que la terre redoute, pour avoir de ses fils rebelles
Détruit l'orgueil qui les couvrit d'opprobe ; ( certes Abraham
T'offrit un sacrifice qui fut comme une grande hécatombe).
120 C'est Toi qui renversas Baal, et le Serpent, fis mourir.
Et aussi, grâce à ton serviteur, le vertueux Daniel,
Tous les peuples de Perse connurent ta divinité,
Et grâce à ton fils puîné, le Christ, voici tout agencé
Pour le Bien, - sur le monde, tu as suspendu la Clarté -
125 Les morts sont conduits loin du deuil vers le jour réapparu !
Je t'en supplie, Seigneur, n'admets pas que je tombe en ces maux.
O Seigneur, protège mon corps : qu'il demeure sans dommage !
Accorde que l'éclat de ma virginité resplendisse !
Je rejoindrai le Christ, mon amant, dans la chambre nuptiale,
130 Et j'honorerai en retour les engagements promis.
A lui la Puissance, et l'Honneur, et la Gloire. Amen."
Telle se déployait sa prière lorsque le démon
Devant sa fierté s'enfuit piteusement, les yeux baissés,
Et devant le magicien allé, se tint. Mais Cyprien
135 Demanda : "Dis moi, démon, où est la vierge que tu dois
Sur mes ordres amener ?" Il lui répondit : "En vérité,
Le signe que j'ai vu m'a entièrement vaincu.
Chacun le craint. Il est puissant. De plus, rien ne lui résiste."
Alors Cyprien évoqua un autre esprit bien plus fort
140 - C'était le roi des démons, et le père des Mélanopes -
Il lui dit: "N'es-tu que faiblesse et veulerie pour céder ?"
Ce dernier, présomptueux, rétorqua : "Sous peu, je t'amène
Cette jeune vierge. Tiens toi prêt, le plus que tu sauras."
Mais Cyprien s'enquit alors : "Quel est le signe, dis moi,
145 Qui te rendra maître absolu de la victoire là-bas ?"
Il répondit: "D'abord je trouble ses membres par des fièvres,
Puis au septième jour, frappée de stupeur elle sera,
A la nuit venue, bien disposée à venir jusqu'à toi."
Et ce vil s'en fut au-devant de la pure jeune fille.
150 Endossant les vêtements et l'apparence d'une amie,
Sur sa couche, il s'assit et lui tint un propos fallacieux :
" Si je suis venue près de toi, dès l'aurore que voici,
C'est, tout à la joie de me rassasier d'amours virginales
- Car au vrai le Christ m'envoie - aux fins que tu me perfectionnes.
155 Mais, ma mie, dis moi ceci, quel est le prix qui récompense
L'amour d'une vierge, et quels bienfaits lui sont accordés.
En effet, je te vois émaciée, semblable à un squelette,
Te desséchant, démunissant ta table de l'humide."
La pudique jeune fille répliqua : " Rien de précieux
160 Ne nous couronne mais un prix plus grand nous accompagne."
Ce vil rusé remarqua : "Dans le jardin du Paradis,
Eve aux côtés d'Adam ne demeura point jeune fille
Mais de ces jours ultimes où elle s'unit à Adam
L'Homme Primordial, on la proclama Mère Universelle.
165 Par elle, toutes les races mortelles vinrent au jour.
Toute cette excellence, elle le sut." Ainsi donc Justa
Par le démon convaincue, s'apprêtait à quitter son seuil.
Satisfait, ce détestable marchait devant cet enfant.
L'Ennemi ruineux la jouait : voici qu'elle en eut conscience.
170 Vers la prière, elle se tourna, et son corps tout aussitôt
Elle signa, et ses lèvres émirent un long soupir.
Elle écarta ce démon maître d'opprobe de chez elle
Et s'allégeant un peu de son émoi, elle s'exclama :
" La grâce de l'Immortel, je le vois, a éteint ma fièvre."
175 Et sa prière disait : " Christ puissant, honneur à toi,
Traverse mon corps ; crainte de toi j'avais, je te vénère !
En ton équanimité prends pitié, donne moi la gloire
De porter ton nom." Quant à l'abject démon il s'en fut
Terriblement dolori se présenter au magicien.
180 Alors Cyprien lui jeta ces paroles injurieuses :
"Te voilà ! Tu as donc craint les yeux vifs de cette jeunesse !
Eh bien! dis moi quelle est la force de cette jeune fille !"
Cet esprit du Néant répondit : " Ne m'interroge pas !
Je ne saurai t'avouer quel est le signe que j'ai vu,
185 Car de dépit, d'effroi et de crainte, je me suis enfui.
Mais si tu veux le savoir, prête le grand serment, toi-même."
Et Cyprien de répliquer et de dire : " Quel serment
Jurerai-je ?" Il répondit ; " Jure que toute ton âme
M'appartienne et me serve." Ainsi Cyprien jura-t-il
190 De ne jamais abandonner cet orgueilleux. Plein d'audace,
Le démon lui dit : "C'est le sceau du Christ placé sur la croix
Que j'ai contemplé et fui en tremblant." Alors Cyprien
Demanda ; "Eh bien! dis moi, est-il vraiment plus fort que toi ?"
L'Adversaire reprit : "Ecoute moi, je te dirai vrai.
195 Tout ce que notre lâche scélératesse entreprendra
Et toutes les félonies qu'aux hommes mortels nous ferons,
Cela s'applique à chacun mais face à ce genre de vie
Se tord même le maillet durci au plein feu de la forge
Pour frapper l'airain ; en effet, si l'on commet peu de faute,
200 Un ange ou un homme, à ce signe, comme un messager,
Au pied du Christ posé sur la croix s'en va quérir l'appui."
Cyprien déclara : "Allons ! Sauve-toi ! Je cours mander
Son amitié ; la rapidité me convient ; je dirai
Aimer l'Amant de la Croix et un affront semblable au tien
205 L'exécrer". L'hideux démon : "Te soucies-tu d'être parjure
Après ce grand serment prêté ?" Cyprien : "Dis-moi, perfide,
La nature du serment, par moi, à toi, prêté." Il dit :
"De te soumettre à mes pouvoirs." Le magicien répliqua ;
"Ni toi ni tes perfidies, je ne redoute, scélérat,
210 Car cette nuit, j'ai appris de toi l'exacte vérité
Et ce, grâce aux suppliques et prières d'une vierge,
Et ce, grâce à la Croix puissante ; car toi, tu es sans force.
Moi, maintenant, sur mes membres, je convoquerai ce signe
Victorieux, que toi-même tu reconnais si souverain.
215 Je dédaigne ton amitié et tes conseils m'indiffèrent."
Dès l'envol de ces paroles, au Christ il rendit hommage,
Chassa le terrible démon de ces mots : " Eloigne-toi !
Je m'enquiers du Christ." Décontenancé, le démon partit.
Alors Cyprien amassa ses livres de magie noire
220 Et les fit porter par de robustes jeunes gens jusqu'à
La maison de Dieu l'Insouillé, et lui même il suivait.
Là, après s'être prosterné aux pieds du prêtre si pieux
Nommé Anthime, il se redressa, disant ; "Serviteur
Je choisis d'être, dans l'armée du Christ Eternel et Pur
225 Et d'enrôler mon coeur au saint Papyrus." Mais courroucé,
Le prêtre lui répondit : " Dehors, vilain, écarte-toi !
Les vilenies que tu concoctas ne te suffisent plus ?
Nous les repoussons. Alors va-t-en loin de l'enclos royal.
Dieu est Tout-Voyant et sa puissance demeure invincible."
230 Cyprien répliqua : "Mon esprit a, lui aussi, compris
Que la puissance du Christ possède une grande force.
Car la nuit dernière, j'ai, à une vierge respectable,
Envoyé des démons odieux pour que, dans des liens trompeurs,
Ils s'emparent de l'esprit de cette pieuse vertueuse
235 Qui s'en douta, et par la prière et le signe du Christ
A triomphé puissamment. Souffre donc de prendre pitié,
Pardonne à qui te supplie, ô meilleur des mortels, accepte
Ces livres qui m'ont servi, criminellement, tant de fois,
Et dans le feu, jette-les ! Il faut prendre en pitié mon âme."
240 Le prêtre fut convaincu, prit les livres, tous les brûla,
Doucement le congédia, par des paroles élogieuses,
Moult pacificatrices, qu'il irait en l'enclos de Dieu.
Alors Cyprien jusqu'à ses demeures s'en retourna,
Réduisit en cendres les vains simulacres de bois
245 Et flagella son corps dans l'obscurité de la nuit.
Et il disait : " Moi, devant les paupières du Christ paraître?
J'ai accompli tant de maux ! Comment pourrais-je louer Dieu
De ces mêmes lèvres miennes qui viennent de parjurer,
Après les avoir invoqués, ces démons de perdition ?"
250 Et dispersant la cendre au sol, il mandait à Dieu pitié
En silence, face à terre, car tremblant de parler fort.
Mais lorsque vint à resplendir Aurore aux coudées de rose,
C'était le Grand Samedi, fleurissant au vrai pour chacun.
Alors, néophyte, de s'avancer au rassemblement
255 Honorable du Dieu si grand, et parmi eux de prier :
"Seigneur, si je mérite d'être ton serviteur, écoute,
Donne moi qui vais dans tes palais, d'entendre une parole
Des Livres Enluminés, quelque présage auspicieux!"
Et tandis qu'il s'avançait sur le seuil du temple, David
260 Divin rejeton d'Isaac, dit : "Veille à me soutenir
O Dieu puissant, sans me tenir loin de toi, à mon insu."
Ensuite le grand prophète Osée prononça ces paroles
Inspirées :" Allons! Si l'Enfant n'advient pas !" Puis à son tour,
Le fils de David déclara haut : "Mes yeux ont devancé
265 Le luminaire qui, dès le point du jour, pourfend la nuit,
Afin, sans cesse, de suivre tes paroles toutes saintes."
Isaïe, de son côté, disait : "Que jamais l'effroi n'ôte
Ton courage, mon enfant, toi Jacob que je chéris tant
Et que j'ai choisi comme chef des peuples avoisinants."
270 Et Paul inspiré déclarait ceci : "Le Seigneur lui-même
Le Christ nous a achetés, soustraits à la première loi
Celle de la malédiction périlleuse." Puis David
Hypophète, excellent citharaède : "Qui peut connaître
La force infinie de Dieu, aux oreilles de tous chanter
275 La gloire du Tout-Voyant ?" Suivit le Livre du Seigneur
Et ses paroles sacrées, suivit encor l'exhortation
Du prêtre ; ensuite l'aveu de la foule retentit :
"Mortels imparfaits encor, hors du temple de Dieu sortez!"
Le doux Cyprien demeurait en silence sur les marches
280 Quand un certain Astérios, diacre de son état, lui dit :
"Hors du mégaron royal !" Cyprien lui dit en retour :
"Du Christ crucifié, je suis servant. Pourquoi, à l'extérieur
Me chasser ?" De rétorquer le diacre : "Mais toi, à vrai dire,
Tu es loin d'être un parfait serviteur du Dieu Tout-Puissant."
285 Lui de reprendre ainsi ; " Dieu possède la vie éternelle.
C'est lui seul qui révéla l'uvre perfide des démons,
Qui sauva cette vierge, et eut de mon coeur compassion.
Partir loin de ses demeures, comment en aurais-je le droit,
Tant que je ne serais pas, dans la foi du Christ, initié ?"
290 L'enfant de Dieu le sachant courut aussitôt vers le prêtre
Emporter la nouvelle, lequel fit venir Cyprien
Son voisin qu'il sermonna par bien de sévères reproches,
L'interrogeant sur ses actes, puis il loua abondamment
Les uvres répandues de Dieu, et leur élan dans le monde.
295 Et puis dans les bains lustraux et divins il le purifia.
La huitième aurore vint. Il obtint de lire les Livres
Très saints concernant le Christ ; ensuite au vingt cinquième jour,
Humble, insigne infime, il gravit le degré de diacre
Et se tint aux entrées du saint des saints, lieu d'adoration.
300 Le cinquantième jour vint. Alors seulement il fut digne
De son diaconat ; ensuite, avec ardeur, il dompta
Les phalanges démoniaques, criminelles, sans vergogne.
Il chassa les funestes maladies des membres mortels,
Il amena dans le troupeau du Christ de nombreux fidèles
305 Qui détruisirent leurs idoles malveillantes, insanes.
Mais lorsque l'année prit fin, il lui fut obtenu le droit
De siéger comme prêtre. Ensuite dix ans s'écoulèrent.
Sur le lit propre aux Anciens de l'Assemblée, il s'étendait
Et lorsque le bienheureux Anthime, évêque si bon,
310 Homme sacré, convoqua ses fidèles qui l'entouraient,
Il tint, en cette place du Christ, des propos sapientiaux.
Et encor en vie, à Cyprien il offrit sa cathèdre.
Peu de temps après, Anthime donc s'en alla vers le ciel
Et pasteur de ce troupeau, il le remit à l'admirable
315 Cyprien, chargé de la brillante demeure de Dieu,
Lequel accorda l'honneur d'être diaconesse à la vierge.
Jamais plus ne l'appelant Justa, il lui donna le nom
De Justina la pure ; il en fit la mère de celles
Qui se consacrent au service du Christ dès leur enfance.
320 Il sauva de nombreux hommes aux croyances pernicieuses
Les exhortant d'aimer le Christ, par ses efforts les menant
Au troupeau du Tout-Puissant Seigneur. A lui la gloire amen.
LIVRE II (en préparation)