Mahâbhârata
Le Livre des Femmes (Strîparvan)
Livre XI
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Ce livre se situe immédiatement après la fin de la grande bataille qui a ravagé les deux camps. Dhritarâshtra se désespère. Successivement Samjaya, Vidura et Vyâsa vont s'essayer à le consoler. Toutes sortes d'arguments lui sont présentés :
Des milliers de pères et de mères, des centaines de fils et d'épouses sont brassés par les réincarnations successives. De qui sont-ils les enfants ? De qui sommes-nous les enfants ?
Mille causes de chagrin, cent motifs de crainte, chaque jour, pénètrent l'insensé, jamais le sage.
Personne n'est l'ami du temps, ni son ennemi. Le temps jamais ne s'arrête en chemin, le temps entraîne tout.
Ephémères sont la vie, la beauté, la jeunesse, l'accumulation des biens, la santé, la fréquentation des êtres chers : un sage ne les convoite pas.
Et comme un leitmotiv, apparaît le thème de la réincarnation :
Le poids de nos actes nous vaut des au-delà bons et mauvais, ô Bhârata. Et, qu'il le veuille ou non, chacun porte ce fardeau.
Certains pots d'argile, encore sur le tour, vont à mal tandis qu'on les façonne ou qu'ils sont tout juste achevés,
Certains se brisent quand on les ôte du tour, ou qu'on les pose, humides ou secs, ou pendant la cuisson,
Ou quand on les retire du four, quand on les transporte ou quand on s'en sert : il en va de même de nos corps de mortels.
Encore embryons, à peine nés, âgés d'un seul jour, de quinze jours ou de tout juste un mois,
Agés d'une année ou de deux, dans leur jeunesse, leur âge mûr ou leur vieillesse, ils vont à mal.
Les actes antérieurs déterminent la naissance et la mort des êtres. Le monde est ainsi fait, pourquoi souffres-tu ?
De même que certains en nageant s'amusent à plonger dans l'eau et à en ressortir,
De même, enchaînés par le poids de leurs actes, les hommes plongent dans la jungle de la réincarnation et en ressortent. Seuls les insensés s'en plaignent.
Et, à l'occasion, est donnée cette image très célèbre de ce qu'est la vie de l'homme au cours de ses réincarnations, soumis à toutes sortes de périls, mais attaché aux plaisirs de la vie:
On raconte qu'un brâhmane, retombé dans l'immense cycle des réincarnations, se trouva dans une forêt impénétrable, regorgeant de grands fauves,
Infestée de tous côtés par des lions, des tigres, des éléphants par milliers, terribles et affamés, faisant peur à la mort elle-même.
A cette vue, son coeur tomba dans une détresse extrême. Il se troubla et ses cheveux se dressèrent sur sa tête.
Il parcourut cette forêt, courant de-ci de-là, cherchant de tous côtés, se demandant : « Où me réfugier ? »
Tremblant de peur, il fuyait, cherchant à se glisser entre les fauves, mais il ne pouvait s'éloigner ni leur échapper.
Il découvrit que de tous côtés des filets encerclaient cette forêt sinistre et qu'une femme gigantesque l'enserrait dans ses bras.
Cette forêt était cernée par des serpents à cinq têtes, hauts comme des montagnes, hauts comme des arbres énormes touchant le ciel.
Au milieu de la forêt, il y avait un puits obstrué de lianes dissimulées sous des touffes d'herbe.
Le brâhmane tomba dans ce puits masqué, et resta suspendu dans ce conduit tissé de lianes.
Il pendait là, la tête en bas et les pieds en l'air, comme un gros fruit d'arbre à pain accroché à son pédoncule.
Et même là, il lui arriva encore un malheur : il vit au fonds du puits, un énorme serpent, et au bord de la margelle un grand éléphant,
Possédant six têtes et douze pattes, tacheté de noir, qui s'approchait peu à peu de ce puits caché par les arbres et les lianes.
Dans les branches de la liane à laquelle il était suspendu, habitaient toutes sortes d'abeilles sauvages qui le terrifiaient. Elles avaient déjà récolté leur nectar.
Sans trêve, elles sécrétaient ce miel, savoureux pour toutes les créatures. Il n'y a pas que les enfants à l'aimer, ô vaillant Bhârata !
De partout coulaient sans cesse des ruisseaux de miel. Cet homme, suspendu, buvait à tous ces ruisseaux et, dans ce péril, boire n'apaisait pas sa convoitise.
Insatiable, il en désirait toujours plus ! Il n'était pas détaché de l'existence,
Et même dans cette situation, le désir de vivre était enraciné en lui. Des rats blancs et noirs rongeaient la liane à laquelle il était suspendu.
La peur des fauves, la peur de la femme terrible à l'orée des bois, la peur du serpent au fonds du puits et de l'éléphant près du bord,
La peur que la liane ne tombe à cause des rats, voilà ses cinq peurs, dit-on. Mais la sixième, la plus grande, c'était la peur des abeilles jalouses de leur miel.
Et pourtant, même là, dans cette situation, rejeté dans l'océan de la réincarnation, il n'était toujours pas détaché de l'existence !
avec l'explication de cette parabole :
La grande forêt vierge dont il a été question, c'est la réincarnation. Cette forêt est dangereuse en effet, comme la jungle de la réincarnation ici-bas.
Les bêtes sauvages qu'on a montrées, ce sont, d'après les sages, les maladies, et la femme gigantesque qui domine la forêt, ils disent que c'est la vieillesse qui détruit le teint et la beauté.
Le puits qui se trouve là, ô roi, c'est le corps de ceux qui se sont réincarnés. Le grand serpent au fond, c'est la mort, la fin de tous les mortels, celle qui emporte tout.
La liane au milieu du puits, à laquelle l'homme est accroché, c'est le désir de vivre des mortels.
Ils disent que l'éléphant à six têtes au bord du puits, qui s'approche sournoisement de la liane, ô roi, c'est l'année : ses six têtes sont les saisons, ses douze pattes les mois.
Ils disent que les rats qui s'emploient constamment à ronger la liane, ce sont les jours et les nuits des êtres vivants.
Les ruisseaux de miel qui coulent nombreux, il faut savoir que ce sont les plaisirs et les désirs où se plongent les hommes.
Les sages qui comprennent que la roue de la réincarnation fonctionne ainsi, brisent les chasînes qui les attachent à cette roue.
Les fils de Pându rejoignent Dhritarâshtra, et tout le monde se rend sur le champ de bataille. Description du carnage, lamentations des femmes. Gândhârî, l'épouse de Dhritarâshtra se lamente sur chacun des morts et maudit Krishna de ne pas avoir empêché ce massacre, lui qui en avait le pouvoir :
Par les mérites que j'ai acquis en servant mon époux, par ces mérites si difficiles à obtenir, je te maudis, ô porteur du disque et de la massue !
Puisque tu a laissé des parents, les Kaurava et les Pândava, s'entre-tuer, tu tueras tes propres parents.
Dans trente-six ans, tes parents, tes amis, tes fils mourront, tu erreras dans la forêt, Madhusºdana (Krishna), et y subiras une mort peu glorieuse.
Les femmes de ton peuple pleureront leurs fils, leurs parents et leurs proches comme les femmes des Bhârata.
Le livre se termine par les rites funéraires offerts pour les victimes du massacre.
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