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Editions CARÂCARA


MISSOLONGHI

1830 - 1990

traduit du grec moderne par Yves Le Mahieu

photographies de Georges Kokossoulas

Georges KOKOSSOULAS


PRESENTATION

 

Georges Kokosssoulas

est né à Missolonghi en 1926. Après des études de Sciences Politiques, il a travaillé au Pirée où il s'est occupé de la gestion et de l'organisation des activités portuaires. Plusieurs de ses travaux ont paru dans le "Courrier économique" avant d'être rassemblés en un volume.

Mélomane fervent, il a traduit en grec plusieurs ouvrages de Romain Rolland relatifs à la vie et à l'oeuvre de Beethoven.

Il a consacré une grande partie de son temps libre à l'étude de sa vie natale : Missolonghi. C'est ainsi qu'il publie en 1990 "Missolonghi 1830-1990". En voici la traduction.

G. Kokossoulas s'est depuis attaché à faire revivre des personnalités oubliées mais attachantes de sa ville, comme le poète Mimis Libérakis (1880-1967) dont il a rassemblé poèmes, articles, traductions et correspondance. Dernièrement, il a publié le journal rédigé par son père lors des guerres balkaniques (1912-1919).

Photographe et collectionneur passionné, il a publié plusieurs clichés dans les catalogues annuels "Grèce" de l'Office National Hellénique du Tourisme, et collabore aux journaux locaux.

"Missolonghi 1830-1990" :

Cet ouvrage luxueux est conçu selon un parcours topographique, comme une analyse urbanistique et architecturale. Les transformations successives de la cité y sont décrites au travers des innovations techniques telles que digues, chemin de fer, ou creusement d'un port. L'auteur nous donne des notes érudites sur l'histoire de certains documents, sur la vie quotidienne, sur les petits métiers. Des textes littéraires d'auteurs locaux, des poèmes, des coupures de journaux évoquent des moments ou des lieux disparus, la pompe des fêtes locales.

De plus, cet historien minutieux a su insérer au fil des pages de son album des études spécifiques dues à plusieurs de ses amis écrivains.

Enfin, cet album est illustré de plus de six cents photographies en noir et en couleurs : les Editions Carâcara ont été amenées à opérer un choix regrettable car difficile (certaines sont intégrées au texte, d'autres sont dans Photographies) pour ne pas alourdir le téléchargement de l'internaute mais le livre en grec de M. G. Kokossoulas est disponible chez son auteur : G. Kokossoulas, 3 Papoula, 30200 Missolonghi Grèce. Ces photographies et cartes postales sont parfois anciennes et très rares comme celles de la collection de M. Georges Taxiarchis qui est publiée dans cet ouvrage pour la première fois. Des clichés plus récents nous donnent souvent à voir des architectures disparues ou des scènes du passé.

Missolonghi ?

"Frères, Missolonghi fumante nous réclame,
Les Turcs ont investi ses remparts généreux"

écrivait Victor Hugo en 1829 dans un célèbre poème des "Orientales". Cette petite ville de l'ouest de la Grèce, qui compte actuellement une quinzaine de milliers d'habitants, est en effet connue pour avoir soutenu plusieurs sièges contre les Turcs lors de la guerre d'indépendance en 1821-1826. C'est la sortie (ou "Exodos") désespérée de la garnison de la ville, assiégée et affamée, dans la nuit du 10 au 11 avril 1826, qui amena les Puissances Européennes à se soucier du sort des Grecs. L'année suivante, une coalition anglo-franco-russe détruisit la flotte turco-égyptienne dans la baie de Navarin le 20 octobre 1827. L'indépendance grecque sera acquise en 1830.

La libération de la Grèce avait d'ailleurs suscité dans toute l'Europe un mouvement de sympathie qui s'exprima par des collectes ; bientôt affluèrent des volontaires qui prirent part aux différents combats contre les Turcs. Lord Byron, chargé de convoyer l'or recueilli par le Comité anglais, débarqua à Missolonghi en janvier 1824. Il mourut de fièvres le 19 Avril suivant. Sa mort eut un fort retentissement en Europe : Delacroix, qui avait peint "Les Massacres de Chio" en 1822, composa "La Grèce pleurant sur les ruines de Missolonghi" et David D'Angers sculpta une "Jeune fille grecque" qui fut exposée au Salon de 1826.

Au cours du XIXème s. , cinq premiers ministres originairesde cette ville gouvernèrent le pays ; nombre d'écrivains et de poètes, dont le plus célèbe fut Kostis Palamas (1859-1943) ont eu à coeur de célébrer MIssolonghi dans leurs oeuvres.

La lagune qui baigne la ville au sud a été partagée en deux à la fin du XIXème s. par une digue qui relie la ville à la mer. Les pêcheries produisent diverses sortes de poissons, des anguilles ainsi qu'une poutarde renommée. En deux endroits sont établies des salines. Les îlots qui parsèment la lagune jouèrent un rôle important dans la défense et l'approvisionnement de la ville lors des sièges. Et le livre de G. Kokossoulas nous apprend que le coucher de soleil sur les eaux miroitantes caressées par le vent du soir reste un spectacle inoubliable.

Dans la partie nord de la ville, à l'intérieur du tracé des anciennes fortifications se trouve l'Héroon ou Jardin des Héros. Ce parc agréablement arboré renferme la tombe de tous les combattants anonymes ainsi que les sépultures des grans héros de l'indépendance. Le tombeau le plus célèbre est celui du capitaine souliote Marcos Botzaris, tombé dans les montagnes de Karpénission en août 1823 et enterré ici. Une statue a été dressée en hommage à Lord Byron et aussi aux Phillènes. La visite de ce haut-lieu permet de

C'est, entre autres aspects, ce passé romantique et historique capital que le livre de G. Kokossoulas nous convie de découvrir grâce à un repérage des lieux et des vestiges de cette époque héroïque.Missolonghi veille par ses fêtes de l'Exodos chaque année à en perpétuer la mémoire. L'imaginaire grec moderne prend sa source dans de tels événements et l'historien de la Grèce actuelle y trouvera une clef précieuse à la compréhension de cette nation pour laquelle les personnages de la Grèce antique mentionnés dans les manuels sont de pâles figures auprès de ces héros fondateurs de la Grèce moderne.

Un musée municipal rassemble tout ce qui se rapporte à l'histoire de la ville et aux traditions locales. Des demeures néoclassiques, dont certaines ont été récemment rénovées, donnent un charme un peu suranné aux rues qu'elles bordent. Et il ne faut pas manquer, le soir, la promenade traditionnelle des grecs tout au long de la rue centrale.

Notes sur la traduction

Si la traduction d'une langue dans une autre offre toujours quelques difficultés, le problème se complique lorsque l'on s'intéresse à une ville ou à une région dont la spécificité s'exprime au moyen d'un dialecte. De l'aveu même de son traducteur, M. Yves Le Mahieu, la présence de la lagune et le poids de l'Histoire ont généré un vocabulaire particulier et des expressions dialectales inconnues ailleurs. Même si les brassages de population et l'influence de la télévision uniformisent le parler de tous les jours, M. Y. Le Mahieu note l'existence d'un vocabulaire original, ne serait-ce que déjà dans les textes littéraires ou poétiques. On sent bien à ce propos que leurs auteurs ont pris plaisir à utiliser "les mots de la tribu" de préférence à ceux de la nation, chaque fois qu'ils le pouvaient. Le traducteur nous signale une publication faite par Mme Acacia Cordossi, professeur de français à Missolonghi, connue également comme auteur de nouvelles et de romans, à savoir un glossaire du parler missolonghien (Prix de l'Académie d'Athènes en 1979). Mme A. Cordossi a d'ailleurs collaboré à l'album de G. Kokossoulas avec une étude de l'oeuvre du peintre populaire Tassos Mantas (première moitié du XXème s.) : cf. XII Tassos Mantas, le peintre (premier catalogue raisonné de son oeuvre).

 

En conclusion, l'ouvrage de G. Kokossoulas constitue à la fois une contribution irremplaçable sur le plan historique et une collecte très finement faite d'études et d'analyses relatives à "cette ville qui est la nôtre", à nous tous européens, selon une expression chère à l'auteur.

 


MISSOLONGHI

1830 - 1990

par GEORGES KOKOSSOULAS

A LA MEMOIRE DE MA MERE

 

 

SOMMAIRE :
I - Lecture de Missolonghi par un français (Y. Le Mahieu)
II - Missolonghi, poème de Righas Golfis
III - Prologue (Spiros A . Kaninias)

IV - a Parcours 1 "MISSOLONGHI 1830 - 1990 " : PORTRAIT D'UNE VILLE (Georges KOKOSSOULAS)
- Plan ancien de la ville
-
Les interventions sur le milieu naturel
- Vagabondage dans un espace urbain
- Retour en 1830
- La période des maisons en pierre taillée
- Les bâtiments néo-classiques et les dernières maisons en pierre
- Les maisons traditionnelles et les cabanes de pêcheurs (péladès)
- Les interventions sur l'espace urbain et leurs conséquences néfastes
- Les habitants et leurs métiers
- Missolonghi et les autre
- Perspectives d'avenir

IV- b Parcours 2 (Georges Kokossoulas):
1. Etymologie
2. Le Jardin des héros
3. Le Monument de Markos Botsaris
4. Célébration de l'Exodos
5. M. Libérakis, poète - Vêpres

PHOTOGRAPHIES (galerie)

DOCUMENTS

V- Lettres et poèmes de K. PALAMAS
VI - Klissova (André Carcavitsas)
VII - La fin du moulin à vent (Costis Palamas)
VIII - Poèmes (Mikos Malakassis - Marceline Desbordes-Valmore- G. Drossinis- C. Palamas)
IX - Service de deux ans, souvenirs d'un officier de réserve
La Cousine
(Antonis C. Travladonis)
X - "Ville sacrée" (I. M. Panaghiotopoulos)
XI - Poèmes, récits et lettres (M. Libérakis, A. Karkavitsas, C. Palamas, Ch. Tricoupis,Y. Blachoyannis, J. Black, M. Malakassis, Sp. Kaninias)
XII - Tasos Mantas, le peintre (A. Cordossi) ; Phinikia (A. Cordossi)
XIII - Le lac de Missolonghi (Sp. Tricoupis) ; Rêveries aux salines (Tassos Ghiannaras).
XIV - Remerciements

 


LECTURE DE MISSOLONGHI

par un Français.

 

Si Missolonghi occupe une place éminente dans l'histoire de la Grèce moderne, on s'intéresse généralement peu à son devenir au-delà de la période glorieuse de 1822 à 1826.

Elle offre pourtant, surtout à partir des années 1855-1860, nombre d'aspects remarquables, non sans cesser d'ailleurs de figurer en bonne place dans l'histoire de la nation. Cette présence cependant n'est plus celle de l'héroïsme et du sang, mais celle qui s'inscrit dans un cadre politique et littéraire.

D'un point de vue politique tout d'abord, cinq Premiers Ministre originaires de Missolonghi dirigent le pays entre les premières années de l'indépendance et la fin du siècle.

Sur un plan littéraire ensuite, deux grands écrivains grecs, C. Palamas et M. Malakassis, l'ont célébrée. Autour d'eux gravite une pléïade d'hommes de lettres dont plusieurs seront évoqués dans ces pages.

Il est donc possible de faire un rapprochement entre l'importance de la ville à cette époque et ses réalisations architecturales, son développement au cours de la deuxième moitié du XIXème siècle.

Mais qu'est-ce que "Missolonghi", après les années noires de l'occupation turque et les ruines de l' "Exodos" ?

Le peintre orientaliste Marc-Gabriel Gleyre (1806-1874) traverse la Grèce au cours de l'année 1834 avant de regagner la haute Egypte. Il note dans son journal de voyage: "Ruines de Missolonghi. Des marais, une grande plaine ; l'endroit où sont enterrés Lord Byron et Marc Botzaris ; pas même une pierre pour l'indiquer ; des maisons en chaume ; une fontaine ; sensation de mort d'une réalité effroyable". Ces rapides notes d'un voyageur expriment l'idée d'un vide à combler, la nécessité d'une reconstruction. Cela sera réalisé un quart de siècle plus tard, en 1860, date à laquelle il est matériellement possible de se rendre compte de la densité du tissu urbain.

Il convient donc de présenter ce "Portrait d'une Ville": composé de textes et de nombreuses photos, c'est une analyse topographique et chronologique des transformations de la cité, de 1860 à 1960. C'est aussi une chronique détaillée de la vie des habitants à travers les événements marquants et le quotidien.

Le premier temps fort de l'ouvrage nous présente, à partir d'un ancien plan daté de 1860, l'extension du périmètre urbain ainsi que les altérations qui en résultent. En 1860 donc, la zone de densité bâtie maximum se situe, comme l'auteur nous le fait remarquer, sur un axe reliant l' Héroon àAgios Spiridon. Si certaines rues actuelles recouvrent un ancien tracé, d'autres qui sont importantes aujourd'hui n'existaient pas en tant que rues à l'époque.

Quatre innovations majeures ont façonné la physionomie contemporaine de la ville.

Tout d'abord la construction du boulevard extérieur, à l'ouest des habitations, pour les protéger du flot maritime hivernal. Cette digue, qui porte maintenant le nom de boulevard de Chypre, joua un rôle de premier plan comme lieu de promenade très prisé, à l'époque où le paysage qui lui faisait face était encore très harmonieux. On s'y reposait, on y fréquentait de pittoresques petits cafés.

De 1874 à 1881, un nouvel aspect fut donné à la périphérie et une nouvelle topographie à la lagune: l'implantation de la route vers Tourlida divisa l'étendue lagunaire en une partie close, Klissova, à l'est et l'espace marin libre à l'ouest. Des arches ménagées sous la route permettaient la communication des eaux. Cette digue devint aussi un lieu de promenade ; un concert avait lieu sur l'esplanade proche, chaque jeudi, tandis qu'un cinématographe muet était installé un peu plus haut.

Une troisième modification touchera cette fois le quartier nord-est de la ville en améliorant le mode de vie des habitants: la station de chemin de fer d'intérêt local, construite sur l'emplacement d'une partie du rempart historique, desservait Agrinion, Krionéri, puis Etoliko et Katochi. Un embranchement menait vers la place centrale et un autre vers les installations du port.

Celui-ci constitua le projet économique majeur, réalisé au début des années 1930. A noter qu'autrefois les navires abordaient à Agios Sostis. De là, leurs voyageurs et leurs cargaisons étaient transportés par caïque à travers le chenal, au milieu de la lagune, jusqu'au "Quai", comme l'on disait alors. Plus tard (après l'implantation de la route mentionnée) ce mouvement fut déplacé à Tourlida et ensuite à Krioneri. La relation maritime entre Krionéri et Patras et d'autres ports, desservie dès 1891 par le chemin de fer, a définitivement cessé avec la suppression (juillet 1970) de la ligne ferroviaire.

Mais le creusement du port a anéanti le site jusque-là préservé de la petite île "Anémomylos", et l'amas énorme des produits du dragage est venu combler les portions de la lagune déjà isolées depuis la réalisation du boulevard extérieur. Ces terrains ont été bâtis vers 1950-1960, tandis qu'une reprise des travaux du port en 1972-1973 compartimentait la lagune au moyen de digues, entraînant aussi l'assèchement de la bordure nord de Klissova. L'évolution subie par le milieu naturel est également sensible à travers la typologie des habitations et autres bâtiments.

Ce "Portrait d'une ville qui est la nôtre" révèle un deuxième centre d'intérêt, la lecture des modes de construction durant un siècle. C'est en fait une promenade historique mais aussi topographique, à laquelle l'auteur nous convie: souvenirs du temps révolu avec l'évocation de la maison de pêcheurs, la "pélada", posée sur pilotis au milieu de la lagune ; elle a complètement disparu ainsi que le mode de vie auquel elle était intimement liée. Les maisons traditionnelles, longues et étroites, faites de bois et d'une charpente maçonnée n'existent quasiment plus ou ont été totalement remaniées. Leur originalité résidait dans un balcon couvert, en bois, formant auvent, et élevé du sol au toit. Dans cette sorte de loge couverte ou galerie-fenêtre nommée "Montzos", située à l'étage tandis qu'une cave ouverte au niveau du sol était réservée aux usages domestiques.

La première génération des maisons en pierre, constructions sobres et de réalisation soignée, présente des encadrements, de portes et de fenêtres, en pierre, en forme d'arc, des balcons aux planchers et consoles en pierre de taille, des balustrades de fer forgé. Les portes cochères sont surmontées d'un fronton à arcade. Ce style d'habitation date des années 1850, il a été introduit ici par des maçons épirotes.

Vient ensuite la période néo-classique, très bien représentée à Missolonghi dès 1880, et caractérisée par une décoration plus ou moins poussée des façades, l'utilisation du marbre pour la confection des balcons et des consoles, la présence fréquente d'un fronton. Ce style correspond à une époque de grande prospérité économique.

Du début du XXème siècle jusqu'à la fin des années 1950, on bâtit encore en pierre, en recherchant des lignes simples mais esthétiques. Des matériaux nouveaux comme le ciment ou les poutrelles de fer font leur apparition.

Depuis 1960 environ, le béton armé a remplacé les anciennes techniques de constructions et les matériaux traditionnels.

Cette présentation chronologique est accompagnée au fil du texte d'une analyse des plus beaux édifices de chaque période avec leur situation précise. Mais une telle promenade topographique montre également les erreurs des restaurations hâtives ou hasardeuses, comme le placage de matériaux nouveaux sur des bâtiments anciens, le passage à la chaux ou à l'enduit de pierres de taille soigneusement agencées, et tous les manques imputables aux fautes de goût ou au souci d'une rentabilité immédiate.

Cependant quelques restaurations qui ont été très bien menées sont également signalées ; effort qu'il convient de faire connaître et d'intensifier, puisque seule l'architecture témoigne visiblement de la volonté des hommes de fonder un espace commun et durable où s'exercent à la fois leur vitalité et leurs capacités créatives.

Cette vitalité fut nécessaire dès 1830 pour reconstruire la ville dévastée, l'embellir selon les normes du temps, l'agrandir afin qu'une population nouvelle puisse s'y installer. Peu à peu, dans les années qui suivirent "l'Exodos", habitants et réfugiés redescendaient des montagnes et des villages voisins pour s'établir à nouveau chez eux.

Il fallut faire venir un architecte des îles ioniennes, utiliser le savoir-faire des maçons épirotes et eurytaniens, reconstruire églises, écoles et autres bâtiments publics, demeures des particuliers.

De fait, et la guerre d'indépendance l'avait bien montré, la cité bénéficiait d'une position clef au carrefour de la Grèce occidentale, ce qui en faisait un passage obligé, y compris pour qui venait des îles ioniennes. D'ailleurs les relations entre l'île de Céphalonie en particulier et Missolonghi, ont été constantes au cours des siècles: activités liées au commerce ou à la construction navale, mais aussi liens politiques et administratifs, puisqu'au cours de son histoire trois céphaloniens furent maires de Missolonghi.

La poussée démographique est forte et constante durant plusieurs décennies: nombre d'habitants d'autres lieux, des réfugiés de Smyrne (et de Russie) viennent aussi s'établir ici. Ils apportent leurs métiers et leur savoir-faire, des idées nouvelles.

Bien souvent une origine géographique définie conditionne l'exercice de telle ou telle profession, par tradition. L'auteur nous donne d'ailleurs une analyse pénétrante des différents corps de métiers considérés dans leur appartenance à diverses îles, villes ou villages, avant leur émigration à Missolonghi. Cette typologie démontre le rôle de creuset qu'a joué la ville, au cours de son histoire récente, en liant des populations d'origines et d'occupations très diverses.

Le milieu naturel, l'urbanisme et l'architecture, le cadre de la vie quotidienne, ont fait de Missolonghi un lieu privilégié au cours de la période qui nous occupe. L'originalité de ce "Portrait d'une ville" est constamment soutenue par la précision du style, quand il s'agit de décrire les aspects divers des édifices, par exemple. Les dons narratifs et poétiques de l'auteur lui permettent de faire revivre des scènes de la vie de tous les jours mais aussi de célébrer la beauté des paysages disparus.

Au-delà de la magie des mots, la richesse de l'illustration nous laisse imaginer ce monde que les plus jeunes d'entre nous n'ont pas connu, rappelle à tous les autres des souvenirs plus ou moins lointains, plus ou moins effacés.

L'iconographie rassemblée ici est précieuse. Elle provient de deux types de documents parfaitement complémentaires: d'une part, d'anciennes photographies et cartes postales datant de la fin du XIXème siècle ou du tout début du nôtre, qui illustrent les transformations des principaux monuments, lieux et places; cette série est complétée par plusieurs clichés rares remontant à la période de l'entre-deux guerres.

D'autre part, des photographies prises par l'auteur lui-même depuis de nombreuses années. Ces images sont passionnantes; la pérennité des choses nous habitue à leur présence, si bien que nous ne leur accordons plus qu'une attention distraite. Jusqu'au jour où l'inconscience des hommes les fait disparaître. Alors naissent nos regrets.

Nous disposons donc au fil de ces pages de la réunion des fragments les plus significatifs de la vie ancienne: C'est à la fois un recueil d'archives conservant avec soin une image photographique de chacun des monuments condamnés, auquel plus personne déjà ne prêtait attention.

Mais aussi une radiographie amoureuse nous découvrant (malgré le modernisme inévitable, les dégradations) les secrètes beautés de la ville que l'histoire riche d'ici avait enclos dans les plis de son voile.
Missolonghi il est vrai, méritait une quête aussi passionnée et empreinte d'une grande exigence intellectuelle.

En 1829, Victor Hugo écrivait dans un célèbre poème des Orientales: (Les têtes du sérail, III)

" Frères, Missolonghi fumante nous réclame,
Les Turcs ont investi ses remparts généreux.
Renvoyons leurs vaisseaux à leurs villes lointaines"

Depuis la cité s'est relevée de ses ruines, les Turcs sont repartis vers "leurs villes lointaines" Mais Missolonghi sans cesse nous réclame ; elle a besoin de nous: parce qu'elle veut être appréciée pour elle-même, au-delà de l'intérêt qu'on lui porte comme centre historique. Pour que dès maintenant nous préservions les architectures, humbles ou marquantes, - qui ont échappé à un proche passé avide de transformations - les vestiges d'antan, et notre mémoire.

Et nous, nous avons besoin d'elle, pour faire renaître notre émotion, notre secrète nostalgie de l'époque déjà lointaine où la mer la baignait beaucoup plus que maintenant

Ces pages, ces images, nous y invitent.

 

Yves Le Mahieu, Béziers 22 nov - 2 déc. 1988.

David d'Angers, L'Enfant grec


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MISSOLONGHI

Souffle de la lagune. Tout autour les montagnes
Azurées aux ombres légères. Plus loin, là-bas, le large.
Rose et or, le soleil décline, un bateau à fond plat dérive
Lentement. Signe d'été, rêve de l'âme, le Mistral.

Çà et là, les poules d'eau s'envolent de toutes leurs ailes.
O souvenir de mon enfance, réveille moi, reviens, reviens !
Sur les tombes de Saint-Lazare veille, majestueuse [et figée,
La fustanelle de notre si vaillant aïeul.

Années enfuies, ingrates, étouffées de silence,
Années de chutes et de relèvements, de gloire, de désirs et de gémissements,
Et pourtant, tu attends que la voix d'un barde te célèbre :
Bien que reine d'une contrée plate, tu as des ailes,

Missolonghi !

 

Etoliki, Missolonghi 16 février 1964.

Rhigas GOLFIS.

 

 

 


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PROLOGUE

(Spiros Kaninias)

 

On a beaucoup écrit sur Missolonghi en tant que ville historique des assiégés et de" l'Exodos" (la Sortie).

Mais cet album nous présente la ville de Missolonghi, postérieurement aux événements historiques, plus précisément les modifications successives de son aspect de 1830 à nos jours.

Cette évolution suscite des sentiments mitigés, c'est-à-dire un mélange de contentement et de plaisir, à considérer les beautés et les laideurs qui ont marqué la physionomie de notre ville sacrée depuis 160 ans, depuis qu'elle a retrouvé sa liberté.

Nombreux sont les gens qui ont pensé, après la libération du pays, que Missolonghi ne devait pas être rebâtie sur un site dont les décombres furent baignés de sang, mais plus loin, au pied du Mont Zygos. Ainsi demeureraient intacts les liens avec une terre bénie aux reliques historiques: "la haie "aux sept angles, les vestiges de la maison de Kapsalis après l'explosion, les fondations du moulin à vent, les ruines des églises et des maisons. Missolonghi, en tant que nécropole, resterait plus vivante dans la mémoire historique de la nation. L'humeur romantique de ceux qui souffrent des laideurs ou des imperfections de notre ville les a conduits à ce point de vue irréaliste.

Bien évidemment chaque génération de Missolonghiens s'est façonnée une image idéale de la beauté de cette ville, sacrée entre toutes: déjà Costis Palamas qui revint à Missolonghi en 1926 pour les fêtes du centenaire de la "Sortie", écrivait: "Je ne reconnais plus Missolonghi. Nombre de changements se sont produits à vue d'il. Plus tard, tout doucement, quelques traces de ma jeunesse sont réapparues. Je me trouve dans la maison de mon frère - tout est calme - en face, la lagune, pour moi incomparable."

Justement les modifications occasionnées à la lagune (d'abord par le creusement du port et ensuite par des assèchements irraisonnés) ont agi sur la constitution particulière de Missolonghi, en tant que ville par excellence maritime. Et tout un chacun peut légitimement se demander si l'exécution déjà programmée de nouveaux travaux ne va pas avoir aussi une influence néfaste sur la beauté originale et unique que présente la route vers Tourlida, sur l'existence même de l'île historique de Klissova.

Mais ne soyons pas pessimistes ! Autour de nous, se met en place une nouvelle génération de Missolonghiens, qui agit, pleine de vie et de sensibilité: nombre d'entre eux - Dieu merci ! - sont établis dans notre ville où ils exercent un métier, une activité intellectuelle, voire savante. Ils sont donc qualifiés pour entreprendre une uvre remarquable, réparer des erreurs ou compléter l'inachevé. Grâce à eux, Missolonghi reprendra sous peu la place éminente que réclament son passé historique indiscutable et ses beautés naturelles rares .

Nous développerons ici quelques projets décisifs pour l'aspect de notre ville, auxquels doivent s'attacher les jeunes Missolonghiens

 

1). "Arpentez"! Je relie cet impératif à la parole (j'étire la corde pour aligner les choses à leur place) qu'a utilisé le sage Coraïs dans une lettre adressée à ses concitoyens de Chio après les massacres dont ils furent victimes lors de la Révolution de 1821, quand il leur conseillait d' "arpenter", c'est-à-dire de respecter un plan capable de faire resurgir leur ville, afin qu'elle acquière beauté et fonctionnalité.

Il convient aujourd'hui de se plier au même impératif en ce qui concerne Missolonghi. De grandes étendues de la lagune ont déjà été transformées en parcelles de terre ferme qui prolongent d'autant le site naturel de la ville. Et il convient justement d' "arpenter" ces étendues, c'est-à-dire de les aménager harmonieusement par un plan d'urbanisme prévoyant des espaces libres pour les places, les jardins, les terrains de jeu des enfants, etc.

Un nouveau boulevard de ceinture, dit "périmètrique" est même nécessaire. Comme son homonyme ancien, pour former la limite nouvelle de la ville, vers la mer. N'oublions pas les recommandations énoncées dans la Constitution: "l'urbanisme et l'extension des villes et des zones à usage principal d'habitation sont soumis à la compétence régulatrice du pouvoir et à son contrôle, afin de développer et aménager au mieux les zones d'habitation, afin de sauvegarder les conditions les meilleures pour la qualité de la vie (article 24 ).

 

2).Devant le jardin des Héros, entre la ville et le jardin des Héros, s'intercale un espace libre relativement vaste au milieu duquel apparaît l'émouvante église de Sainte Paraskévi, qui depuis toujours, attendrit l'âme de chaque missolonghien. A proximité, un pavillon d'agrément a récemment été reconstruit par la municipalité. A cet endroit subsistent des propriétés de particuliers. Peut-être demain des bâtiments s'élèveront qui constitueront un "outrage" au caractère sacré du Jardin des Héros. Une impérieuse nécessité d'expropriation (ou alors un échange avec d'autres biens communaux) se fait jour: cela permettrait de laisser libre tout l'espace situé devant le Jardin des Héros. Ainsi l'Héroôn sera-t-il considéré comme une église, l'esplanade au-devant en constituera le parvis. L'endroit mérite que nous le respections comme un legs vénérable de nos aïeux.

 

3).Le Musée: notre ville sacrée n'a pas encore son musée où les objets qui témoignent de sa gloire et de son honneur seraient rassemblés. Le premier noyau sera formé des nombreux documents historiques et autres "fragments" qui se trouvent actuellement à la mairie, transformée de ce fait provisoirement en musée. Mais il existe aussi d'autres objets de grands prix (armes de la guerre d'indépendance, manuscrits, plans, gravures, imprimés, etc., qui aujourd'hui sont la propriété de collectionneurs grecs et étrangers ou qui apparaissent lors de ventes publiques. Un sérieux effort de rassemblement des matériaux nécessaires à la constitution d'un musée s'impose pour mettre en valeur ces précieux éléments.

Dans ce musée, nous pourrions également exposer les nombreux vestiges archéologiques des sites voisins de Missolonghi: Calydon et Pleuron. Déjà, nous avons la chance de posséder à Missolonghi un édifice qui pourrait facilement abriter un musée. C'est un bâtiment solide et imposant, construit au début du siècle en style néoclassique, et admirablement situé à côté du Jardin des Héros, avec un vaste parvis et une splendide entrée monumentale. C'est l'actuel hôpital Hatzikostas. Ce bâtiment marquant peut être aménagé - à peu de frais - en musée. La construction d'un hôpital moderne est déjà prévue ailleurs.

Que les Missolonghiens manifestent leur vive ardeur patriotique pour la création du musée de Missolonghi ! En mettant en valeur son passé, nous anoblirons le quotidien de notre ville sacrée.

Il nous reste à formuler trois observations :

1). La porte: Missolonghi est peut-être la seule ville grecque qui ait une porte d'entrée, ancienne, en pierres soigneusement appareillées, et qui rappelle la "sortie" historique. C'est pourquoi, des trois portes, passages de tous ceux qui ont tenté une sortie désespérée, c'est la seule qui ait bénéficié d'un aménagement. Elle a été conservée comme lieu de mémoire perpétuelle. C'est aussi la porte de nos émotions individuelles: les convois funèbres qui se dirigent vers le cimetière de notre ville la franchissent lors des funérailles de nos chers défunts.

Par cette même porte, nous "voyons" passer à cheval sur un étalon, Takis-Ploumas (semblable à Saint-Georges, seulement un peu plus petit) - c'est-à-dire le symbole de la vaillance de Missolonghi.

Un usage constant et quotidien, d'incessants passages de véhicules enlèvent à la porte le charme qu'elle conserverait en demeurant un monument glorieux du passé. Il faudrait détourner le flot de la circulation des automobiles, camions et autobus vers une autre voie d'accès, de manière à laisser place aux piétons. Ainsi revivraient de nos jours " les choses du passé" dont nous parle Palamas.

 

2).Le rempart: conservé tel qu'il avait été aménagé à l'époque d' Othon, au nord du Jardin des Héros, c'est le monument le plus chargé de sens pour notre ville sacrée, parce que son tracé correspond à la légendaire "haie" (la fortification) des Libres Assiégés. Et avec les canons qui se trouvent aujourd'hui à son sommet, il impressionne les passants qui le longent. Souhaitons que ce vaste espace, qui s'étend entre la rue et le rempart, demeure toujours libre, simplement recouvert d'un vert tapis d'herbe, et que le rempart lui-même, sans décoration superflue, soit juste paré de plantes grimpantes, intact dans sa beauté nue !

 

3). Le Canon de Franklin: à la manière de Papadiamantis, exprimons la nostalgie des jours anciens: "Lorsque nous étions enfants et que nous marchions dans la rue vers Agios-Dimitri , à peine pouvions-nous arriver à la bordure de la ville, à l'ouest du Jardin des Héros, que déjà notre attention avait été retenue par le canon de Franklin, placé sur une petite éminence dominant la région alentour "Aujourd'hui - hélas - ce canon est presque devenu invisible. La petite colline a été conquise, étouffée par les maisons qui surgissent de terre de façon désordonnée, dépassant sa hauteur. Le visiteur d'aujourd'hui distingue avec difficulté le canon de Franklin, promis peut-être à chuter sur le sol et à disparaître. Pourtant, il ne faudrait pas que les plus jeunes ignorent la valeur historique de la petite colline où se situait " le Bastion" lors de sièges de Missolonghi, et que l'on avait surnommé en français "Terrible". Elle est également décrite comme " une grande tour angulaire", dans une lettre du 14 mai 1823 adressée par le fameux constructeur des fortifications Michaïl Kokkinis à Alexandre Mavrocordatos. Cette lettre contient un rapport général sur la défense de Missolonghi et sur l'excellente "fortification à sept côtés", construction à cette époque remarquable que "quelques grecs ont réalisée à l'aide de la divine Providence", en un bref laps de temps. Le nom de Franklin comme cheville ouvrière de la liberté américaine était très largement connu dans Missolonghi insurgée. Le frontispice du journal "Les Chroniques Helléniques" ne portait-il pas la devise de Franklin: "La plus grande utilité pour le plus grand nombre"?

Sur une ancienne photographie qui figure dans l'album on voit la modeste taille de ce brillant monument historique. Il serait souhaitable qu'il subisse une restauration soigneuse ; que la petite colline soit dallée et couronnée du canon solidement dressé à son sommet.

Nous mettons tout notre espoir dans les jeunes de Missolonghi, pour l'avenir de notre ville. Ce qui importe le plus, c'est de conserver et de renforcer l'empreinte particulièrement intellectuelle et policée qui dès l'origine a caractérisé Missolonghi. Les personnalités de Tricoupis et de Palamas, une pléïade d'hommes politiques, d'hommes de sciences et d'hommes de lettres, ont brillé au firmament de la Grèce entière. L'empreinte que cette ville a exercée sur eux transparaît dans les pages de cet album constitué avec zèle et dilection par M. Georges I. Kokossoulas, de Missolonghi. Le texte relatif au cimetière de Missolonghi, Saint-Lazare, constitue ma contribution à cet album.

On lira le texte écrit par un amoureux de Missolonghi, M. Yves Le Mahieu, fasciné par la beauté naturelle et l'importance historique de notre ville.

En dernière partie - en appendice - figure une étude sur un peintre original de Missolonghi, Tassos Mantas. Elle est due à l'écrivain et femme de lettres Mme Akakia P. Cordossi.

Souhaitons à cet album de devenir le point de départ de rêveries passionnées, mais aussi - bien entendu - de créations actives et fécondes de la part des Missolonghiens d'aujourd'hui, pour notre ville sacrée.

 

Spiros A . Kaninias.


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Parcours 1

 

"MISSOLONGHI

1830 - 1990

 

PORTRAIT D'UNE VILLE"

Missolonghi après la libération.

 

Missolonghi en 1860, telle qu'elle apparaît sur un plan de cette époque (cf. photo n° 8), est une petite ville aux maisons irrégulièrement placées sur une presqu'île aplanie, en forme de poire dont la queue serait dirigée vers le bas jusqu'à rejoindre l'îlot du Moulin à vent (30) . La plus grande partie de son contour dentelé et froncé est baignée par les eaux de la lagune, tandis que le quartier au nord et au nord-est de la ville est séparé du continent par un large fossé. Les bords en sont fortifiés du côté de la ville, sur le tracé de l'ancien rempart en dent de scie. La communication avec l'intérieur s'opère par une seule porte qui est restée l'entrée principale de la ville. Nous voyons quelques amas de constructions mal alignées les unes à la suite des autres, formant des rues étroites en direction du nord vers le Jardin des Héros (2) (c'était d'ailleurs l'emplacement de l'ancien cimetière) dans lequel l'on distingue la tombe circulaire (1) et celle de Marcos Botzaris (2). L'axe central, ainsi que nous l'avons nommé, a son point de départ juste sur le côté nord de la cathédrale Saint-Spiridon (29); clairsemé au début, il est plus dense au fur et à mesure que l'on monte. Un peu au-dessus de cet axe, s'étend le "marché d'en bas", avec le marché aux poissons et à sa suite, le centre commercial de la ville. A partir de ce point et au-delà, l'axe s'incurve vers la droite, puis se redresse dans le "Quartier des rétameurs" lorsqu'il débouche sur la placette de l'actuelle rue G. Alexandropoulos ; puis, il se poursuit un peu plus vers la droite, passant juste devant Sainte - Paraskévi (6) avec le "marché d'en haut" pour s'achever aux alentours des prisons Makris (5), à l'emplacement actuel de l'hôtel Liberty.

Aujourd'hui ce parcours, toujours identique, à quelques modifications près , est délimité par les rues: Vassilis Chrissoyélos, D. Makris, Costis Palamas (dans sa première partie), Z. Rapésis, G. Alexandropoulos (en partie) et rue Thisias. L'actuelle rue centrale Lord Byron, dans laquelle se sont établis plus tard les commerces principaux, était à peine tracée puisque l'on voit encore sur le plan de nombreux espaces ouverts. Naturellement, la rue Charilaos Tricoupis ne pouvait faire office d'artère transversale comme c'est le cas actuellement, elle n'était pas encore tracée distinctement.

Pourtant, certaines rues ont conservé jusqu'à aujourd'hui leur ancien tracé, comme l'étroite rue Kalogéros Klissouras, parallèle et située à l'ouest de la rue Chrissoyélos, qui coupe à angle droit la rue A. Ratzikotzikas avant de fusionner avec la rue C. Metaxas, elle-même prolongée par la rue I. Rangos. Une placette triangulaire (angle Zakariadis) réunit cette dernière aux extrémités des rues D. Makris et C. Palamas.

De même, le large tracé de la rue A. Ratzikotzikas, et, plus haut, depuis le centre du marché aux poissons, en allant vers l'ouest, la tortueuse petite rue Dolmas qui, au-delà d'un petit tournant en direction de la rue E. Evgénidès, se prolonge par la rue Favier, aboutissant à l'ouest au boulevard de ceinture, près de la maison de Kapsalis.

Enfin, après un tournant, légèrement plus au sud de la rue A. Ratzikotzikas, un peu au-delà de la rue E. Evgénidès, la rue Christos Kapsalis qui se dirige vers le mole, est tracée assez nettement, même si elle comporte, çà et là, de nombreux vides de part et d'autre. Plus loin, au bout de cette rue, au début de la rue A. Razis, il nous faut imaginer le café Mangana dont parle, comme nous le verrons, A. Stasinopoulos dans son ouvrage sur Missolonghi, à moins de l'identifier au café qui fut plus tard celui de Lantos à l'extrémité actuelle de la rue Kapsalis à gauche, sur le côté est du boulevard périphérique, bien avant que le propriétaire ne le déplace au lieu-dit "kala kathouména" ("ceux qui sont bien assis"). Chacun pourra encore se souvenir ici de la petite rue D. Délighéorghis, voisine de Chrissoyélos, où jusqu'en 1975, la maison de Délighéorghis a été préservée. Chacun pourra dire que les rues, ci-dessus nommées, constituent les artères principales de notre ville après sa libération, avec de chaque côté de l'axe central, des constructions qui se suivent ici de manière plus dense, et là sont plus espacées. Leurs noms, d'ailleurs, en dehors de deux ou trois changements ultérieurs, ont été inspirés par les années héroïques 1822 - 1826. A partir de 1860, on a procédé à de nombreux remodelages: des maisons ont été détruites ou abattues. Dans ces trouées, on a ouvert de nouvelles rues jusqu'à ce qu'on parvienne, au milieu des années 1920, à un plan d'urbanisme compatible avec les contraintes modernes dues à l'automobile.

Evidemment, ici ou là, nous voyons encore aujourd'hui des maisons qui ne respectent pas le plan d'alignement des rues, mais cela n'est qu'une exception insignifiante en voie de disparition, alors que la plupart des constructions ont adopté le même alignement à l'intérieur des blocs carrés que délimitent les ruelles.

 


LES INTERVENTIONS SUR LE MILIEU NATUREL.

A. LE BOULEVARD PERIPHERIQUE.

Un rôle déterminant dans la formation du plan mais aussi plus généralement dans l'aspect de la ville a d'abord été joué par le boulevard "périmétrique": à l'origine, digue cernée par la mer, puis plus que d'un côté, il est aujourd'hui entouré de terres, et sur cet espace conquis, des rues orientées perpendiculairement ou parallèlement à ce boulevard ont été tracées.

Sur ce boulevard qui, sur toute sa longueur (depuis l'évêché jusqu'à la statue de Costis Palamas au lieu-dit "Anémomylos"- le Moulin à vent -), a reçu le nom de "Boulevard de Chypre", ont débouché en premier lieu les tracés transversaux des rues Héroon Polytechniou , Charilaos Tricoupis, C. Kapsalis et C. Tricoupis, et les tracés verticaux des rues Joseph Rogon et Archevêque Damaskinos. Puis, bien plus tard, les rues des nouveaux quartiers au nord-ouest de la ville, quartiers dont la construction a commencé au début des années 1950 pour se poursuivre jusqu'à aujourd'hui.

Quant à la partie nord du boulevard périphérique (aux abords ouest du Jardin des Héros) qui donne également une deuxième entrée à la ville en reliant le boulevard périphérique à la route d' Etoliko, elle devient l'extrémité de la rue Archevêque Damaskinos.

Assurément, la construction du boulevard périphérique a nécessité une intervention humaine modifiant l'aspect physique de la ville, dans le but de la protéger du flot hivernal maritime qui, auparavant, se brisait sur les premières maisons du front de mer, à l'ouest. Pourtant, cette rue s'harmonisa si bien à la ville, qu'au cours des décennies qui amenèrent la transformation de l'espace marin en terre ferme, le boulevard devint le lieu de promenade romantique des habitants de Missolonghi.

On y planta donc sur toute sa longueur, deux rangées d'eucalyptus nains, et des bancs de pierre pour les promeneurs y furent installés à intervalles réguliers. C'était un enchantement, un "Belvédère": que l'on se tournât du côté de la ville se reflétant dans les eaux calmes aux heures de mer étale avec les trois sommets du Varassova en toile de fond, ou que l'on regardât "l'ampleur de la lagune baignée de lumière" traversée par le vol des mouettes et des oiseaux de mer, jalonnée par les claies des viviers, les cabanes de pêcheurs, et les barques de pêche à fond plat. C'était le retour de la pêche au harpon, toutes voiles déployées, les couchers de soleil enchanteurs, l'éclat des lamparos, les nuits sans lune, spectacles s'étendant jusqu'aux lointaines montagnes d' Etolie aux formes dégradées.

Alors tout était offert sans fard, naturellement, sans soin particulier, avec la simplicité quotidienne et l'insouciance, et donnait son prix à des joies humbles, avec pour effet d' embellir et d'agrémenter l'existence.

Il y avait d'autres lieux très pittoresques, comme les petits cafés sur le bord du boulevard périphérique, autant de cabanes et constructions orientées face à la mer. A l'ombre de leurs auvents, le promeneur prenait plaisir à boire un café, à converser, à faire des jeux de mots, à plaisanter avec les habitués.

Chacun de ces petits cafés avait sa propre ambiance, avait pris une place particulière dans l'itinéraire quotidien des gens simples venus de la ville et des bords de mer.

Je mentionnerai, à cet égard, le café de Lanténas, situé sur le Môle, puis" Kala Kathouména" ("Ceux qui sont bien assis") de Georges Brachalis et de Makos Balianatos, "Olympia" de Costas Ghiphtoyannis à proximité de l'établissement des bains de boue, à l'endroit où la route faisait un détour (à l'emplacement actuel de la maison Voulgaris), et enfin "L'Anémomylos" ("Moulin à vent") de M. Dimitrakis de Bobota, vis-à-vis de la statue de Palamas, presqu'au croisement du boulevard périphérique et de la route de Tourlida. Dans tous ces endroits, en bordure de mer, on vivait dans un rêve ("une atmosphère rêveuse" pour reprendre cette expression heureuse) qui est à tout jamais perdu, mais son écho éloigné subsiste dans quelques vers, dans quelques cartes postales ou photos jaunies.

B. LA ROUTE DE TOURLIDA.

Une seconde route, construite au milieu de la lagune, a également contribué à façonner le visage de notre ville. C'est la route de Tourlida, longue de 5 km, "dont les travaux ont commencé en 1874 pour s'achever en 1881" . La lagune fut coupée en deux par cette route: Klissova à l'est et à l'ouest la partie la plus étendue s'ouvrant sur la mer.

Ces deux espaces marins communiquaient entre eux par huit arches en bois (celles du boulevard périphérique en béton armé supportaient une chaussée et, pour cette raison, étaient dites" ténébreuses"). Chacune d'elles tirait son nom de l'ordre où on les rencontrait: "première", "deuxième", "troisième arche", etc. Aujourd'hui, après la réfection de la route dans les années 1960, demeurent ouvertes la première (qui sert à conduire les eaux chaudes de la lagune de Klissova vers les salines de Phinikia), la troisième, la quatrième et la septième, que l'on nomme "Camaropoula" (petite arche). La deuxième arche, à côté des bains clos, a été obturée lors du creusement du port, au début des années 1930.

La route de Tourlida que seuls des automobiles et quelques piétons pressés empruntent aujourd'hui, était jusqu'à l'été 1940 la promenade du soir des gens de Missolonghi, avant ou après le dîner, tant que durait l'été. Il faut imaginer, sur cette route une fréquentation semblable à celle de la rue Tricoupis aux beaux jours. On y trouvait même des bancs de pierre que les élégantes de l'époque avaient dénommés solennellement "les bancs". "Nous trouverons bien un banc libre pour nous asseoir", disaient les optimistes, tandis que les prévoyantes avaient apporté avec elles quelque bout d'étoffe, pour une heure de rêverie ou de songe face aux lumières mouvantes et magiques des bateaux de pêche aux lamparos allumés, épars sur l'étendue, ou devant "les sentiers de l'amour" que l'éclat de la lune dessinait sur le miroir de la lagune.

En outre, dans les années qui ont précédé 1940, d'autres motifs poussaient les Missolonghiens, l'été, en dehors de leur ville, sur la route de Tourlida. Dès le début du siècle, à hauteur de la première arche, sur l'esplanade au devant de la maison Tricoupis, un cinématographe s'était installé: un cinéma muet typique de cette époque, dont les films attiraient des familles entières, tandis qu'un peu plus bas, à Anémomylos (Le Moulin à vent) parmi les tables dressées, l'ensemble philharmonique de la ville, sous la direction du chef d'orchestre Konidaris jouait chaque jeudi (le dimanche, cela se déroulait sur la place centrale) des morceaux de musique.

Où trouver un tel luxe, de nos jours ?

Cependant, l'écrivain Mimis Libérakis et son ami Nikos Katsis persistèrent à effectuer leur promenade quotidienne, l'après-midi, sur la route de Tourlida, jusqu'à la fin des années 1940. Elle en acquit un caractère original et peu courant lié au tempérament singulier du premier promeneur. Les deux hommes partaient chacun pour leur promenade, de deux points différents de la ville, quel que fût le temps. Sur cette route, l'un d'eux avançait seul jusqu'à se trouver au maximum entre la troisième de la quatrième arche. Arrivé là, celui qui allait en tête revenait sur ses pas, au-devant de son compagnon et ils rentraient alors tous les deux ensemble, sans cesser de discuter, avec cette particularité que "Monsieur Mimis", qui supportait mal la présence de quelqu'un à ses côtés, ouvrait la marche, et précédait son ami d'un pas et demi ou deux. Ce duo se séparait devant Saint-Spiridon: Katsis allait de son côté, Libérakis se rendait à la patisserie "Galaxia", sur la place centrale.

 

Enfin, concernant les modifications apportées à l'aspect de la ville, sur sa façade maritime, je dois dire que le rivage sud-est, avec ses étendues libres à peine occupées par les maisons des pêcheurs, sauf sur une petite portion, à Kaliantéri, fermées par la digue sur laquelle passait la ligne de chemin de fer provenant de la place centrale, conserva inaltéré son aspect originel jusqu'en 1971-1972. Alors ce rivage naturel fut remblayé avec les boues du dragage qu'on avait extraites lors du creusement du port.

Quant aux petits cafés épars sur le rivage, il faut signaler que, à la pointe Est de la ville, juste au dessus du rivage, on trouve encore le petit café de Costas Kaliantéris, le seul qui subsiste, méconnaissable certes, et qui a eu la faveur de figurer dans la littérature poétique de Missolonghi, dans le fameux poème "Batarias" ( ) de Miltiade Malakassis.

C'est encore, ici, à Kaliantéri, que se situaient les bains de boue du même nom, connus dans notre région pour leurs propriétés thérapeutiques. Les remblais de 1972 les ont fait disparaître.

C. LE CHEMIN DE FER.

La deuxième modification de l'aspect général de la ville s'est produite du côté de la terre ferme, avec la construction de la Gare du chemin de fer et des autres installations de la S.B.D.E. , qui couvraient toute la partie nord-est, autour des remparts, là où jadis se trouvaient précisément les bastions, "La Lunette", "Kokkinis", "Makris", "Rhigas", etc., effaçant, ainsi, les vestiges d'un site historique qui était lié à la "grande Sortie".

Le train arriva dans notre région dès les premières années de la décennie 1880, à l'époque où Charilaos Tricoupis était Premier Ministre. D'abord, Missolonghi fut relié par voie ferrée à Agrinion, puis , en 1891, la ligne fut prolongée jusqu'à Krioneri .


L'arrivée du train provoqua, dès cette époque, d'ailleurs, l'opposition de ceux qui étaient lésés, soit parce que la ligne coupait leurs propriétés agricoles, soit parce que le train leur enlevait le travail des mains (cochers, charretiers, etc.). Evidemment, Goulimis réussit à tirer profit de la rancur de ces derniers, grâce des promesses électorales portant en particulier sur le démantèlement de la ligne, aux élections de 1895. Tricoupis les perdit en effet.

Une bifurcation de la ligne Missolonghi - Agrinion au niveau d'Etoliko fit arriver le train jusqu'aux bourgades de Néochori et de Katochi, tandis qu'un deuxième petit embranchement, partant du sud de la gare vers Kaliantéri, permit au train de parvenir sur la place centrale.

Ainsi, dans les gares de chemin de fer, on assistait à des scènes de rencontres et d'adieux, à une époque où évidemment les voyages étaient faits d'une aventure certaine.

Et c'est à l'arrêt de la place, que les élèves du collège originaires de la région d' Etoliko - Katochi, attendaient le train de l'après-midi, avec leur panier et leur sacoche, contenant le pain cuit à la maison et le repas. Je parle, de l'époque où les classes de 4ème et de 6ème du collège conduisaient à des études identiques à celles que l'on mène de nos jours pour se préparer à la vie extérieure. Cette ligne intérieure vers le centre de la ville a fonctionné environ jusqu'en 1940, puis a été remise en service en avril 1954, avant d'être déclassée en février 1970.

Enfin, en 1938, une deuxième ligne commerciale d'intérêt local relia la gare au port, par le boulevard périphérique.

Cependant, avec le développement de l'automobile dans les transports terrestres et la mise en place d'une liaison Rhion - Antirrhion par bateaux à moteurs, le fonctionnement du train, qui favorisa


durant de nombreuses décennies, l'activité professionnelle de nombreux habitants de notre ville (employés de bureaux, personnel de direction, commis voyageurs, ouvriers) devint peu à peu déficitaire, comme partout ailleurs.

Ainsi, en juillet 1970, le train dont le sifflet si nostalgique des anciennes locomotives aux noms brillants - Tricoupis, Calydon, Missolonghi, Etoliko, Agrinion, Arta - rythmait les heures du jour, a délaissé pour toujours le cadre de notre ville, emportant avec lui, et les employés du chemin de fer et leurs familles. Ils furent nombreux à être réaffectés sur la ligne O.S.E. - Patras - Athènes, pour ne plus revenir.

Et je me souviens de quelques figures, de quelques scènes de l'activité de la gare: le café, à droite de l'entrée, les commerçants pressés qui couraient pour jeter un entier postal dans la boîte aux lettres du train à l'instant où il se mettait en marche, les impatients qui, pour apprendre les dernières nouvelles, se jetaient sur le journal de Théodore Drakopoulos, au moment où ce dernier descendait du train, les journaux sous le bras, les employés des hôtels, avec le nom de leur établissement sur leur casquette, - "Hôtel d' Angleterre", "Métropole", "Ilion - Pallas", "Byron",

"Athènes", "National" - qui venaient accueillir leurs clients, le passager en retard qui court pour atteindre le train en criant désespérément: "Arrêtez-le, arrêtez-le, j'ai mon billet", les wagons avec l'inscription "chevaux 4 - hommes 24 " qui durant la guerre de 1940 conduisaient les fantassins sur le front, la tante Photaina qui était sortie de son village pour raccompagner son fils repartant vers le front d'Asie - Mineure. Et quand le train eut sifflé trois fois, elle avait perdu son Mitrakis des yeux et elle ne savait pas si elle le reverrait, si bien que, depuis, elle n'a plus jamais voulu entendre ce sifflement.

D. LE PORT

L'intervention la plus décisive sur la physionomie de la ville ainsi que sur l'espace maritime qui l'entoure fut le creusement du port au début des années 193O.

Un projet occupait Missolonghi depuis les premières années de son indépendance, celui d'un port adapté aux nécessités du cabotage, mais aussi à l'approche des navires de haute mer qui devaient desservir la ville et sa région.

Depuis de nombreuses années, le trafic des passagers, ainsi que les marchandises aboutissaient à l'îlot d' Aï-Sostis où les navires caboteurs faisaient escale. De là, les bateaux de la lagune accostaient au Môle, à l'extrémité de la rue Christos Kapsalis. A. Stasinopoulos nous dépeint ainsi la situation d'alors: " Le vendredi était jour de fête pour Missolonghi. On attendait l'arrivée des bateaux à vapeur. Celle du navire en provenance de Patras était la plus intéressante, parce qu'il transportait les passagers d'Athènes. Les gens de Missolonghi venaient sur la jetée, attendaient le bateau au café de Manganas. Tout en accueillant leurs parents, ils prenaient des nouvelles auprès des arrivants, apprenaient d'eux les dernières nouvelles de politique intérieure ou internationale, se chargeaient de lettres. En effet, la correspondance particulière était souvent transportée par les passagers, soit par esprit d'économie, soit par méfiance envers le service postal de l'époque. D'autre part, étant donné qu'aucun bureau de presse n'existait encore et que les quelques abonnés
du "Palingenesia", du "Ethnophylax", et du "Néa Imèra" de Trieste se limitaient à communiquer les nouvelles acquises à la simple lecture de ces journaux, dans le cercle étroit des pharmacies qui devenaient alors des lieux de rassemblement privilégiés, la plupart des gens de Missolonghi, mal informés, cherchaient à connaître les nouvelles par l'intermédiaire des passagers. Et l'on imagine, leur déception lorsqu'arrivait la nouvelle du retard des bateaux à vapeur ; il fallait s'en aller

Avec la construction de la route de Tourlida et la création d'autres compagnies de bateaux à vapeur, les choses s'améliorèrent. La circulation vers Patras, à partir de Tourlida, devint presque quotidienne.

Ainsi, en citant toujours Stasinopoulos: "Missolonghi avait à l'origine Agios Sostis comme unique port marchand, ensuite elle eut Tourlida et dès 1885, elle s'octroya Krioneri".

Mais, ce dernier site ne constituait pas une solution au problème. Les vents de nord-est et la houle en faisaient un endroit périlleux, d'un accès difficile ou inabordable durant de nombreux jours dans l'année. Charilaos Tricoupis, venu pour sa dernière réunion électorale - il fut d'ailleurs largement battu aux élections du 16/29 avril 1885 - se trouvant à Krioneri dans des conditions atmosphériques exécrables pour le débarquement des passagers, on l'entendit dire à voix basse, en pensant à l'ingénieur français chargé des affaires du port, qui avait préféré l'emplacement de Krioneri comme étant le plus sûr: "Il m'a trompé !" (Stasinopoulos).

En 1930, on décida donc de construire un port à l'endroit plus approprié, là où il se trouve encore aujourd'hui, à l'ouest de la route de Tourlida, à hauteur de la deuxième arche, au dessus et en face de la petite île appelée "Anémomylos" (Moulin à vent). Et ce qui porta atteinte de manière irrémédiable à l'aspect pittoresque de la ville, ainsi qu'à l'espace marin environnant, ce n'est pas tant la construction du port que l'entassement sur place des résidus du dragage résultant de l'ouverture du chenal et du bassin du port. De la même manière, on supprima toute une partie de la lagune occidentale, ainsi que la bande de sable salé dont le tracé était parallèle au chenal, et qui formait un obstacle au courant marin allant vers la lagune de Klissova, renforcé par la fermeture de la deuxième arche.

Ainsi, alors qu'il nous aurait été possible d'évacuer les résidus du dragage vers la haute mer, au moyen de conduites spéciales, la solution de facilité a été choisie: entreposer les déchets dans ces portions d'espace encore marin emprisonnées lors de la construction du boulevard de ceinture, et sur ces vastes espaces marécageux, au milieu des années 1950, la ville s'étendra: construction d'écoles, création de complexes sportifs, etc. Mais, les grands dommages surviendront en 1971-72, avec toute une suite de travaux de "remodelage" de la lagune et particulièrement au cours de l'année 1973 avec l'élargissement et le creusement du port. C'est alors qu'on a construit des chemins de terre surélevés à travers la lagune, qu'on a ouvert un chenal consolidé par deux digues vers Etoliko, supprimant ainsi les communications des pêcheurs du fond de la lagune avec le reste de la lagune. Certains durent s'enquérir de nouveaux postes d'amarrage, plus loin, au sud de la digue de gauche, tandis que beaucoup d'autres abandonnèrent la pêche et quittèrent Missolonghi avec leurs familles. C'est à cette époque que l'on ferma les arches de la route de Tourlida, ce qui transforma la lagune de Klissova en mer morte, sans qu'elle ait pu retrouver depuis lors, même après la réouverture des arches, sa riche flore d'autrefois, sa richesse biologique. C'est aussi à cette époque que l'on déversa d'autres résidus de dragage, autour de la ville, en cercle ; la lagune ne fut plus visible de la place centrale, au point de jonction des rues Charilaos Tricoupis et Ep. Délighéorghis, que l'on se tournât vers l'est où autrefois rien ne barrait le regard, ou vers le sud et vers le couchant, où l'on ne rencontrait jadis que des espaces infinis, bien au delà de la ville. Ainsi, le boulevard périphérique, le café "Kala Kathouména" et d'autres rivages marins ont perdu pour toujours l'attrait du "retour de la pêche au harpon", et de "la lumière de la seule lagune" et, avec elle, la présence des promeneurs romantiques.

Voici, pourrait-on dire, que se clôt le cycle des interventions sur l'environnement naturel de notre ville, ingérences qui ont eu pour effets de lui faire perdre son pittoresque rare et ses beautés mille fois célébrées, en raison d'un certain nombre de transformations, en particulier celle des plaines alluviales en terrains à bâtir bientôt construits. A ce propos, je voudrais ajouter qu'au cours de cette époque, des projets d'assèchement de la lagune toute entière en vue de la transformer en exploitations agricoles ont également vu le jour (projet établi alors par l'ancien Ministère de la Coordination entre le Ministère de l' Economie et celui des Finances).

VAGABONDAGE DANS UN ESPACE URBAIN

Il est temps, maintenant, d'entreprendre une deuxième promenade de découverte au moyen du plan de 1860, dont nous avons parlé au début.

La plupart des bâtiments principaux, comme les trois églises de notre ville qui n'avaient pas encore, trente ans après l'Indépendance, leur apparence définitive - sauf l'église Sainte - Paraskévi, bâtie en 1860, qui est donc représentée sur le plan avec ses dimensions actuelles - , de même que des espaces déjà délimités, comme le Jardin des Héros (bien qu'il ne s'étende pas encore vers l'ouest), nous aideront à nous orienter parmi les rues tracées sans plan d'urbanisme et parmi les espaces libres ; à reconnaître les édifices et les maisons qui existent encore de nos jours, où qui étaient encore debout, il y a une ou deux décennies, c'est-à-dire, en fait, jusqu'à l'irruption dans notre ville du béton armé, lorsque la démolition des anciennes demeures a commencé, alors que progressivement s'imposaient les appartements et les immeubles à plusieurs étages.

Ensuite, nous nous efforcerons de décrypter l'architecture de notre ville, tant sur d'anciennes photographies et cartes postales, que sur les façades des maisons repeintes ou écaillées qui résistent encore à l'abandon et aux outrages du temps, depuis environ cent soixante ans, en privilégiant, bien sûr, quelques vestiges d'un âge plus ancien. Malheureusement, deux ou trois demeures tout au plus ont une date de fondation attestée, qui permette de déterminer avec exactitude l'apparition et l'évolution des différentes formes de l'architecture de notre ville.

Point de témoignage écrit à ce sujet, et l'on ne peut guère tirer d'informations des personnes elles-mêmes. Pour cette raison, l'itinéraire que nous suivrons n'est qu'un fil directeur arbitraire sur le plan d'ensemble de la ville. .

Au milieu de l'enceinte du Jardin des Héros, nous distinguons clairement le bâtiment de l'ancien hôpital Hatzikostas (n°3) fondé par la donation testamentaire du 11 août 1845 de Georges Const. Hatzikostas et celle du 30 mai 1846 d' Anastasios G. Hatzikostas (testament fait à Moscou). Cet ancien édifice subsiste sur une photographie, alors qu'on commençait à le démolir, pour édifier l'actuel bâtiment de style néoclassique au début de ce siècle (1906).

Un peu en dessous de l'angle sud-ouest du Jardin des Héros (tel qu'il était alors), on note la présence d'un bâtiment long et étroit, celui des anciennes casernes (n°4) transformé par la suite en prison, et qui fut détruit entre 1969 et 1970.

En descendant l'artère qui passe devant l'église Sainte - Paraskévi (n°6), à l'ouest, on distingue un édifice (n°7), à l'angle de la rue Georges Alexandropoulos (au numéro 2 de cette rue), avec un angle très aigu pointant vers le sud-est, qui n'avait peut-être pas l'aspect que nous lui connaissons actuellement. Par deux lignes à peu près parallèles, ce bâtiment est relié à l'édifice situé (n°8) 11 Rue Archevêque Damaskinos, maison seigneuriale jadis de Dimitri N. Drossinis, qui abrite aujourd'hui la direction de la police, et porte sur une pierre de taille, l'année de sa construction, 1856. A la perpendiculaire de ce bâtiment, au 9 de la rue I. Rangos, voici l'actuelle maison Romanos (n°15) avec un terrain encore libre à côté (n°16) où, en 1868, comme il est inscrit sur une pierre de la porte cochère, une maison (au 5 de cette même rue), a été construite en pierres de taille.
voici l'école grecque (n°10), fondation de Constantin Hatzikostas, qui a été bâtie bien avant l'année 1831, comme nous le verrons - et également à l'ouest de cette église, nous distinguons le "Saraï "(n°11) dont les derniers habitants furent des réfugiés d'Asie Mineure, et qui a été démoli après l'occupation, entre 1945 et 1950.

A cet endroit, on a aménagé la cour de l'école primaire "Xénocration". Quelque peu au sud-ouest du Saraï, l' Ecole de Formation - jadis école d'enseignement mutuel (n°12) - qui date de 1830. C'était une forme particulière d'établissement, d'inspiration française ; sur son emplacement fut construite en 1885, l'école Xénocration. Face à cette école exactement, vers l'est, se trouvait le monument de l' Evêque Joseph Rogon, détruit lors de la construction d'un bâtiment moderne à l'angle des rues J. Rogon et Kristallis. Plus au sud, dans l'alignement du monument, on distingue un terrain de forme carrée (n°14) sur lequel, entre 1860 et 1870, a été édifiée une maison en pierre, conservée jusqu'à nos jours (au 16 de la rue Joseph Rogon). Je mentionne en particulier, les maisons en pierre, ou celles qui offrent de manière visible des éléments architecturaux en pierre, parce que, comme nous le verrons, elles offrent, au delà de quelques variantes de l'une à l'autre, une unité de construction qui s'inscrit dans une période donnée.

A cet ensemble, il convient de rattacher le bâtiment de trois étages (n°17) des rues C. Metaxas, A. Ratzikotzikas, D. Makris et la maison à deux étages à l'angle des rues Kalogéros - Klissouras et Délighéorghis (n°18), qui a été détruite au début de l'année 1988. Tous ces bâtiments figurent sur le plan datant de 1860. Un peu plus bas, au coin des rues Kalogéros - Klissouras et Pétaloudis, apparaît la maison Balbis (n°19) dont la clôture du côté est faisait face à l'alignement des maisons de la rue Chrissoyélos, cela vraisemblablement dès 1864, comme le prouverait la date inscrite sur la barre de fer ajourée des grilles du balcon, .

Naturellement, nous ne passerons pas ainsi en revue l'ensemble du plan de la ville, ce qui concrètement serait impossible, et je me contenterai de mentionner l'emplacement de quelques demeures historiquement importantes.

Dans le prolongement donc de la maison de Balbis, en allant vers l'est, du côté droit de l'actuelle rue Kitzos Tzabellas, on peut distinguer la maison de Malakassis (n°20) dont le coin sud-ouest en angle rentrant n'a pas changé, et aussitôt après un groupe de maisons de formes irrégulières, à l'endroit où est maintenant la maison Manessis (n°21), tandis que l'élargissement de la rue actuelle les a réduites d'une partie.

Avec le mouvement du cheval au jeu d'échecs, maintenant, en partant à nouveau de la maison Balbis, mais cette fois, en direction du nord-est, nous tombons sur "l'Auberge" (n°22) qui est restée jusqu'à nos jours la maison de la famille Bergounis. Nous supposons qu'il s'agit de l'Auberge Manessis, portant le nom d'Hôtel d'Orient , que Thérèsa née Makris (la jeune fille d'Athènes de Lord Byron) mentionne dans une lettre adressée à son époux, James Black, vice-consul anglais à Missolonghi depuis 1858, et qui, plus tard, jusqu'à sa mort, en février 1868, fut professeur d'anglais au Royal Gymnasium à Missolonghi.

En partant maintenant de la maison de Balbis (n°19) vers l'ouest, en sautant au passage une ou deux maisons, nous rencontrons le grand bâtiment du Palais de Justice (n°23), dont l'incendie de décembre 1944 n'a laissé qu'un angle.

En empruntant, en face du palais, une petite ruelle, puis en tournant à gauche, nous atteignons une esplanade et nous avons à notre gauche, la maison de Palamas (n°24), et en face, à droite, l'ancienne Mairie (n°25) qui a brûlé en 1929, et à sa gauche, la maison de Tricoupis (n°26), avec sa longue clôture qui se poursuit vers l'ouest jusqu'à la lagune.

Enfin, sur la grande esplanade de forme carrée qui s'étend dans la partie centre-est du plan, parmi trois maisons, nous distinguerons un autre palais ("Saraï"), maison de Kavayias (n°14), qui brûla en 1948.

RETOUR EN 1830.

Pour l'heure, je présenterai quelques extraits de documents officiels datant de l'époque immédiatement postérieure à la libération (1830), adressés par le Conseil Municipal de notre Ville, ou par d'autres organisations communales, au Président de la Grèce Capodistrias, ou au Secrétaire d' Etat à l'instruction publique, fonction qu'occupait alors Nicolas Chrissoyélos (d'une famille bien connue de cinq avocats à Missolonghi). Ces écrits témoignent de l'état des maisons dans notre ville à cette époque .

1. N° 367/8 Nov. 1829. (Réponse à la note n°67 de Capodistrias, en vue de réparer une église et de construire une école abritant l'établissement d'enseignement mutuel à Missolonghi).

" L'architecte Kalandros n'est pas présent ici, ni aucun autre capable d'entreprendre la construction de l'église, dont les murs subsistent, à peu près intacts. Il serait bon de faire venir un architecte-expert des îles voisines, parce qu'ici on ne trouve pas les artisans pour cela. Près de cette église (Saint - Pantéleïmon) se trouve un terrain, propriété de la nation, propice à la fondation d'une école publique d'enseignement mutuel. Les ruines pourront fournir les pierres nécessaires à la construction de cet établissement".

2. N° 247/8 avril 1830.

" Dans cette province, il n'y a pas d'école dans chaque arrondissement. Jusqu'à présent on n'a pas encore commencé à en construire à Missolonghi. J'ai donc pour but, dès que les fêtes actuelles seront terminées, de prescrire la construction d'une école ici, en ville, ainsi que d'une autre à Anatoliko, puisqu'à Missolonghi et dans la campagne, la population augmente de jour en jour, et que les maisons se multiplient insensiblement".

3." De Missolonghi, le 6 octobre 1830.

Le professeur d'enseignement mutuel Jean G. Draïkis au Secrétaire d' Etat à l'Instruction Publique et aux Cultes N. Chrissoyélos.

Je venais à peine d'arriver à Missolonghi, lorsque je fus chargé dès le début de surveiller sur place la construction et la bonne marche des travaux de l'école d'enseignement mutuel. Je n'ai pas en main pour le traduire, le manuel de M. Sarrasin et je surveille l'avancement des travaux, avec la rigueur nécessaire. La longueur de l'école, en mètres français, atteint 25,20 mètres, la largeur 8,10 mètres. Sa capacité est de 392 élèves".

Il s'agit, évidemment, du bâtiment porté sur le plan (n°12) dont nous avons déjà parlé, et qui a, en effet, cette forme-là et ces dimensions-là.

4. Le gouverneur par interim d'Etolie s'adresse au Secrétaire d' Etat, le 22 mai 1832 :

" L'école grecque a été fondée en 1831, sous les auspices du maître d'école Palamas Il n'y a eu aucune interruption.

La fondation de l'école grecque a été réalisée par la ville, à laquelle elle appartient. L'effectif de cette école est aujourd'hui de trente élèves.

Quant à l'école d'enseignement mutuel, patronnée par Jean G. Draïkis, elle abrite plus de cent élèves. L'établissement a été fondé par le gouvernement. Il n'y avait pas d'autre moyen".

 

Comme on le voit dans ces textes, les difficultés initiales, année après année, s'aplanissaient, d'abord pour l'école d'enseignement mutuel, ensuite pour l' Ecole Hellénique de Const. Hatzikostas.

Il faudra néanmoins attendre 55 ans pour que soit établie une nouvelle école communale, le Xénocration, et 100 ans pour que notre ville obtienne un bâtiment public pour son lycée qui, jusqu'alors (1931), occupait la maison Dialetis, dans la rue Prokopanistos, maison dont il existe encore une partie du mur nord. Voilà pourquoi, jusqu'en 1931, les photographies qui nous remémorent les différentes classes du lycée sont prises sur les escaliers latéraux de la porte de l'église Saint - Spiridon.

LA PERIODE DES MAISONS EN PIERRE TAILLEE

Je ne sais si les premiers artisans, ceux qui ont construit ces premières écoles, venaient des îles alentour, c'est-à-dire de l' Héptanèse ; de toute manière, les dates inscrites sur quelques pierres des maisons, qui démontrent clairement un savoir-faire particulier, produisant des architectures aux aspects caractéristiques, sorties pourrait-on dire de la même main et du même ciseau, témoignent qu'à partir de la décennie 1850, des artisans et des maçons épirotes de la région de Konitsa, travaillaient à Missolonghi, où leur activité s'est poursuivie durant de nombreuses années.

Ces artisans travaillaient les pierres et les assemblaient en les joignant d'une manière parfaite, en rangées régulières; ils ont laissé des traces nombreuses et différentes de leur savoir-faire, non seulement dans notre ville, mais aussi aux alentours, comme c'est le cas pour les ponts à arches de la route Missolonghi - Etoliko (construits en 1870), les portes cintrées ou comportant un fronton, les colonnes du mur de clôture du Jardin des Héros, ainsi que les cours des maisons particulières, les marches des escaliers extérieurs en pierre, les dallages, les bases en pierre de taille des maisons néoclassiques, etc.

A peu près à la même période, nous rencontrons dans notre ville des artisans et des maçons originaires de Krikellos en Eurytanie. Ce sont eux qui, en 1860, d'après un témoignage historique écrit ,publié en 1940, ont construit l'église de Sainte - Paraskévi sur l'emplacement de l'église en bois visible jusqu'en 1859, et qui portait le nom de Sainte-Paraskévi et de la Sainte - Trinité. C'est pourquoi, une grande icône de la Sainte - Trinité figure au sommet de l'actuel édifice, alors que depuis 1865, l'église est seulement dénommée Sainte - Paraskévi.

Ce qui caractérise l'architecture de cette période de construction en pierre, que nous décrivons, ce sont les arcs aux courbes bien dessinées, au dessus des linteaux des portes, et aussi des fenêtres, les encadrements en pierre des fenêtres, les pierres angulaires bien tracées, les consoles simples. Les lignes mêlées: droites, courbes, droites pour les encadrements des corniches. La construction ici est sobre et ne s'enrichit pas de motifs ornementaux particuliers. Les lignes sont toutes simples et servent exclusivement à mettre en valeur la stabilité. Le décor se réduit à quelques dessins sur les parties métalliques: linteaux, grilles des portes, balustrades, etc.

Il se peut parfois que sur certaines portions de maçonnerie, l'habitude de dissimuler les joints par la juxtaposition de pierres taillées soit abandonnée, au profit d'un crépi, ce qui donne comme résultat un double aspect de pierre de taille et d'enduit.

Plus tard, dans les années 1880, nous verrons la brique faire son apparition, comme matériau complémentaire de construction, s'accompagnant, simultanément, d'une fonction décorative: église Saint - Pantéleïmon (la reconstruction de fond en combles de l'église commença en juillet 1880), bâtiment de la gare de chemin de fer, maison de Malakassis, Eglise Saint-Spiridon (1900).


LES BATIMENTS NEOCLASSIQUES ET LES DERNIERES MAISONS EN PIERRE.

A la fin du XIXème s., nous pénétrons en plein dans la période (du style) néoclassique.

Fondation Xénocration - Ecole de jeunes filles (1885) - maison de Chrissoyélos ( 188?) - maison Pétropoulos, rue Charilaos Tricoupis (1902) - Hôpital Hatzikostas (1906). Cette mode s'est étendue sur plusieurs décennies, ornant notre ville de nombreux et très beaux exemples de ce nouveau style. Ici, l'élément décoratif, avec les couleurs et la distribution des lumières et des ombres qui le complètent, joue le premier rôle dans l'art de construire, comme chacun sait.

Cependant, avant de poursuivre, j'ouvrirai une parenthèse à propos d'un bienfaiteur de notre ville, le plus généreux qu'elle ait connu, qui lui offrit "Le Xenocration - Ecole de jeunes filles", comme on la nommait au début. Sur la famille des Xenocratis, nous avons un témoignage dans la grande encyclopédie grecque à l'article "Kyriazis Georges": les frères Théodore et Constantin Xenokratis, qui avaient fondé en 1881 " l'Hôpital Xenocratis" à Bucarest et en 1885 " l' Ecole de jeunes filles" à Missolonghi, étaient les oncles du médecin Georges Kyriazis, originaire de Platanos, près de Naupacte, qui occupa le poste de directeur de cet hôpital de Bucarest . Avec sa sur Hélène, il fonda dans notre ville l' Ecole Professionnelle qui reçut en 1926 leur nom.

Ainsi, Costas Pétronikolos, dans son livre Rues et places de Missolonghi" (1981 p.103), mentionne que Constantin Xenocratis était originaire de Smokovo en Thrace et avait combattu avec ses frères Anastasis et Théodoros à Dragatsani. Enfin, des informations complémentaires sont à la portée de tous dans l'encyclopédie Ilios à l'article Kyriazis Georges. Avec les frères Hatzikostas, les frères Xenocratis et les frères Kiriazis, se referme le cercle des bienfaiteurs de Missolonghi, qui l'ont enrichie de bâtiments, et de dons à but social.

Et il est dommage, que le don d' Evgénios Evgénidès, en vue de construire un théâtre municipal sur l'emplacement de l'actuel Palais de Justice, n'ait pas été suivi d'effet, puisque par là-même, Missolonghi a perdu la seule occasion de posséder un "Evgénidion Mélathron" (Palais majestueux), comme on l'avait surnommé.

Mais, si nous nous tournons à nouveau vers les bâtiments néoclassiques qui ont vu le jour à Missolonghi, à la fin du siècle passé et au tout début du nôtre, nous avons la preuve, renforcée par d'autres données de cette époque, d'un grand épanouissement économique, au cours duquel les richesses n'ont pas été thésaurisées, mais investies en travaux d'architecture et de décoration qui ont embelli et orné la ville.

Il faut reconnaître qu'un bâtiment néoclassique, signe extérieur de l'aisance de son propriétaire, est aussi un bien public, du moment où il est plus fait pour réjouir ceux qui le voient "du dehors " que ceux qui vivent "à l'intérieur" .

C'est une raison supplémentaire pour effectuer la restauration et la rénovation des parties extérieures de ces bâtiments, auxquelles la commune, l'État, doivent apporter tout leur soin.

Donc, les maisons néoclassiques de Missolonghi présentent en général les éléments suivants :

- des acrotères et des tuiles faîtières sur le toit, dont la ligne droite se brise parfois sur un fronton, des consoles en céramique, avec de petites dents sous le bord du toit, mais aussi, des corniches avec des consoles aux encadrements des fenêtres, de fausses colonnes en bas-relief et des chapiteaux sur les élévations et dans les coins, des balcons de marbre, des consoles aux bas-reliefs de belle prestance, aux lignes pures ;

- des grilles aux balcons, soit en fonte, soit en fer forgé, aux dessins variés, des cannelures à hauteur des étages, mais également au dessus des saillies des fenêtres, des ornements en marbre sur les portes d'entrée, mais aussi, sur les portes de la cour (maison Manessis) et également des colonnes en marbre et des escaliers en marbre d'un seul bloc (soit extérieurs, soit comportant quelques marches en marbre à l'intérieur).

Nous remarquons une singularité, venue de l'étranger manifestement, dans la maison Tricoupis, près de la première arche: sa marquise et ses gouttières en bois.

Cependant, si tous les bâtiments néoclassiques sont entièrement revêtus d'un enduit, exception faite de la maison de Malakassis, qui peut-être n'a jamais eu le temps d'être crépie, une contrainte particulière a imposé l'utilisation de la pierre taillée. Il en va ainsi pour les bâtiments dont le rez-de-chaussée est affecté à un usage commercial. Pour que les magasins soient alignés au rez-de-chaussée, nous constatons que ces bâtiments sont construits sur quatre piliers d'angles décorés avec des chapiteaux, et dont l'assise est constituée d'une seule pierre de taille d'une hauteur de 70 à 80 centimètres, découpée en ligne droite ou selon une courbe irrégulière.

La fondation Xenocration comporte ainsi dans la partie inférieure de sa façade, un revêtement en pierre avec un rebord, alors que la maison Pétropoulos possède une belle maçonnerie en pierre de taille de forme irrégulière, sur une hauteur d'environ deux mètres.

A la période néoclassique, qui s'achève avec la Mairie pseudo-classique (1932) et dans laquelle il conviendra de ranger également une grande catégorie de maisons sans critères architecturaux ou décoratifs particuliers, a succédé, bien avant la date la plus récente mentionnée ci-dessus, une nouvelle époque de constructions en pierre, d'une ligne simple, mais esthétique, utilisant maintenant le ciment et les poutres en fer, pour les frises et les dessus de portes.

Cette période s'est achevée, elle aussi, à l'arrivée du béton armé, vers le milieu des années 1960.

Bien sûr, dès les années 1930, on voyait déjà les premières constructions aux structures en béton: le lycée, la maison Plataniotis (rue Byron) et la maison Bousbourelis ("Place des Cinq Premiers Ministres"), mais dès 1965 et depuis, cette nouvelle technique a pris une importance prédominante.

LES MAISONS TRADITIONNELLES DE MISSOLONGHI ET LES CABANES DE PECHEURS

 

Je décrirai enfin les maisons traditionnelles de Missolonghi, qui se présentent comme des constructions d'un genre particulier et purement local. Ces maisons renvoient au plus lointain passé de notre ville. Elles ont à peu près complètement disparu ou ont été tellement remaniées que leurs signes architecturaux distinctifs se sont estompés.

Ce sont des constructions mixtes, en bois et maçonnerie, dont les cloisons en bois sont en général recouvertes d'un enduit. La partie maçonnée, murs de fondation d'une grande épaisseur, s'arrête habituellement à la hauteur du plancher (au dessus de la cave); à partir de là, elle peut se poursuivre en hauteur jusqu'au toit, sur trois côtés, ou deux ou seulement sur un côté. Le reste est fait en bois, ou en briques. Sur le côté habituellement orienté au midi, on trouve une structure en bois allant du sol jusqu'au toit, galerie couverte surélevée (appelée le "montzos") à laquelle on accède par un escalier en bois, et en dessous de laquelle se trouve la cave ouverte destinée aux travaux de la huche, au rangement des instruments de pêche et des palangres. Quelquefois, ce balcon abrité se transforme en une loggia plus ou moins fermée.

Il reste, çà et là, quelques maison basses, habituellement longues et étroites semblables à des carcasses posées sur le sol, vestiges ultimes issus de la nécessité et de l'utilité: ce sont les très vieilles maisons basses des "vêpres" de Mimis Libérakis, avec leurs grand-mères assises sur des chaises basses, se racontant des histoires du temps passé.

Parlons aussi des "yeux" et des "bouches" des maisons.

Je dirai que le "montzos", cette galerie couverte, parfois entièrement vitrée, dont nous avons parlé comme d'un rectangle se surajoutant à la maison, et dont la forme pouvait être artistique (maison de Palamas) s'est imposée dans de nombreuses maisons traditionnelles comme un trait distinctif. C'est dans la galerie que les maîtresses de maison accomplissaient les tâches qui nécessitaient beaucoup de lumière: la broderie, ou la couture à la machine. Autrefois, accoudées sur la rambarde de la galerie, elles s'entretenaient avec leurs voisines. De plus, dans de nombreuses maisons, nous rencontrerons, en gravissant l'escalier de bois, une structure vitrée avec de petits carreaux polychromes de différentes formes. Cette illumination joyeuse apporte une lumière d'arc-en-ciel.

Les volets extérieurs des portes et des fenêtres, dans ces maisons traditionnelles, (disons toutes celles qui sont antérieures à la construction en béton armé) sont, en général, à deux ou quatre battants. Nous remarquons des persiennes fixes ou mobiles, certaines munies d'une charnière ouvrant vers l'extérieur la partie basse de la persienne. Cette partie mobile est nommée "tsaka" (à cause du bruit qu'elle fait). Parfois, il n'y a pas de persiennes en bois plein mais des lattes en rouleau. Dans deux ou trois cas, nous remarquons que les volets pleins sont sur le chambranle intérieur de la fenêtre (maison de Libérakis).

Les portes d'entrées entièrement en bois offrent une grande variété de dessins et de couleurs, avec leur vitrail et leurs grilles, ou sont "pleines". Toutes sont munies de poignées en bronze ou en fer et de heurtoirs, dont chacun essayait de personnaliser le timbre. Le quartier reconnaissait ainsi la porte où l'on frappait.

Les portes des magasins, celles des bâtiments publics (églises, mairie, etc.) également en bois, sauf s'il y avait un store métallique ou une grille, étaient à un seul battant, en deux parties ou découpées en quatre. Elles étaient, dans ce cas, protégées par des barreaux de fer.

Nous observons soit des vitrines munies d'une protection de panneaux amovibles, soit dans les magasins qui semblent plus anciens, de part et d'autre de l'entrée, des panneaux de bois se soulevant de bas en haut.

Comme nous l'avons fait pour les portes et les fenêtres, jetons un rapide coup d'il sur les portes cochères, lorsqu'une cour existe devant la maison. Ces portes, sauf celles qui sont en bois, sont des grilles de fer ornées de différents motifs, comportant généralement les initiales du propriétaire. Chacune d'elles produit un bruit caractéristique à l'ouverture et à la fermeture.

Les toits des maisons dont nous avons parlé sont toujours recouverts de tuiles, principalement de tuiles romaines, contrastant avec les tuiles rouges mécaniques dont la couleur reste identique, alors que les premières prennent différentes nuances. Nous constatons que ces toits abritent ici ou là une mansarde, munie d'une ou plusieurs ouvertures, du côté le mieux exposé. Il arrive que cette mansarde ait servi de logement.

 

Cette promenade dans l'espace urbain de notre ville ne serait pas complète si nous passions sous silence les habitations sur pilotis, c'est-à-dire les cabanes des pêcheurs de Missolonghi, dites "pélada", pl. "péladès". Les pêcheurs du vivier les utilisaient comme lieux de séjour et ateliers. Au bord de la route de Tourlida ou du boulevard périphérique, elles servaient autrefois d'habitation permanentes, ou seulement pour tout un été, à des familles de la ville. Il s'agit des anciennes cabanes de pêcheurs, dont aucun spécimen n'a été conservé aujourd'hui, et qui étaient traditionnellement faites de matériaux trouvés sur place, bois, roseau et chaume. Les artisans versés dans cette technique travaillaient en aimant leur métier. Leur manière de faire aboutissait à une synthèse harmonieuse d'éléments fonctionnels et d'architecture sur l'eau. Ainsi, l'on obtenait une combinaison et une distribution des espaces habités, selon que l'on y accédait par une passerelle, ou à partir d'une barque. Mais la cabane du pêcheur de Missolonghi, nous le savons, de même que les visiteurs de passage s'en sont rendu compte, fait partie d'un lointain passé, sans retour possible.

LES INTERVENTIONS SUR L'ESPACE URBAIN ET LEURS CONSEQUENCES NEFASTES

Les interventions sur l'espace urbain n'ont pas manqué, j'entends par là celles qui ont modifié, et généralement, rompu l'équilibre des volumes, des formes, des matériaux et des couleurs, cet équilibre qui, depuis de nombreuses années, avait façonné une identité originale jusqu'à l'irruption de nouvelles techniques inaugurant le règne du ciment, de l'aluminium, du plastique et des grands panneaux de verre .

Certes, dans le passé, les intentions de modifier l'aspect des constructions existantes n'ont pas manqué, principalement par l'emploi de matériaux nouveaux mais ces modifications, qui s'effectuaient au nom d'un équivoque "embellissement" n'étaient pas suffisantes pour troubler l'harmonie des formes et l'esthétique du lieu, et pour atteindre ce niveau de dégradation effectif en deux ou trois décennies.

Devant l'invasion du béton armé, non seulement l'espace traditionnel n'a pas été conservé, mais de plus, personne n'en a pris soin, (à l'inverse de ce qui s'est produit, par exemple, à Lesbos et dans les Cyclades), alors que de nouvelles formes, liées à un nouvel art de bâtir, auraient dû s'adapter et rester en harmonie avec les lignes traditionnelles là où du moins, elles devaient se substituer à d'anciennes constructions. A l'extérieur du centre traditionnel, elles auraient pu se donner libre cours. Les intérêts particuliers et bien compris n'auraient pas été entamés, mais les qualités esthétiques locales auraient été protégées des horreurs criantes qui ont surgi de manière démesurée. Je vise ici l'horreur en ciment qui figure à côté de la fondation Xenocration, fier de son grand nombre d'appartements, tel une autre tour de Babel haussant sa taille, en faisant de l'ombre à l'église Saint - Spiridon.

Malheureusement, les conséquences néfastes d'un choix ne sont jamais immédiatement visibles, et nous ne prenons conscience du désagrément qu'après coup, lorsqu'il est déjà trop tard pour revenir en arrière.

Ce qui a nui à notre ville ( le béton armé et les nouveaux modes de construction ont donné l'occasion à certains de s'enrichir du jour au lendemain et c'est à peine si nous réalisons que le seul résultat en est un mode de vie insupportable: même l'air que l'on respire deviendra un bien de consommation) c'est que, incapables de préserver un héritage que nous avons reçu sans effort, et dont il ne subsiste que d'anciennes gravures et photos jaunies, nous n'avons pas songé à imiter les gens des autres pays: eux, au moins, peuvent lire à livre ouvert l'histoire architecturale de leurs villes, grandes ou petites, sur plusieurs siècles. Comme nous aurions dû faire de même !.

Cependant, il ne s'agit pas de revenir en arrière comme un fleuve remonterait vers sa source, mais d' avoir honte de ces pages récentes qui comportent des taches indélébiles, des fautes d'orthographe qui frisent le ridicule. Le pire, avec ces fautes, que l'on aurait pu éviter - ces immeubles au centre ville - est que nous nous y sommes habitués et qu'elles ne nous choquent même plus quant à l'esthétique du centre ville.

On a commis une erreur, en peignant ou en blanchissant à la chaux, les pierres de taille et les blocs de marbre, cela au nom d'un "embellissement" général de notre ville. Et cet acharnement à "embellir" n'a pas épargné les pierres de taille du soubassement des édifices néoclassiques, les colonnes de la clôture du Jardin des Héros et de l'hôpital Hatzikostas, les encadrements des portes en pierre, les balcons et les consoles en marbre, le pseudo-moulin à vent en pierre (uvre de Philippe D. Tinkas).

Une autre erreur courante et de mauvais goût: le revêtement des façades, au rez-de-chaussée, en aluminium, en plastique, mais aussi en bois. Il s'agit d'habillages qui "ne vont pas" avec la disposition architecturale des édifices de construction ancienne.

De même, le badigeonnage des maisons en pierre décorées avec un soin particulier, enlève toute la grâce et la beauté de la pierre de taille et du jointurage soigné, sans oublier ce goût superflu pour les enduits. Le retrait (printemps 1988) des revêtements du rez-de-chaussée des maisons (rues A. Ratzikotzikas - D. Makris) met en valeur l'agencement des pierres bien jointurées et témoigne d'un choix enfin judicieux. Nous devinons encore ce qui se cache sous le revêtement de la maison au 11 de la rue Archevêque Damaskinos: provenant de la construction primitive, les encadrements voûtés en pierre des portes et la plaque en pierre comportant la date de fondation (1856).

Un autre méfait consiste à détruire les éléments décoratifs et architecturaux (ce qui se produit pour les rez-de-chaussée utilisés comme magasins, cafés, lieux de réunion, etc.) issus d'une construction traditionnelle pour introduire à leur place des structures en fer ou en aluminium, de mauvais goût. Récemment, début 1988, on a enlevé deux encadrements de portes en pierre, en forme d'arc, et tout le mur de la façade, au rez-de-chaussée de la maison du 3 rue Makris, pour ouvrir un magasin. On peut se demander, ici, pourquoi l'organisme municipal compétent accorde de telles autorisations pour la conversion d'une partie d'un bâtiment à caractère architectural traditionnel, ce qui a pour effet la transformation de l'édifice tout entier en une entité monstrueuse. Notre ville, sur ce point, pourrait revendiquer le prix national des monstruosités.

De même, que dire des portes en aluminium ou en fer qui remplacent les portes d'entrées en bois des maisons traditionnelles, que ce soient celles de la fondation Xénocration, de l'hôpital Hatzikostas, ou de l'église Sainte - Paraskévi !

De plus, les adjonctions réalisées avec de nouveaux matériaux et des techniques modernes sur des maisons traditionnelles, les différents parements des portes par des plaques de marbre, etc. sont également incompatibles et ressemblent à des rapiéçages effectués sur un beau vêtement, même pâli par le temps.

Le dallage au Jardin des Héros est également mal adapté, et je ne porte pas de jugement sur les revêtements successifs de notre Place Centrale déjà très éprouvée. Il est inutile d'en dire plus.

De même, je m'opposerais (même si je suis seul) aux murets en ciment et aux dalles que l'on a posées en 1990 devant la maison de Palamas, sur la place contiguë à cette demeure.

Enfin, avec maladresse, les récentes extensions vers l'ouest, du côté du boulevard périphérique, et vers l'est, du côté de Kaliantéri, ne se sont pas vraiment intégrées à l'ancienne ville, dans la mesure où les rues des nouveaux quartiers d'habitation n'ont pas été tracées dans le prolongement des rues du centre originel, et que le plan d'ensemble directionnel des artères principales (direction Spir. Tricoupis vers le Varassova) n'a pas été maintenu.

 

ABANDON MAIS AUSSI RESTAURATION

Quelques rénovations de bâtiments traditionnels totalement, ou partiellement, ont réussi à mettre en valeur la grâce et la beauté de la première période.

Je mentionnerai ici: la maison Papathéodoros (rue Charilaos Tricoupis - Lord Byron), la maison Papachristos (place centrale), la maison G. Tsoukalos (place des Cinq Premiers Ministres), la maison Kéké (23 rue Ratzikotzikas) avec sa plaque de marbre à l'angle rappelant qu' Athanasios Ratzikotzikas est né ici même, la maison Kaloyérakis (19 rue Ratzikotzikas), - sauf qu'ici les marbres et les consoles sont encore peints - le magasin Alexandris Frères (autrefois N. Katsis), l'ancien cercle " Thémis", la maison de Manessis, l'hôpital Hatzikostas (excepté le kiosque de l'entrée, et le kiosque de dimension importante qui lui fait face dans le petit bois), la fondation Xénocration quoique l'on n'y ait pas rétabli l'ancienne décoration (la préférence a été donnée aux structures en métal pour les portes et les fenêtres). Il faut encore attendre la fin des travaux de la maison de Pétropoulos sur le marché aux poissons.

Parallèlement aux interventions néfastes - sinon même de mauvais goût - sur le milieu urbain de notre ville, dont j'ai entrepris de donner un aperçu, il faut signaler l'abandon de maisons en ruine, livrées aux attaques des vents et des eaux.

Parmi tant et tant d'autres, c'est le cas de la maison de Malakassis, qui, pour la deuxième année consécutive est sans toit, traversée par la pluie. Et tout un chacun peut penser qu'il conviendrait, pour des maisons sans problème particulier de fondations, de les restaurer (et d'aménager peut-être l'intérieur) pour qu'elles retrouvent leur splendeur et leur vie d'antan.

L'idée de mettre à la charge de l' Etat la restauration des bâtiments existants pour y abriter ensuite des services a déjà été émise. Elle a rencontré un large terrain d'entente, dans le souci de sauvegarder ce patrimoine.

Malheureusement, on a préféré édifier la Préfecture: le seul montant des travaux de consolidation du sol aurait suffi pour restaurer de nombreux bâtiments traditionnels.

LES HABITANTS ET LEURS METIERS.

La situation physique de Missolonghi et les conditions économiques multiples engendrant un besoin de main-d'uvre, sont les données qui ont déterminé la formation de classes sociales caractérisées par la provenance géographique et les métiers pratiqués, dès les premières années de la libération jusqu'à nos jours.

Évidemment, une donnée géographique, bien que constante, finit par s'estomper devant des bouleversements qui la rendent inopérante, comme ce fut le cas ici. Dès le moment où les communications et les transports ont suivi la route à l'intérieur des terres, par Rhion - Antirrhion, la conséquence fut pour Missolonghi la perte de ses activités de transport maritime, un peu plus tard, celles du transport ferroviaire, et un éloignement l'isolant de la route nationale.

Depuis plus d'un siècle, Missolonghi était la porte naturelle de la Grèce de l'Ouest et de l' Epire, porte ouverte sur la mer vers le Péloponnèse et la Capitale, c'était le débouché naturel de toute cette région et des îles voisines (surtout Céphalonie qui enrichit notre ville en ressources humaines).

Ainsi, après la destruction de sa flotte de commerce en 1770, puis à nouveau en 1804, Missolonghi, qui "s'est fait connaître comme un port essentiel pour la Grèce, et vraisemblablement comme la pépinière du grand développement de la Marine Grecque d'alors " , n'a jamais plus retrouvé la gloire et la splendeur de sa forte flotte de commerce du XVIIIème siècle, avec laquelle elle avait réussi à concurrencer la flotte vénitienne . Elle est restée, dans les années qui suivirent l'indépendance, l'un des cinq ports du pays et le siège d'une des cinq circonscriptions maritimes, d'après le statut de l'administration des ports de 1834, ce qui indique qu'outre son rôle dans le commerce et la circulation des marchandises, la ville était largement ouverte aux professions en rapport avec le transport maritime. Pour les énumérer, il faut commencer par les travaux de construction navale et d'armement des chantiers de bois de cette époque, exception faite naturellement des barques et des embarcations à fond plat des pêcheurs (que l'on nommait "polaque", "martingos" "frégates" "pingos", etc. car il existait ici, pour ce type de construction navale, une tradition remontant au XVIIIème siècle, à considérer que sur les 48 bateaux missolonghiens mentionnés dans un rapport du 12.11.1764, 36 ont été construits à Missolonghi, ainsi que 14 des 23 bateaux d' Etoliko - cf. K. Sathas, op. cit..) pour passer ensuite aux propriétaires des bateaux et à leurs capitaines, aux fournisseurs et aux équipages, aux comptoirs maritimes et aux bureaux de dédouanement, aux dockers qui chargeaient et déchargeaient sur les quais et à terre, aux charretiers et aux constructeurs de carrioles, mais aussi aux aubergistes etc. Ainsi, parallèlement à la production initiale de la lagune (pêcheries et salines), et aux diverses activités agricoles et aux petites entreprises d'élevage dans la plaine de Missolonghi, un deuxième secteur d'activité s'implante, axé sur la construction navale et les équipements nautiques, englobant la fabrication des charrettes (et les activités de tonnellerie, le tissage, la fabrication des macaronis, l'industrie du tabac, etc.). Puis, naît un troisième secteur, la fourniture de services, si bien que de nombreuses et différentes occasions d'embauche sont offertes ici, ce qui explique, toutes proportions gardées, l'importance du solde migratoire au profit de notre ville, depuis les premières années qui ont suivi la libération: "à Missolonghi et dans les environs, la population augmente de jour en jour" (1830). Indiscutablement, nombre de métiers cités ci-dessus (auxquels il faudrait rajouter les professions en rapport avec le chemin de fer) ont disparu, comme les chantiers navals et les charpentiers de marine, mais de petits chantiers de construction navale subsistaient encore ici, sur le môle jusqu'au milieu des années 1950, de même qu'à cette époque, les services maritimes et de dédouanement fonctionnaient encore.

Le premier noyau de la population de notre ville a été formé par le retour après la libération de ceux qui avaient quitté la ville avant la "Sortie" et par ceux qui s'enfuirent de Missolonghi durant la"Sortie". Par la suite, les gens descendirent des villages du Mont Zygos et de la région de Makrinia, des montagnes de Lépante et de l'Eurytanie (Ambliani ) , de l' Epire lointaine encore asservie, du Péloponnèse et des îles Ioniennes - en particulier les céphaloniens, avec lesquels, comme l'indique K. Sathas, existaient depuis le XVIIIème siècle, des liens professionnels, mais aussi familiaux - et enfin de notre proche voisine Etoliko.

Pour clore le chapitre de l'immigration jusqu'en 1940, date-limite à partir de laquelle on assiste au gonflement de la population d'Athènes, il faut mentionner le contingent de réfugiés d'Asie Mineure (1922) puis de Russie (1937) qui préféra dès les années 50 se regrouper dans la capitale. Les éléments étrangers s'assimilèrent facilement à la population locale et acquirent en moins d'une génération une identité missolonghienne grâce à divers mariages.

De même, tout étranger qui a passé une partie de sa vie à Missolonghi, ses années de collège, s'est lié si intimement à ce lieu, à ses fêtes et aux gens, qu'il se sent missolonghien, jusqu'à y être enterré.

Le fait que, depuis des décennies, notre ville ait élu un maire d'origine céphalonienne, qu'elle ait eu en tout trois maires venant de cette île, qu'une partie notable de la population soit issue de Céphalonie, n'est peut-être pas sans rapport avec la conscience que les missolonghiens ont de leurs origines céphaloniennes (l'élément céphalonien figure en très grand nombre dès les origines de la ville).

S'il est difficile de donner une origine géographique aux métiers, du moins nous notons que des professions déterminées avaient une origine géographique particulière, et que les gens s'orientaient vers une activité définie, en fonction de leur provenance.
Ainsi, la construction navale et les autres métiers de la mer, sont depuis longtemps l'apanage des gens de Missolonghi, d' Etoliko ou des îles ; les boulangeries, par exemple, en 1940, étaient aux mains des épirotes, sauf une, qui appartenait à un crétois ; les orfèvres et les rétameurs étaient aussi épirotes. Les tailleurs et de nombreux épiciers venaient de la région montagneuse de Lépante, tandis que les fruitiers et les jardiniers étaient céphaloniens. Les maçons, nous l'avons dit, arrivaient des villages de la région de Konitsa et de Krikellos. Enfin, les agriculteurs, les éleveurs, les laitiers et les fabricants de yaourt, à l'époque où ils faisaient du porte à porte pour vendre leur produits, descendaient des montagnes de Lépante, d'Eurytanie, mais aussi de la Doride.

Evidemment, ces rapprochements ont un caractère tout au plus indicatif, sans prétendre faire le tour de la question, puisqu'on ne peut d'ailleurs citer tous les métiers. Une telle recherche dépasserait d'ailleurs les limites de notre propos.

Naturellement, de génération en génération, on a vu et on continue d'observer sur place de nombreux brassages, un développement important des études scolaires, des sciences et autres disciplines, qui ont pour effet de faire disparaître ce rapport initial entre l'origine géographique et la profession.

Et Missolonghi a eu également des hommes politiques et des généraux, cinq Premiers Ministres, mais aussi des poètes et des hommes de lettres dont le rayonnement a dépassé les frontières du pays. Je ne m'éterniserai pas sur cet aspect de Missolonghi. Pourtant, du fait que le contenu de ce livre est plutôt iconographique, je me limiterai à deux idées en ce qui concerne Missolonghi et les beaux - arts, avec les exemples des Kassolas et du peintre populaire Tassos Mantas.

Tout d'abord, mentionnons le diacre Démètre Kassolas et ses trois fils, tous peintres de scènes religieuses et laïques, qui ont décoré des églises, de Missolonghi à Salonique, qui furent également auteurs de nombreuses uvres à caractère historique, de peintures de genre, et de représentations de la lagune (voir la Galerie Municipale ou des collections privées).

Quant à Tassos Mantas, c'est un peintre aux nombreux talents, à l'inspiration toujours changeante. Il a tiré de la lagune, d'une fantaisie innée et visible dans ses uvres, et des scènes prises sur le vif de la vie quotidienne d'autrefois, son inspiration: un étalage en plein air, la rue, les cafés, les coiffeurs, les tavernes et les poissonneries, les magasins du marché d'en haut, et bien sûr, l'intérieur des pièces et salons des maisons. Ses uvres tombèrent plus tard en disgrâce, mais aujourd'hui, elles revivent comme d'anciennes représentation du passé.

MISSOLONGHI ET LES AUTRES

Je terminerai ce panorama historique par quelques citations d'origines diverses, sur Missolonghi et les Missolonghiens, textes écrits par des personnes extérieures à notre ville, à différentes époques afin de prouver que plus d'un apprécie Missolonghi.

"Les gens de Céphalonie qui avaient depuis très longtemps des liens d'amitié et des rapports familiaux avec les Missolonghiens, estimaient l'honnêteté et le dynamisme de ces derniers, qualités d'ailleurs indispensables dans l'exercice de la Marine Marchande". K. Sathas, op. cit. p 39.

"A Missolonghi, où on l'avait déplacé en mai 1890, il [Andréas Karkavitsas] vécut les jours les plus heureux de sa vie" Takis Adamos, Introduction au Mendiant de Karkavitsas, p.12, réed. 1987).

" Il évalua l'hospitalité pure et seigneuriale de ce pays (Missolonghi), le caractère souriant et le cur ouvert de ses natifs". A. Karkavitsas, Le Mendiant, p. 63, réed. 1987.

"Il eut la chance de passer à Missolonghi, pour voir les membres de sa famille, pour rencontrer son groupe d'amis, pour chanter un chant de Jannina avec Batarias au petit café de Tourlida, et pour harponner quelques petits poissons en barque sur la lagune". A. Karkavitsas, op. cit. p.61-62.

" Ici même, à Missolonghi, avec sa population simple, polie, aux habitudes saines, sans arrière-pensée instinctive, j'ai fait fonction de procureur durant dix ans, de 1952 à 1961. A Missolonghi, le soleil a une très longue route à faire dans le ciel, il n'est pas limité par les montagnes, aussi se fatigue-t-il, en raison de l'horizon vaste qu'il rencontre. En dépit de ses innombrables pouvoirs de séduction dont elle se sert pour conquérir l'étranger, Missolonghi avait, du moins en ces années -là, des inconvénients."

(L'auteur fait référence aux souris dans les vieilles maisons).

Paul Delaportas, L'Agenda d'un Pilate , p. 212, 1978.

 

"Les pêcheurs qui habitent encore en cet étrange royaume de l'eau et du sel, des cabanes faites de roseaux tressés, connaissent le nom de Byron. Ils ne savent pas qu'il était un poète mais, si on les interroge sur lui, répondent " c'était un homme courageux, qui est venu mourir pour la Grèce parce qu'il aimait la liberté".

André Maurois, Byron, p331, 1930.

 

" Il passa [Costis Palamas] une adolescence rêveuse sur les bords de la lagune de Missolonghi".
Bruno Lavagnini, Dictionnaire des auteurs, II, p. 311. 1964.

" Tout a été offert à l'horizon et à l'immobilité, sans limites. Les cris s'apaisent, les oppositions s'aplanissent: une petite chapelle, un clocher, une ancienne maison seigneuriale se dressaient, s'autorisaient un mouvement vers le haut, une timide fuite en hauteur

Le tout dévoile perfection et grâce, plénitude et contentement, c'est le parchemin de la beauté naturelle, c'est un contenu vénérable qui se verse et se donne d'une cruche à l'autre".

(L'auteur exprime ainsi la continuité entre les générations) D. Vassiladis: En marche vers les formes et l'aspect de l'espace grec, 2ème éd., 1976, p.235 et p.242.

 

Ces aspects de notre ville ont été répertoriés avant la calamité du béton et le grand chamboulement de 1973.

 

Un autre fait révélateur, au delà de l'attrait qu'exerce Missolonghi sur les étrangers qui nous rendent visite, séduction qui n'est pas seulement passagère, mais qui s'inscrit dans la durée, est la création par le Lycée Lavoisier de la ville de Mayenne en France au début des années 80, d'une association qui a pour nom: "Les Amis de Missolonghi". Cette association a édité des cartes doubles illustrées de photos de Missolonghi, prises par deux de ses membres.

Ce portrait que j'ai entrepris de donner de notre petite ville s'achève donc avec cette brève compilation de textes qui ont mentionné Missolonghi depuis deux siècles.

APPENDICE: PERSPECTIVES D'AVENIR

Au delà de l'épanchement lyrique qu'il est de bon ton de mettre en avant chaque fois qu'il s'agit de "ces chères vieilles années", on peut légitimement se demander s'il existe des perspectives pour un "meilleur" avenir, pour un renouvellement sans lequel tout le monde perdra encore davantage dans cette ville.

Sans faire preuve d'exagération ou d'un optimisme démesuré, on peut affirmer que ces potentialités pour un renouvellement et pour un avenir meilleur existent. Il est seulement nécessaire de créer un contexte favorable, d'agir avec prudence en vue du meilleur résultat possible, qui unirait à la fois l'utilité et la beauté, de manière à satisfaire les besoins des habitants de notre ville, et simultanément, à réaliser de quoi constituer un pôle d'attraction neuf par rapport à l'histoire et à la tradition.

Je ne m'intéresserai pas directement ici aux possibilités d'un développement meilleur ni à l'exploitation des ressources régionales de notre ville (lagune, activités industrielles etc.) mais à ce que l'on voit à l'oeil nu, à l'aspect de la ville, à son esthétique, à ce qu'apercevrait un visiteur, ce qui a pourtant une portée économique à corréler avec un projet de développement. La ville peut prendre un aspect nouveau et s'embellir si l'on recrée les plages perdues dont nous avons été privés depuis deux décennies.

Cela pourrait se faire en construisant un autre boulevard périphérique longeant les nouvelles plages, au sud-est et à l'ouest de la ville. Cette nouvelle route en bordure de mer permettrait en même temps une nouvelle organisation du plan de circulation et l'implantation de nouveaux "belvédères" comme l'étaient "Kala Kathouména" (ceux qui sont bien assis) et les petits cafés de Kaliantéris et d' "Anemomylos" (Moulin à vent). Il faudrait naturellement aménager les plages, décorer, par des plantations d'arbres, les voies naturellement créées pour la promenade et l'accès vers le boulevard circulaire, etc.

En même temps, pour la partie ouest de la lagune, qui subsiste dans le quartier de Plostainass, close en ce moment, et sans communication avec la portion libre de la lagune, il conviendrait d'ouvrir, au moyen d'un système d'écluses, deux orifices au moins dans la digue nord du chenal qui relie Missolonghi à Etoliko, pour enrichir en eau de mer tout l'espace que le canal de distribution des salines de Phinikia, (depuis la lagune de Klissova) laisse sans emploi, jusqu'à ce que les eaux se renouvellent et que cet espace soit mis à niveau avec la lagune. De la même manière, le canal de distribution des salines de Phinikia, c'est-à-dire la section qui traverse la partie sud de la ville jusqu'à la première arche, doit être rectifié, autant que possible, et consolidé pour éliminer enfin la laideur et la crasse actuelles. Ce devrait être une obligation pour la Société des Salines.

Avec ces projets de travaux qui ne sont pas le fruit de mon imagination (nous en parlons entre nous), les parcelles de terre ferme récemment conquises sur la lagune (celles qui ne sont pas nécessaires aux activités économiques, mais servent en ce moment de décharge publique et de lieu de dépôt pour les matériaux de démolition, tandis que sur leurs pourtours maritimes surgissent des constructions misérables, illégales, dont les propriétaires, un jour, revendiqueront leurs droits à l'occupation du lieux), s'adapteraient organiquement à la fonction urbaine, et parallèlement, serviraient d'espaces verts et de terrains d'agrément. La ville devrait acquérir les nouveaux fronts de mer de la lagune, et les rivages délaissés deviendraient accessibles aux promeneurs, afin que le rivage maritime constitue un pôle d'attraction pour les touristes, et une occasion de prolonger le temps de leur visite.

Incontestablement, ces aménagements ambitieux qui donneraient un autre aspect à notre ville, sont nécessaires. A une autre époque, cela aurait constitué une entreprise de longue haleine. En revanche, les moyens et les techniques d'aujourd'hui permettent une réalisation rapide. Il conviendrait donc, que les dirigeants de notre ville, toutes sensibilités politiques confondues, se retrouvent à la même table pour débattre de toutes ces propositions, pour élaborer un schéma directeur définissant ce qui pourrait se faire ici ou là, mais cela n'a pas encore eu lieu. Il leur faudra tomber d'accord pour s'engager dans un programme de travaux et un plan d'intégration progressive, nécessitant par ailleurs la recherche de moyens adéquats au financement du programme.

Hormis cela, il n'y a pas actuellement d'autre projet sérieux d'exploitation touristique de la majeure partie de la ville, susceptible d'attirer un flux touristique local ou étranger. Ces dernières années, de très nombreux étrangers venus par la route, par la mer, par leurs propres moyens, ont visité notre ville, ne serait-ce qu'une seule journée.

La bande de sable à l'ouest du chenal du port, qui va jusqu'à Tourlida, seulement coupée en un point par le canal de Missolonghi - Etoliko, s'offre pour une telle réalisation.

Je ne pense pas qu'il soit nécessaire, et tout le monde sera d'accord, d'ériger de grands ensembles hôteliers, monstres dressés qui anéantiraient l'équilibre du lieu. A l'inverse, des bungalows sur pilotis, comme ceux de Tourlida, peuvent parfaitement être mis en chantier en vue d'une exploitation touristique et constituer une infrastructure en rapport avec la demande.

Il faudrait, aussi, créer un pont sur le chenal qui unit Missolonghi à Etoliko , construire une route et équiper ce quartier en eau potable et en courant électrique. Après cette première réalisation, suivront les constructions, les campings, les marinas, les plages, etc. Il est bien sûr indispensable que l'Office du Tourisme Grec réalise une publicité appropriée et utilise également tous les moyens à sa disposition.

Je ne sais s'il ne serait peut-être pas utile d'examiner dans le cadre de cette réalisation, soit la renaissance, soit la remise en service des bains de boue, fermés à la suite des grands chantiers à Kaliantéri et tout autour de la ville. Ce serait en plus, avec les aménagements que cela nécessite, un stimulant pour attirer des estivants, en particulier ceux qui prennent des bains de boue pour des raisons médicales.

Je pense, toujours à propos du développement touristique, que notre ville n'a pas su exploiter, c'est-à-dire, n'a pas mis en avant comme il l'aurait fallu, les atouts de renom universel et de rayonnement auxquels elle avait droit (Byron en est un parfait exemple). Une telle chance se présente maintenant puisque notre ville dispose d'une splendide exposition de photos sur "Lord Byron en Grèce", qui a été offerte récemment à notre Mairie par le Consul Britannique , et sans doute, le jumelage de notre ville avec Gelding (Nottinghamshire) en Angleterre (ville où a vécu Lord Byron) ,accompagné de la signature d'un protocole, le 2 décembre 1989, à Missolonghi, va dans ce sens.

J'exprimerai pour finir deux idées en rapport avec les éléments qui composent un espace urbain dont l'équilibre a toujours été perturbé, du fait que les formes dressées (les volumes) prenaient des dimensions excessives, alors que les espaces de plain-pied, rues, places, dégagements, espaces verts, etc. gardaient les même dimensions, quand ils n'étaient pas réduits :

a) Il est nécessaire d'exercer un contrôle pour que le bouleversement de cet équilibre ne soit pas encore aggravé par le fait que, dans les villes contemporaines, plus de gens sont amenés à se déplacer et à s'installer. Une population nouvelle, celle des êtres "spatiovores" comme le sont les automobiles dont le nombre est proportionnel à l'accroissement des immeubles (l'emplacement possible pour une ou deux voitures devant une vieille maison est revendiqué maintenant par dix ou vingt véhicules) a fait irruption de manière irrésistible à l'intérieur des villes et exige maintenant un espace vital pour son existence et ses déplacements, occasionnant des problèmes d'espace, de circulation, de contamination de l'environnement, etc. qui deviennent très rapidement insolubles.

Cette ville ne pouvait rester en dehors du fléau des automobiles. Auparavant, cela ne provoquait pas d'inquiétude (même si, à certaines heures ou certains jours, la ville pouvait être gênée par le mouvement provenant de l'extérieur, provoquant une congestion et rendant impraticables certaines artères). Pourtant il faut essayer de préserver à l'avenir l'équilibre précaire d'aujourd'hui, au lieu de le sacrifier, au profit de quelques appartements supplémentaires dans des immeubles du centre traditionnel.

b) On pourrait construire à la périphérie, sur de nouveaux espaces, des immeubles d'habitation dont les lignes architecturales et la hauteur ne rompraient pas l'équilibre et l'unité de l'environnement. Bien des locations qui font défaut pourraient être mis sur le marché après rénovation des vieilles maisons qui, depuis des années, demeurent vides et inutilisées en attente d'être surélevées.

Bien sûr, les quelques idées et opinions qui ont été exposées ici, n'ont pas un caractère exclusif et personnel. Qu'elles soient considérées comme une occasion de débat.



Georges I. Kokossoulas.


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Parcours 2 :

1.Etymologie

2. Le Jardin des héros

3. Le Monument de Markos Botsaris

4. Célébration de l'Exodos

5. M. Libérakis, poète - Vêpres

 


1) Il faut remonter au milieu du XVIème siècle pour trouver trace d'un habitat et du nom de "Missolonghi". Auparavant, il n'en est fait aucune mention. La plus ancienne vient de la description de la bataille navale de Nafpactos (Lépante), en 1571, par le Vénitien Paruta qui écrit: " le vaisseau amiral aperçut le premier la flotte turque dans le golfe de Lépante. Elle venait à peine de doubler le cap (peut- être veut- il dire le cap de Koutsilaris) là où se trouvent les viviers que les grecs nomment Missolonghi" (cf. K. A. Stasinopoulos, Missolonghi, p. 68 ,1926).

Par la suite, on trouve des témoignages de ce nom dans les anciennes archives de Zanthe, exhumées par leur conservateur en chef, Léonidas Ch. Zoïs, également passionné d'histoire, dont il fit bénéficier Stasinopoulos et le journal "Metaboli" (n° 28 du 26 janvier 1920 ).

Ainsi, à la date du 20 juillet 1545 par contrat de V. Voutonistas, le navire du capitaine Andréas Karadis fut affrété à Zanthe pour un voyage à destination de Missolonghi.

De même, par une convention en date du 11 avril 1572 de Zaphiris I. Roukanis, Georgios Plocheritis, Alexandros Sontikos et Antonios Pentaphilos, de Missolonghi "constituèrent véritablement et juridiquement Stéphanos Biancos comme plénipotentiaire général et délégué universel, à leur place" (cf. Stasinopoulos op. cit. p.68).

De plus , Léonidas Ch. Zoïs indique dans le journal "Metaboli" que le mot Missolonghi se retrouve également dans les conventions de A. Martinengos (1582), Ion. Phranzis (1654) I.Skouloyenis (1666) B. Bonsignor (1672) ,etc.

Enfin, on peut lire dans la chronique de Matesi:

"8 sept.1692, une barque est arrivée de Missolonghi, annonçant que les Turcs se rassemblaient à Lépante."

" 29 septembre 1692, il est arrivé une barque de Missolonghi annonçant que 14 000 turcs sont descendus à Epaktos et que neuf de nos régiments les affrontaient" (cf. Stasinopoulos, op. cit., p.79 - 80.)

Il est évident que Paruta limite l'emploi du mot "Missolonghi" aux viviers, qui abondaient sur toute l'étendue de la lagune, tandis que les témoignages en provenance de Zanthe présupposent l'existence d'un habitat spécifié par un nom, montrent que les habitants y déployaient une activité commerciale ou d'autres activités codifiées par la loi devant les notaires de Zanthe. Evidemment, ce groupement d'habitations fut progressif. Nous pouvons légitimement supposer qu'il reçut un nom arrivé à un certain stade de développement, c'est-à-dire bien avant la date du premier contrat que mentionne Léonidas Ch. Zoïs.

D'autre part, il faut reconnaître que Missolonghi, comme lieu-dit géographique et aussi comme port de mer, ne figura pas immédiatement sur les documents nautiques (portulans) et les cartes marines.

Ainsi, sur le portulan de Taggia édité à Venise en 1573, Missolonghi n'apparaît pas alors que sont mentionnés Etoliko et Galatas (cf.Stasinopoulos , op. cit. p.67).

Cependant, sur les portulans manuscrits que l' historienne Loula Alexandropoulos consulta à Venise, le lieu qui nous occupe est mentionné avec les mots " Porto Peschiere", preuve que dès l'origine, Missolonghi fut connu et fréquenté en tant que port de pêche. Nous pouvons adopter cette autre explication relative à l'étymologie du nom, qui serait d'origine étrangère. On peut émettre deux hypothèses :

a) selon un premier point de vue, " le nom de la ville indique une origine récente, il est lié, semble-t-il, à la fondation de cette ville et à son emplacement, soit au milieu d'une fosse occupée par un lac, soit au milieu d'un bois parce que des bois d'oliviers sauvages et très serrés s'étendent en bordure de ce lac à perte de vue" (cf. Spiridon Tricoupis , Histoire, tome II, p. 236,1925).

Cependant, cette hypothèse est très peu plausible, parce que les plantations d'oliviers n'existent que sur le côté Nord (les trois autres côtés sont baignés par la mer) et cela ne forme pas les conditions nécessaires à un "Mesologgos" ("endroit entre les bois" ) - à la rigueur, cela serait acceptable s'il existait des bois sur deux côtés, au moins - , et d'autre part personne n'aurait pu imaginer à partir de la presqu'île découpée (ou plus exactement à partir des trois petites îles originelles) sur laquelle fut construite Missolonghi, l'existence de fosses au point de parler d'un Mesolakkos ("au milieu des fosses"). Ce qui abondait, en fait, c'était les petits chenaux aux eaux salées.

Pourtant, d'une combinaison d'expressions hellénisées, peut facilement résulter ce nom grec de "Mesologgos" ou de "Mesolakkos" dont l'analyse fait apparaître le sens (il existe d'ailleurs un village de ce nom dans le nome de Kozani)

En effet, cette seconde hypothèse considère que le village primitif a été habité, à la fois par des pêcheurs et des marins d'origine étrangère, qui ont donné son nom à l'endroit, en combinant des mots d'origine italienne Mezzo Laghi (Mezzolaghi) qui signifie "au milieu de lacs" ou Messo Laghi (Messolaghi) qui désigne "un endroit émergeant des lacs". (Stasinopoulos, op. cit. p.75).

Mais, il n'est pas nécessaire que ceux qui lui ont donné son nom aient été étrangers. Ces marins , à la demande "d'où venez-vous ? (à plus forte raison dans les îles soumises au pouvoir de Venise) ne pouvaient mieux répondre qu'en utilisant des mots italiens qui faisaient partie de la langue des marins, encore en usage.

Naturellement le mot Mezzolaghi ou Messolaghi n'était pas difficile et ne tarda pas à s'helléniser en devenant Mesologgion - Mesolonghi.

Je voudrais dire ici, que de nos jours également, les pêcheurs d'ici, lorsqu'ils veulent parler de la lagune disent: le lac, sur le lac, etc. et jamais la lagune ou la mer, etc.

Enfin, rappelons qu'un Missolonghaki existe dans le nome d'Elie, c'est le village Douneïka, qui peut-être correspond au village Messalonghi dont parle Pouqueville dans son "Voyage en Grèce"- Tome 4. p.259, Paris, 1820 (cf. Grande Encyclopédie grecque : articles correspondants).

2 Le jardin des héros :

Jean Capodistrias eut l'idée de créer un Jardin des Héros, dès qu'il apprit que Missolonghi avait retrouvé sa liberté, le 2 mai 1829.

" A l'annonce de cette nouvelle, la Grèce tressaillit toute entière et le gouvernement célébra des fêtes publiques à Egine et fit la déclaration suivante: " à l'intérieur du rempart de Missolonghi gisent les restes de ces hommes vaillants, de ces combattants valeureux qui sont morts en pleine gloire. Nous avons le devoir de rassembler avec piété leur restes vénérables, pour les déposer dans un monument, devant lequel la patrie pourra chaque année offrir le tribut de sa gratitude ".

Le gouverneur se faisait l'interprète des sentiments des grecs, il ordonna de rassembler les dépouilles de ces morts, et de définir un lieu où il conviendrait de les déposer.

Et la déclaration ajoutait: " Le gouvernement souhaite se rendre personnellement à Missolonghi pour manifester sa présence lors d'un grand convoi funéraire, pour assister au transfert de ces os à l'endroit où sera érigé un monument dédié à la nation.

Le gouvernement souhaite publier un appel d'offres aux architectes et aux tailleurs de pierre de notre pays, qui auront une année pour faire parvenir leurs esquisses et projets en vue de l'érection du dit monument". (Cf. Spir. Tricoupis, Histoire , Tome IV ,p. 238-239).

Capodistrias vint à Missolonghi les 25-27 octobre 1830, lorsque fut mise à l'étude la forme du monument "pour la construction duquel le Baron Schoumbourg, colonel du Génie, avait récemment déterminé l'emplacement opportun. Ce dernier fut autorisé à tracer un plan régulier de la ville et à harmoniser, autant que possible, le tracé des rues Missolonghi avait à présent quatre cents maisons et quatre à cinq mille habitants, vivant pour la plupart, du commerce et de la pêche". ("Journal national de Grèce", n° 90, 15 novembre 1830 , repris in "Etoliki" du 5.9.65, article de S. Konstas).

L'endroit convenable se trouvait évidemment en deçà du Bastion de Botzaris, entre la ligne de rempart et la ville que le siège avait isolée de l'espace environnant, si bien qu'on l'avait utilisé comme cimetière.

Tout près de là, d'ailleurs, se trouvaient les tombes de Marcos Botzaris et de bien d'autres combattants.

A ce propos, mentionnons que, durant toute cette période, les cimetières paroissiaux furent utilisés autour des églises Saint-Spiridon et Saint-Pantéleïmon, jusqu'à la fondation de nouvelles églises et la mise en service du cimetière Saint-Lazare, dans lequel furent transférées alors les tombes paroissiales. Des témoignages nous en sont restés: " Hier au coucher du soleil, est décédé le noble cavalier Henry Meisel, de Dresde. Aujourd'hui, à la cinquième heure du jour, on a accompagné sa dernière dépouille dans l'église Saint- Spiridon sous la conduite de l' Evêque très aimé de Dieu, Rogon on l'a enterré dans cette même église Saint-Spiridon" ("Chroniques Helléniques" n° 83, Missolonghi, 11 octobre 1824).

" L'archidiacre Anthème Liapis, l'Ephésiomagne qui a occupé brillamment la fonction de chantre de l'église historique Saint -Spiridon durant quarante ans est mort le 27 décembre 1879. Il a été enterré auprès du sanctuaire, dans le cimetière de l'église paroissiale" ( S. Konstas, "Etoliki", 19 février 1967).

Ces cimetières paroissiaux revivaient à l'heure du soir lorsque les grands-mères venaient allumer des veilleuses sur les tombes, traînant après elles, leurs petits enfants qui jouaient insouciants entre les tombeaux. Là, les vivants adressaient un dernier adieu à leurs morts "qu'il est impossible d'oublier".

Déjà, un peu avant 1940, on avait ouvert, longeant Saint -Spiridon, une tranchée où passait un conduit de déversement, sur l'emplacement de nombreuses tombes selon le témoignage de Spiros Sakalis.

En 1831, Capodistrias fut assassiné et le projet du monument fut oublié jusqu'en 1838. C'est alors qu'on décida de rassembler les os dans la petite église de Saint-Pantéleïmon qui, entre-temps, avait été restaurée. De là, après la célébration d'une messe solennelle, on apporta en grande pompe les ossements au Tombeau, "endroit approprié", où on les déposa, là où une construction funéraire avait été érigée, tandis qu'un monument particulier conservait les restes de Marcos Botzaris.

Le Roi Othon était présent à la cérémonie du transfert. Dès son arrivée à Missolonghi, il signa en présence du préfet, une ordonnance selon laquelle:
1) La ville de Missolonghi est désignée comme chef-lieu du nome d'Etolie - Acarnanie.
2) Le siège du nome doit être transféré d'Agrinion à Missolonghi".

Semblablement, Othon prescrivit alors, de construire un mur sur les traces de l'ancienne position fortifiée, avec deux portes, celle de l'Est conservée encore aujourd'hui et celle de l'Ouest du côté de Biglas. ( cf. K. Pétronikolos, Propos et points de vue , p.14).

Ainsi, en 1838, à savoir X HHHIII (c'est dans cette inconcevable écriture que la date a été transcrite sur la plaque commémorative de la Tombe des Héros et sur le Monument de Marcos Botzaris) l'on réalisa d'abord l'Héroôn puis le Jardin. D'autres monuments en l'honneur des héros grecs de l'Indépendance et des philhellènes, n'ont cessé jusqu'à nos jours d'y être érigés.

Le Jardin des Héros tel qu'il existe actuellement, planté d'arbres et de fleurs, est l'uvre d'un capitaine de cavalerie, Georges Koutkoutakis, qui se consacra aux travaux d'embellissement de cet endroit entre 1858 et 1860.

Voici pour le lecteur curieux la transcription intelligible de la date où les lettres forment respectivement les nombres suivants: 1000 ,500 ,100 (3 fois) ,10 (3 fois) ;5 et 1 (3 fois), soit X =1000 P =500 H =100 D =10 P = 5 I =1.

 

3. Le monument de Marcos Botzaris a eu le privilège rare d'être surmonté par une uvre d'art incomparable et splendide dans son inspiration, due au sculpteur français David d'Angers. Cette uvre est connue comme " la jeune fille grecque" dont les premières ébauches étaient contemporaines de l'oeuvre poétique d'un autre célèbre ami de la Grèce et de Missolonghi, Victor Hugo. Voici quelques extraits de L'histoire d'une statue qu'un sort douloureux attendait à Missolonghi :

" Aussitôt que j'eus connaissance de la mort de Marcos Botzaris (écrit David en 1827), je formai le projet de lui élever un monument. Longtemps, je cherchais dans mes souvenirs allégoriques une pensée qui pût rendre dignement ma profonde admiration pour ce grand homme, mais tout m'apparaissait emphatique. J'attendis l'inspiration.

Un jour, me promenant dans un cimetière, je vis une petite fille, à genoux sur un tombeau, épeler de son doigt, l'inscription qui y était gravée. J'avais trouvé ma composition".

Nous lisons dans Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie :

" Un jour que Victor Hugo se promenait avec David, ils rencontrèrent, rue du Mont - Parnasse, une fille de treize à quatorze ans, en guenilles. David la regarda, s'arrêta, lui parla et prit note de son nom et de son adresse. Victor Hugo étant allé voir David dans son atelier, la semaine suivante, y rencontra la pauvre petite qui posait, nue, grêle, étiolée, flétrie par la misère et pourtant belle. David en faisait (en plâtre) la jeune fille du tombeau de Botzaris, laquelle, dans sa pensée, représentait la Grèce opprimée et souffrante".

Lorsque la statue fut modelée, il fallut s'attaquer au marbre."

"Vous n'avez pu, comme nous (écrivait en 1841 A. Maillard) voir avec quel religieux amour, avec quelle tendresse de père, le statuaire paracheva l'oeuvre

Aucun des nombreux élèves du maître n'y a travaillé ; aucun. Lui seul l'a, de ses veilles et de ses mains, rêvée, modelée, ciselée, enrichie de tous les détails de la nature et de l'art".

"Te voilà terminée, chère enfant, dira David. Tu vas quitter notre France pour ce beau pays de Grèce. Je t'aime tant ! Ah ! Je t'aimais comme un père tendre aime sa fille".

La statue en marbre connut un triomphe au Salon de 1827, où elle fut exposée et Marceline Desbordes - Valmore célébra :

" Cette innocence nue qui se prend à rêver au marbre d'un tombeau".

En 1834, elle figura à nouveau dans une exposition et ensuite, l'artiste l'offrit au Gouvernement grec, pour orner la tombe de Marcos Botzaris à Missolonghi.

En 1838, donc, la jeune grecque parvint à Missolonghi et fut placée sur le monument de Marcos Botzaris.

Ce chef-d'uvre qui avait pourtant été admiré à Paris, et qui demeurait une source d'inspiration poétique et de création, fut maltraité brutalement, ici à Missolonghi. La malheureuse petite jeune fille servit de cible, si bien qu'elle fut criblée de coups et eut ses membres brisés en différents morceaux.

David écrit, dans une lettre datée du 10 janvier 1853, alors qu'il était venu à Missolonghi à la mi-décembre 1852, pour voir de ses yeux le corps blessé de la jeune fille: "En revenant en Europe, j'ai voulu dire adieu à ma pauvre petite fille du tombeau de M. Botzaris. Je savais vaguement qu'elle avait éprouvé les injures destructives de la sauvagerie des grecs.

Du plus loin que je vis ma pauvre petite, mon cur palpita violemment, une espèce d'hallucination me fit croire qu'elle faisait effort pour se relever et allait me tendre les bras

Je montai enfin, les gradins qui conduisent au tombeau du héros, et je vis mon mélancolique enfant, tout mutilé, les oreilles arrachées, ainsi que les deux pieds qui ont subi le même outrage. J'ai éprouvé un sentiment pénible comme artiste Certes, si les hommes n'ont pas le sentiment des ouvrages de l'art, ils devraient du moins respecter le nom des hommes qui ont sacrifié leur vie à l'indépendance nationale"

David quittant notre région, plein d'une sainte indignation, projetait, comme il le déclara au célèbre archéologue Beulé qu'il rencontra à Patras, d'écrire aux journaux pour dénoncer la Grèce devant l'Europe. Finalement, il ne donna pas suite à sa menace, mais l'annonce de la mutilation de la jeune fille grecque, provoqua un tollé en France, en 1854. Tout cela s'éteignit en 1856, avec la mort de David, ce qui répondait d'ailleurs au souhait du Gouvernement grec. La statue fut ôtée du tombeau, transportée au musée archéologique d'Athènes puis de là transférée à Paris, où Toussaint, élève de David, se chargea de réparer les dégâts, entreprise qu'acheva Allasseur.

Enfin, vers 1866, la jeune grecque devait, à son retour en Grèce, être remisée dans une réserve du musée archéologique, dont elle fut extraite lors de la création, en 1883, du musée historique et ethnologique (abrité dans l' Ecole Polytechnique) et là, "la douce jeune fille en marbre brillant comme un diamant" retrouva une place éminente. Mais, l'histoire ne s'arrête pas là: à la suite du déménagement du musée, hors des bâtiments de l' Ecole, cette malheureuse jeune fille fut entreposée durant trente ans, dans un souterrain sans lumière de l'Académie d'Athènes. Elle fut tirée de là, au moment où le musée historique et ethnologique était transféré à l'intérieur du palais de l'ancien Parlement, où elle est exposée depuis 1962.

Ainsi, Missolonghi perdit une uvre d'art, qu'accompagnaient tant de noms illustres et naturellement le tombeau de Botzaris demeura sans décoration jusqu'en 1915. Eleuthérios Venizélos offrit alors à notre ville une copie de la jeune fille de Grèce, réalisée par le sculpteur G. Bonanos que l'on peut encore admirer de nos jours.

 

4. Si la première partie de l'engagement, à savoir "rassembler avec piété ces restes vénérables pour les placer dans un tombeau" fut réalisée neuf ans plus tard, en 1838, il fallut vingt ans avant que "la Patrie ait la possibilité d'offrir chaque année le tribut de sa gratitude aux restes de ces hommes qui sont morts héroïquement dans un combat sacré" (Proclamation de Capodistrias lors de la reprise de Missolonghi. Cf. Sp. Tricoupis, Histoire, 1925, Tome 4, p.238 ).

Il faut dire que ce n'était pas seulement la Patrie qui exprimait sa gratitude, mais aussi les habitants de la ville martyre qui, "un samedi soir, un dimanche matin" (Palamas), prenaient l'initiative de chanter la mémoire de leurs morts et la fête de "l'Exodos ", simple coutume au début, officialisée beaucoup plus tard, fut instituée. Voyons par quelques textes quels en furent les débuts.

Nous savons qu'en 1859, la fête de l'anniversaire de "l'Exodos" n'eut pas lieu. C'est alors qu'Anastasios Ghiannopoulos, avocat et éditeur du journal "Les Chroniques Helléniques" (homme remarquable et aimé des Muses, dont la bibliothèque était unique à son époque ) et André Eustache Palamas (maître d'école, premier chantre à St Pantéleïmon, écrivain, rhéteur, poète, promeneur, noctambule, hérésiarque, prophète, voyageur, avec sa taille énorme et sa force intense capable d'entraîner le monde derrière lui et de l'affoler, connu par le sobriquet "Palavopios" (celui qui fait des folies) , eurent l'idée d'organiser une fête pour l'anniversaire de "l'Exodos". André Palamas, conduit par les muses et maître inspiré de musique byzantine, prit l'initiative de célébrer pour la première fois la fête de l'anniversaire de la "Sortie." Il avait rassemblé ses élèves, leur avait révélé les détails de son plan, ces derniers ne communiquèrent pas le projet à leurs concitoyens, ni l'heure ni le lieu du rassemblement, (l'actuelle pharmacie Satrazemis, à l'angle nord-est des rues Byron et F. Katasos) et vers sept heures, dans l'après-midi de la Saint-Lazare, André Palamas, avec sa barbe longue comme celle d'un hiérarque, du haut du balcon d'une maison, s'adressa à la foule, évoquant la sainteté du jour et le souvenir du grand événement, provoquant l'émotion des assistants qui se pressèrent en foule dans les rues alentour et aux balcons des maisons. Pour que le respect envers les héros ne se manifeste pas dans l'obscurité, les assistants allumèrent des bougies. Le discours d'André Palamas s'acheva et le peuple guidé par l'orateur, tenant à la main des bougies allumées, se tournait vers celui qui les conduisait au Jardin des Héros où le clergé récita la prière du Souvenir .

Les "Chroniques Helléniques" du 9-11 avril 1859 mentionnent le même fait, daté manifestement du jour suivant, le dimanche des Rameaux. "Le 5 avril 1859, comme nous l'avons signalé, s'est produite une commémoration, approuvée par les autorités compétentes, des morts pour la Grèce lors de la Sortie de Missolonghi. Tous ont marché silencieusement vers l'Héroôn,, avançant avec un respect religieux vers la dernière demeure des défunts. Les veuves, les orphelins, les prisonniers de retour au pays suivaient également. Tout le peuple de Missolonghi lors de cette célébration funéraire était là, en larmes. Le métropolite Théophile et Andréas Palamas prirent la parole " (K. Pétronikolos, op. cit.)

De plus, Costis Palamas, dans ses Années passées écrit en 1923 : "Dans le salon de notre maison, pièce réservée à nos fêtes et réceptions solennelles, deux reliques étaient pendues au mur. Une couronne et une illustration. Celle-ci représentait la "Sortie" glorieuse de l'héroïque garnison de Missolonghi. Un de mes cousins l'avait dessinée à la mine de plomb. La couronne était faite d'immortelles. Le maire l'avait offerte, pour l'honorer, à mon oncle vénéré, le professeur, pour le remercier du beau discours panégyrique qu'il avait prononcé au nom de la Ville, le dimanche des Rameaux 1858, au cimetière du Jardin des Héros. L'icône de la Sortie avait servi à la décoration de la fête. Elle avait été transportée à la lueur des flambeaux et des torches en cortège solennel, durant la nuit du samedi de la Saint - Lazare, jusqu'à l'Héroôn. Là, avait lieu dans la nuit le "prélude", l'introduction, dirais-je, à la symphonie du dimanche des Rameaux. La responsabilité de prononcer un discours à l'occasion de ces fêtes avait été confiée à un membre de la famille de mon oncle.

Moi, jeune homme, j'ai éprouvé pour la première fois, les émotions de cette tribune, en 1923, ce qui ne m'était pas arrivé auparavant." (Il s'agit manifestement de l'anniversaire de 1877 au cours duquel l'orateur était Jean Iannopoulos, tandis que Costis Palamas déclamait un poème. Trois années plus tard, en 1926, après avoir écrit Les Années passées , Palamas sera pour le centenaire de la "Sortie", l'orateur principal avec son grand poème "La Gloire est à
Missolonghi !").

Palamas écrivait encore au Maire, Christos G. Evangélatos, le 2.3.1932 à propos de son oncle: "Mon oncle, Dimitri Palamas, le fils de Jean, était maître d'école, philosophe, théologien de plus et poète remarquable, à la fois pour son époque et pour Missolonghi. Certes, un de ses discours, prononcé le 25 mars 1858 à l'Héroôn pour la Fête de la "Sortie", est, à mon avis, un chef d'uvre de rhétorique" .

En 1884, le maire Ilias Papadopoulos établit une fête municipale de la Sortie ( d'après M. Pétronikolos).

En 1906, par décret royal, la Fête de la Sortie fut élevée au rang de Fête Nationale.

5. Poème de M. Libérakis

VEPRES

 

Maintenant, dans les ports infimes , apaisants
Dans l'angoisse des couchers de soleil évanescents
Où deux ou trois caïques sont au mouillage,
Des hommes accoudés sur les jetées
Regardent la mer en silence.
Sur ces ports à l'abandon, déserts,
Avec leurs grues immenses, putréfiées,
Telles des carcasses de monstres,
Les mouettes passent en criant
Et d'une aile lente s'en vont
Vers les petites îles
Là-bas , couvertes de salicornes,
Et leurs cris semblent des lamentations.

 

Sur la ville
Le soir trop pesant
Allonge les ombres lentes
Des maisons,
Et les cloches familières
Invitent aux vêpres;
Quittant leurs vieilles maisons basses.
Marchent à petits pas
Les grands-mères avec leurs pressentiments funestes.
C'est pour ces hommes
Qui observent la haute mer en silence.
Heures lourdes qui annoncent
Les jours ultimes en d'autres lieux.

 

Missolonghi, Mimis G. Libérakis.

Hégéso , Août 1907.

 


MIMIS LIBERAKIS (1880 - 1967)

Poète et traducteur, connu de cercles littéraires très étroits, et aussi sous le pseudonyme de Fingal.
Il est né et décédé à Missolonghi, où il vécut par périodes, lorsqu'il n'était pas en voyage.
Rejeton riche d'une famille historique de la ville, il n'avait pas besoin d'exercer un métier pour vivre.

Il avait étudié le droit et connaissait parfaitement le grec ancien, le latin, l'italien, le français, l'allemand et l'anglais. Il visita de nombreux pays européens où il vécut quelque temps, étudiant leur littérature, leurs courants intellectuels et artistiques et visitant les grands musées.

Il apparut dans les lettres au tout début du siècle, en publiant poèmes et proses, ainsi que des traductions des poèmes de Whitman, Mallarmé, Poë, etc.

Une part de son uvre se trouve dans les revues Hegéso, Acritas ,Dionysos , Lettres (Alexandrie) , Néa Hestia, etc.

Libérakis avait l'esprit large. Il s'était lié d'amitié avec les écrivains les plus importants de son époque (Kavafis, Sikékianos, Kazantzakis, Malakassis, Lapathiotis, Melakrinos, etc.). Mais, il restait orienté vers son art et sa vie.

Contre l'avis de ses amis, il refusa de réunir en volume, ses poèmes, ses articles et ses traductions. Il fit une seule concession en 1934, lorsqu'il accepta de mettre en circulation, à quinze exemplaires seulement, ses "Hymnes à l'enfance", à condition qu'ils soient destinés à ses amis les plus intimes.

Dim. Stamélos. Encyclopédie Papyrus Larousse Britannica

Georges I. Kokossoulas

 


 

PHOTOGRAPHIES

et DOCUMENTS (ci-dessous)

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LETTRES ET POEMES

Lettres de Costis Palamas relatives à la décision d'ériger un buste en son honneur à Missolonghi.

 

A Christos G. Evangélatos, le 29 Mars 1935

Mon cher Monsieur Evangélatos,

C'est avec beaucoup de difficulté que mon crayon trace ces lignes pour répondre à votre dernière missive et à l'extrait du "Roumeliotis" que j'ai reçu hier.

Je suis très ému par votre incroyable initiative et par l'héroïque bienveillance et la faveur manifestée grâce à vous par la toujours héroïque (je ne trouve pas d'autre nom plus digne d'elle) Missolonghi pour récompenser ma pauvre chanson.

Pourtant, malgré l'émotion que me cause cette consécration, ma raison encore en éveil s'extasie de voir qu'un tel honneur m'arrive sans respect pour la bienséance et cela ne devrait pas se produire alors que ma vie reste humble, douloureuse, proche de sa fin, mais participe d'un destin éclatant et même rempli d'honneurs, tant mon existence pâle, sans forces, passagère et fragmentaire, s'alimente et se nourrit de ma patrie : Missolonghi.

Sa gloire célébrée par la Sainte Trinité poétique et éternelle - Byron, Goethe et Hugo - ne date ni d'hier, ni d'aujourd'hui. Elle est de tous les siècles, vit perpétuellement dans l'histoire, à tel point que c'est à peine concevable. Et moi, fragment passager d'une existence malheureuse, qui est prête, fugace comme elle est, à disparaître, je me permettrai de vous dire, non en mettant en avant, mais en cachant toute cette part obscure de moi-même, et même si ceux qui aiment " l'Art suprême ", comme l'on a surnommé la poésie, m'accordent leur sympathie et me prêtent attention, je me permettrai de vous dire: "Laissez moi d'abord mourir, et si je vaux quelque chose, la mort, seul juge équitable, pourra, à travers vous et l'illustre Missolonghi qui en a parfaitement le droit, alors m'honorer ".

Puisque la maladie de l'âge ne m'a pas épargné, s'il vous plaît, laissez moi bavarder et me souvenir de Missolonghi, de son histoire, de mes premières et de mes dernières années, de mes enthousiasmes, de mes joies, de mes souffrances et de mes amours, de ceux que j'ai connus et de ceux que j'ai aimés. Je regrette encore de n'avoir pas pu répondre à une association de jeunes écrivains, fondée depuis longtemps, qui avait accompagné, comme j'en ai été informé, mon nom d'une appréciation des plus flatteuses, ainsi qu'à un avocat dévoué, un ami, M. Pétropoulos, qui m'a cité d'une manière très attendrissante dans l'une de ses brochures, et aussi à ceux qui m'ont questionné, à tous ceux qui se souviennent de moi.

Je dois vous quitter, je vous en dirai plus long une autre fois, dans la mesure où je le pourrai, et vous assure de mon affection et de ma reconnaissance, ainsi que de la pérennité de mon serment sacré, de foi et d'adoration, envers Missolonghi.

Costis Palamas.

(Correspondance, T.3 , p. 215 - 216.

 

A Stéphanie Raptis. 12 avril 1935.

Chère Stéphanie,

 

J'ai reçu ta lettre et Maria et moi nous te remercions de ton affection et de ton intérêt pour nous.

Tu constates au tracé de mon écriture, que j'écris avec difficulté. Ma main ne m'aide guère.

Il est inutile de t'expliquer à quel point l'honneur que Missolonghi projette de m'accorder me touche profondément. L'enthousiasme que me causent tant son histoire que sa poésie, m'a donné un élan créateur et a inspiré maintes et maintes fois mon uvre insignifiante. Mais, tout cela n'est rien en face de l'initiative officielle, collective et solennelle de "l'Association des Amis des Lettres, des Sciences et des Arts", et de son vénéré Président, M. Soustas. J'ai appris cela d'une tierce personne, et sans parvenir à le savoir d'une manière certaine, je n'ai pas trouvé la force précisément de le lui cacher. Maintenant, depuis peu, j'en ai eu connaissance par Monsieur Le Maire et lui ai écrit. Mais quoi qu'il en soit, l'honneur qui m'est fait est trop immense tant que je suis en vie. Tu pourras, toi aussi, j'espère, faire part de mes remerciements et de mon émotion, à qui de droit.

Nous avons eu Maria vingt jours à l'hôpital Evangélismos, parce qu'elle a souffert d'une bronchopneumonie. Le danger est passé et elle est revenue chez elle mais elle est encore très faible à cause d'une hypothermie aiguë, elle a du mal à se déplacer.

Elle le supporte et nous aussi.

En espérant pouvoir être présents lors des fêtes de l'Exodos.

Je t'embrasse.

Baisers aussi à Spiridoula.

Palamas.

Excuse-moi pour mon écriture tremblante.

(Correspondance, T. 3, p.220 - 221).

 

A Diamantis Soustas

Athènes, le 28 juin 1937

Mon cher,

Parmi les poèmes où j'ai mille fois célébré Missolonghi, je trouve un poème que je t'envoie pour que tu le lises, seul: il a été écrit en 1910 et se trouve dans Ville et Solitude. Je réponds, bien que je puisse écrire difficilement, à ta première lettre affectueuse de lundi dernier et ensuite à ton beau [texte]* (dont je ne suis pas digne) en mon honneur, que m'a envoyé la Société des Amis des Lettres etc. Je n'ai rien d'autre à t'écrire. Je te suis reconnaissant, je t'aime et t'ai enfermé dans mon coeur. Salut.

 

Costis Palamas.

 

Le texte que je t'envoie mentionne, parmi tous mes poèmes, tout l'héroïsme de Missolonghi à travers son histoire et toute la tendresse que j'ai pour mes jeunes années.

(Correspondance, T. 3, p. 262.)

* Il manque un mot dans la lettre.


SUR LE BUSTE QUE L'ON M'A ERIGE A MISSOLONGHI.

 

Je vous vois avec les rêveries, les illusions du soir,
Et dans les durs combats quotidiens du jour,
Eaux sacrées de Klissova et de Vassiladi,
Petite patrie, puisses-tu vivre par moi immense pour des siècles !

 

(5 Juillet 1937) Costis Palamas

 

UNE VIE

A Vassiladi, pêcheur, je lançai un solide harpon
Pour les oeufs blancs du muge.
Je passai la nuit à Klissova, près de la pimpante chapelle,
Tel un pêcheur s'amusant, serf de cette épreuve.

Agios Sostis, tu m'as effrayé: la mer étale gémit
Et les vaisseaux éloignés et ceux qui passent !
Tu m'as maltraité, lagune, tu m'as ravi Missolonghi.
Coups, blessures incurables, rêveries sans but.

 

C. Palamas.

 

AMERTUME

 

Mes premières années inoubliables je les ai vécues
Sur le rivage proche,
Là, sur la mer peu profonde et paisible.
Là, sur la mer étale, immense.

Et chaque fois qu'en face de moi, bien vivantes,
Apparaîssent les années d'enfance dans leur première floraison,
Je revois aussi mes songes, j'écoute à nouveau les paroles
De mes premières années, près du rivage,

Tu soupires, mon coeur, la même plainte :
Vivre à nouveau
Là, sur la mer peu profonde et paisible.
Là, sur la mer étale, immense.

Telle est ma destinée, telle est ma joie,
Je n'en ai pas connu d'autre ;
La mer en moi comme un lac plein de douceur,
Et, en même temps ouverte et immense, comme un océan.

Voilà ! dans mon sommeil un rêve me l'a apportée
Proche de moi et à nouveau
La mer peu profonde et paisible, ici,
La mer étale et immense, là-bas.

Et moi, trois fois pestiféré ! La tristesse me rend amer,
Une grande amertume,
Que tu n'adoucis pas pour moi, beau regard
De mon premier désir, beau regard, près de la plage !

Quelle tempête se lève donc en moi,
Quel ouragan
Que tu ne peux endormir, ni apaiser,
Beau regard, près de la plage ?

Amertume silencieuse, amertume inexplicable,
Amertume immense
Qui en moi ne peut s'éteindre, même au paradis
De mes premières années près du rivage.

 

C. Palamas.


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Klissova

d' André Carcavitsas

 

 

Vous connaissez évidemment tous, l'île qui se dresse au centre du lac couleur de saphir et qui reflète dans ses eaux pures les cabanes en chaume et la chapelle toute blanche de la Sainte Trinité. Elle est toute petite, c'est une île si minuscule qu'elle n'attire pas les regards de la plupart d'entre vous. Mais sa gloire est tellement immense qu'elle déborde dans le cur de tous. En effet, elle appartient à Missolonghi, à une bourgade petite et calme, dont les alentours, du vent jusqu'aux eaux, attestent que les vers de son poète local ne sont pas exagérés lorsqu'il déclare:

"Et même la modeste
Salicorne de la mer
Se vante elle aussi !"

L'îlot de Klissova est un fondement solide, celui sur lequel s'est construite la liberté de la patrie.

Sur cette étendue minime d'à peine trois cents pas, se réfugièrent des quantités d'infidèles, puis des dizaines de héros illustres s'y distinguèrent. Arrive le jour du 25 Mars 1826. Tzabellas, commandant en chef du corps de soutien, dormait à l'intérieur d'une masure à côté du lac. Il voit en rêve une femme d'une taille majestueuse, merveilleusement grande et d'une beauté encore plus rare, mais échevelée, le masque de la peur sur le visage, qui pénétrait avec fougue dans sa chambre obscure en clamant avec désespoir: " Sauve moi, capitaine, sauve moi !"

Le grand guerrier bondit et empoigna son yatagan pour que cette femme puisse être délivrée de son lâche ennemi. Mais il ne trouva face à lui ni femme ni ennemi. Il se mit debout pour méditer, essayant de s'expliquer son rêve. Le sommeil avait délaissé ses paupières et, inquiet, il ouvrit la fenêtre pour respirer les brises embaumées de Mars, avant que ne se lèvent le soleil, la souillure et la poudre, pour contempler le calme de la mer et les lointains montagneux: bientôt les images brutales de la guerre viendront tout troubler. Mais il voit, tout à coup, dans la lumière incertaine du petit jour, le camp ennemi en pleine activité, à gauche les albanais de Koutahy armés jusqu'au dents, foulant le sol des collines qui aboutissent vers Klissova, et les turcs se dirigeant tranquillement du côté des salines. Aussitôt il comprend son rêve.

Les ennemis se préparent à assaillir Klissova et la Vierge lui demande de délivrer son refuge vénérée. Il court droit sur le rivage, rassemble tous ceux qu'il trouve, onze hommes derrière lui, saute dans une embarcation et atteint l'îlot tandis que les ennemis attaquent de toutes parts et pressent terriblement le petit nombre des combattants.

La bataille dura longtemps. Devant l'élan irrésistible de l'ennemi, les combattants, trop peu nombreux, comme ils dressaient un rempart dérisoire, se réfugièrent dans la chapelle, sur le toit avec leurs frères d'armes. Les femmes venues là auparavant pour soigner leur époux faisaient passer des cartouches ou apportaient à boire aux combattants.

Finalement les albanais battirent en retraite tant bien que mal et les arabes leur succédèrent, fiers de leur force et de leurs victoires récentes de Vassiladi et de Dolmas. Mais leur général sanguinaire Hussein Bey fut tué et tous fuirent, effrayés. Cependant comme ils tentaient de se sauver, les grecs de l'église les massacrèrent. Sur cet îlot, la vue des cadavres de leurs ennemis leur procurait une grande joie et beaucoup d'orgueil, et ce sang détesté donnait aux eaux troubles de la lagune un aspect sauvage.

Ainsi ce jour là, l'îlot fut sauvé et la Vierge vit que son sanctuaire n'avait pas été souillé. Mais quand Tzabellas le héros tomba, quand Missolonghi fut piétinée par l'ennemi, l'îlot fut investi, la petite église démolie ; jusqu'en 1848, il ne resta qu'un rempart à demi écroulé , le fossé à moitié comblé, au centre un buisson de joncs, et uniquement la colonne dressée de la sainte table, sur laquelle les pêcheurs allumaient toujours une veilleuse. Cette année-là seulement, on a rouvert la chapelle et institué une fête.

Cette fête, il est vrai, n'a pas lieu en mémoire d'un événement historique comme celle de Saint Siméon, mais ce site est chargé d'histoire. C'est la raison pour laquelle cette célébration est liée à la fête de Saint Siméon et se déroule le lendemain.

Les palikares revêtus de leur costume s'embarquent aux premières lueurs du jour et gagnent l'îlot avec leurs hautbois et leur provisions de bouche. Des barques amènent là aussi sans arrêt des groupes de pèlerins respectueux, hommes et femmes. Le sanctuaire extérieurement entouré d'une large ceinture de tissu due à la générosité d'un fidèle, une bannière flottant sur sa pauvre croix et des couronnes de fleurs ici et là, semblait fier comme un beau jeune homme endimanché. A l'intérieur, le prêtre achève son office. Les cierges et les veilleuses des pèlerins brûlent par milliers ; l'encens exhale dans l'air son lourd parfum.

Dedans comme dehors, tapage et éblouissement, dedans comme dehors des voix claires et des mines joyeuses. A l'intérieur, d'humbles génuflexions, à l'extérieur, de folles allégresses et des danses. A l'intérieur, de dévotes prières, à l'extérieur des décharges tonnantes, des chansons et des vux enthousiastes. A l'intérieur, fumées d'encens et odeurs de myrte, à l'extérieur fumées et odeurs de viande rôtie des tendres agneaux et des poissons grillés. Dedans encore, l'eau bénite, dehors d'abondantes libations à Bacchus.

Les pêcheurs font bombance, les fils se divertissent et célèbrent les victoires de leurs pères sur le lieu même de leurs batailles. Les hauts bois ne ralentissent pas leur cadence, comme si leurs accents qui se répondent apportaient jusqu'à la petite ville, la chanson bien connue:

"A Saint Siméon , sous le platane,
Il y a un petit puits,
Où vont les enfants des klephtes:
Ils y boivent de l'eau !"

L' après- midi, cependant, les choses changent d'aspect. La petite ville paisible est agitée, entièrement bouleversée. Venus des quartiers de Kalivia, d' Aravitia, de Goulimis, des groupes d'hommes en habits de fête, des femmes avec leurs enfants, des jeunes filles sveltes de toute condition, blondes ou brunes, tous ceux qui avaient manqué la fête du matin, descendent maintenant vers "l' Anémomylos " pour y participer. Ils occupent les balcons et les fenêtres des maisons, près du lac. Dessous et tout autour, des débits de boisson temporaires procurent ombre et vin à leurs clients.

Cent à deux cents barques occupent déjà le lac de Klissova. Les eaux tranquilles brillent sanglantes sous les rayons du soleil couchant. Le Varassova d'un côté et le mont Zygos de l'autre se reflètent sur les eaux avec leurs douces couleurs violettes. Les petites barques légères, entraînées soit par leurs voiles blanches, soit par les bras robustes d'un pêcheur, sillonnent l'étendue sans vague, en laissant derrière elles des traces sinueuses. Chacune d'elles amène une foule entassée, multiforme et variée d'hommes, de femmes et d'enfants. Soit à cause des couleurs vives des costumes, soit à cause des couleurs plus vives encore des visages que le soleil embellit, on croirait les bateaux remplis d'innombrables fleurs des champs. De toute cette multitude proviennent des cris, des moqueries, des chansons, des railleries, mille tentations. Un jeune homme de fière allure chante là, d'un ton pathétique, le regard fixé vers l'intérieur du bateau :

" O fille du soleil au visage éclatant
Pour toi je renierai père et mère!"

Un autre fait de même de l'autre côté, s'exclamant avec la détermination du sacrifice :

" Tes yeux sont une mer que les vagues agitent,
J'y tomberai pour me noyer et tu le regretteras !"

Un troisième dont l'amour intraitable le ronge d'un chagrin secret, quand cette peine devient intolérable, la laisse exploser, dans l'espoir de la fléchir, et psalmodie ce chant comme une plainte:

" Fais moi des baisers et des pinçons, rien que pour moi,
Et je ferai voile sur la mer et traverserai le golfe!"

Les amoureux épris reçoivent aussitôt la réponse des jeunes filles qui ne déclarent leur flamme que pour se moquer, amusées de voir un jeune homme bouche bée devant elles, et leur envoyant des propos cinglants ou de nature à les refroidir :

" C'est ainsi, mon amour, c'est ainsi quand on aime , et quand on perd,
On devient fou, et on apporte l'eau à la mer!"

Et pendant ce temps, à partir des bateaux, les jeunes gens équipés de leurs armes, ne cessent de décharger leurs fusils en l'air tandis que les gitans, parfois les pieds dans l'eau, n'arrêtent pas de souffler dans leur hautbois et de frapper vigoureusement sur leur tambour.

Ainsi, une par une, les barques abordent au rivage et les participants à la fête sautent à terre, tout joyeux. Et alors vous voyez des sourires, vous entendez des exclamations, du vacarme! L'un veut manifester son indépendance et bondit avant de se rapprocher de la barque ; mais il trouve en guise de terre ferme, les eaux et la vase où il s'enfonce jusqu'à la taille et reste pris ; ses amis qui débarquent s'emploient à le tirer de là mais affaiblis par la boisson, ils s'embourbent aussi, et les témoins de cette scène disent que se réalise l'histoire de "la vieille qui va et s'embourbe, et du vieux qui va et s'embourbe à son tour ".

Là, dans une autre barque, dans la gaieté, ils se souviennent de leurs années d'enfance, où ils s'amusaient volontairement à ébranler les barques comme des balançoires. Mais, peu à peu l'oscillation devenait plus forte - car ils voulaient montrer leur intrépidité -, jusqu'à ce que la barque légère se renverse et verse en vrac, dans l'eau, toute sa charge humaine. Plus loin, un robuste pêcheur se hâte de saisir de ses mains vigoureuses les femmes pour les aider à sortir de la barque - alors s'élèvent les prudes protestations des vieilles qui ramassent leurs robes jusqu'aux mollets ; mais les jeunes filles souples et élancées, insouciantes, s'abandonnent avec courage dans ses bras et leurs robes se relèvent et leurs jambes bien galbées et leurs cuisses charnues se montrent, provoquant l'émoi des spectateurs. Et les rires se prolongent ainsi que les cris et le vacarme.

Après le débarquement, la fête atteint son plus haut point. Les jeunes gens dans leur costume d'armatoles, regroupés entre amis, courent vers les débits de boisson, puis reprennent leurs danses et leurs ripailles. D'autres déambulent çà et là, et se mêlent au bruit et à l'étourdissement. La fustanelle blanche de Kaliviotis se frotte à la large et noire culotte du pêcheur, se combine à la ceinture rouge du jeune homme svelte, avec la veste chamarrée de la mariée, avec les glands des fez des villageois, avec le fez noir de la veuve et avec les costumes européens des plus jeunes.

Puis, après le coucher du soleil, le vacarme et le mouvement se poursuivent encore. Et lorsque la nuit est entièrement tombée, ceux qui font la fête se précipitent sur les chemins , de tous côtés, avec des luminaires et des torches jusqu'à dix heures. Mais dès dix heures, plus de bruit ni de boisson, ni de tambours qui battent, ni de danses ni de coups de feux en l'air ! Et l'étranger n'a plus espoir, tout au long de l'année, sauf s'il a la chance de rester jusqu'à l'année suivante, d'écouter les hautbois aux sonorités si rapides et fuguées qui clament :

"A Saint Siméon , sous le platane,
Il y a un petit puits,
Où vont les enfants des klephtes:
Ils y boivent de l'eau !"

 

Je dois cependant vous dire, par amour de la vérité, que les scènes de ces deux fêtes ont surtout été tirées du passé. De nos jours, comme partout en Grèce, les coutumes sont moins suivies et tendent à disparaître d'année en année, de sorte qu'à Missolonghi même, la renommée de cette fête se perd doucement. Par exemple, il n'y a plus autant de curieux à affluer des environs, comme jadis, ni autant de groupes variés de gitans, munis de leurs tambours et de leurs hautbois, à investir les lieux avec leur famille.

Les jeunes de bonne famille, ceux qui jadis marchaient en tête lors de la fête, considèrent déjà qu'il est indigne d'eux de s'équiper et estiment barbare cette coutume ou bien leurs oreilles sensibles sont incommodées ainsi que leurs nefs fragiles par les coups de feu et les sons aigres des hautbois. Le prêtre ne vient plus sous la protection armée de la bannière ni ne montre le chemin, ni ne revient entouré par deux palikares agitant férocement l'épée afin de blesser qui oserait offenser leur pope. La cavalerie met pied à terre, et les fantassins ne sont guère plus nombreux que vingt à trente enfants de pêcheurs pleins de vie et deux ou trois personnes âgées attachées aux traditions. Ils ne sont plus habillés comme jadis de l'exact costume d' armatole mais avec négligence de ce qu'ils ont trouvé, ni au retour ils n'entrent dans le jardin des Héros pour lire une prière et pour tirer trois coups de canon au-dessus des tombes de ceux qui nous ont donné une patrie libre.

Le jour suivant, à la Sainte Trinité, seules quelques petites vieilles derrière le prêtre et le chantre se rendent dès l'aube sur l'îlot pour entendre la messe dans la chapelle et seulement trois ou quatre barques à fond plat sillonnent l'étendue sans vague de la lagune, transportant les familles des pêcheurs. Il n'y a plus de chanson, de moquerie, de rire ni de tentation, ni d' embourbement ni de spectacle aguichant pendant le débarquement. Seuls les débits de boisson occupent leur emplacement sur le rivage, pris d'assaut, dès midi, par les palikares en costume. Seules les maisons en bord de mer sont décorées par les jeunes filles. De tous côtés, les gens en groupes serrés se mêlent, crient et s'agitent, depuis la rue Saint-Spiridon où avoir une fenêtre est une chance pour certaines et où se tiennent des blondes tandis que sur les seuils sont assises de vieilles femmes, jusqu'a "l'Anémomylos", là où les personnalités s'empressent.

Sur l'îlot relié à Tourlida par une route, se dressait une baraque en bois, de mauvais goût, bariolée, comme un kiosque japonais, sur laquelle le propriétaire avait inscrit pompeusement "Café Le Moulin à vent" ou "Venise". A "Venise" donc, le beau monde boit le café, installé sur des bancs, tandis qu'une fanfare militaire inégale, installée sur une estrade en rotin, joue pour le plaisir des mélomanes. Aucun doute: ce sont des mélomanes !

Ainsi, peu à peu, s'éteint la fête: année après année, le nombre des mélomanes se réduit aux enthousiastes, aux pêcheurs insouciants et aux habitants des cabanes en roseau. Dans peu de temps, les pèlerins en costume y renonceront à leur tour: la fête perdra toute sa valeur historique et poétique, il n'en restera seulement, si elle doit survivre, qu'une réjouissance vulgaire où domineront le dérèglement, la ripaille, sans élévation ni flamme patriotique !

Et de même que l'étranger, le visiteur de passage, a peu de chance de retrouver la tombe et le lieu où une sainte hécatombe a été offerte à la patrie lors de la Sortie, de même qu'il a peu de chance de retrouver bientôt les vestiges des murailles et la lunette de Georges Kitzos et Klissova et Vassiladi, de même il aura peu de chance de retrouver trace de cette fête magnifique et d'entendre les sonorités si rapides et fuguées des hautbois:

 

"A Saint Siméon, sous le platane,
Il y a un petit puits,
Où vont les enfants des klephtes:
Ils y boivent de l'eau !"

 

Andréas Karkavitsas, Voyages.



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La fin du moulin à vent

de Costis Palamas:

Tout près de la ville, sec, nu, l'îlot: une étroite chaussée de pierre le relie à la ville, un embranchement de la jetée. Il occupe à peine un espace de cinq hectares dans la partie peu profonde de la lagune. Aucune digue ne protège l'îlot de l'invasion des eaux marines, aucun ombrage ne l'abrite de l'ardeur du soleil. Son sol est fait de terre glaise ; au soleil des bourgeonnements de sel aggloméré reluisent à sa surface comme des poussières d'argent. L'herbe y est rare, les joncs abondent. Les pêcheurs y réparaient leurs barques à fond plat , en chantant sans cesse, et les enfants y jouaient bruyamment. Aux plus beaux jours de l'hiver, quelques personnes prolongeaient parfois leur promenade jusque-là. Au milieu de l'îlot s'élevait un vieux moulin en ruine. Sa forme ronde était parsemée de fentes dues au délabrement ; les pierres tombées de son sommet formaient à sa base des escaliers improvisés et des éboulis. Là où jadis s'ouvraient la porte et les lucarnes du moulin, bâillaient maintenant de larges ouvertures irrégulières. A l'endroit où les ailes du moulin tournaient au souffle du vent, une poutre inclinée pendait vers l'extérieur, pourrie, à moitié rongée, os déformé d'un squelette, elle était située là où jadis s'animait l'axe des ailes. Le moulin, dont l'enduit, par endroits, était défraîchi, ou noirci, conservait la trace des deux forces indomptables qui, en l'assaillant sans cesse, l'avaient jeté bas: le temps et le feu. De la base au sommet des orties l'entouraient ; l'herbe pousse à la base des murs en ruine, comme la misère fond sur les pauvres.

Un matin - quinze ans ont passé depuis lors - le Capitaine Mitros, un ancien combattant et Monsieur Timothée, médecin, jeune homme instruit, se rencontrèrent près du moulin à vent.

- Comment cela s'est produit, Capitaine ?

- Comment cela s'est produit ! Tu ne le sais pas ?

Et sans laisser au médecin le temps d'ouvrir la bouche, il poursuivit aussitôt avec animation :

- Un jour, c'était au coucher du soleil, j'allais prendre l'air, comme tout le monde. Je vois un attroupement autour du moulin. Je m'approche, j'interroge :

- "Que se passe t-il ?

- Le moulin a été vendu, on va le démolir. Le maire a pris la décision de le jeter bas pour vendre ses pierres. Monsieur Sotiris les a achetées et a fait venir un maçon pour les desceller et un tombereau pour les transporter.

Il me sembla que moi aussi j'étais descellé. Deux manuvres attendaient avec des pioches, le tombereau se trouvait un peu plus loin. Je tournai la tête de droite et de gauche ; les uns s'arrêtaient pour s'amuser du spectacle, d'autres causaient ou bâillaient aux corneilles ; tous indifférents - parce que sans pudeur -. J'allais de ci, de là ; j'étais en rage. Je prêtais l'oreille à l'un ou à l'autre - -"Grâce à Dieu ! Cela nous ôtera du milieu, cette laideur !"

-"Il faudrait maintenant rehausser le niveau par ici, niveler ensuite, pour ouvrir peut-être un restaurant."

"- Quelle bonheur lorsque l'orchestre jouera ici !"

" - Très peu pour moi, j'y verrai bien un café très animé, rien à voir avec celui de M. Sotiris."

"- L'été les bains, le soir un café-concert, tu saisis la suite !"

"-Que de coeurs pourrait enflammer ici Irène l'Arménienne !" C'étaient des gens instruits, avocats, bourgeois, femmes, jeunes gens de belle prestance, qui tenaient ces propos.

- Le diable les emporte ! J'ai eu l'impression que ceux qui parlaient se moquaient de moi. Je m' enflammai et brûlai, mon esprit prit son envol comme un oiseau. Je vis l'île à l'heure du désastre, le moulin qu'entouraient les albanais, les cinq soeurs qui avaient propagé feux et flammes, Tassos Tassoulas


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POEMES

(Mikos Malakassis - Marceline Desbordes-Valmore- G. Drossinis- Costis Palamas

*

Miltos Malakassis:

Missolonghi

 

C'est la fille d'un marin, la sur d'un pêcheur de la lagune

C'est la fille bien aimée

A qui sa mère chantait des chansons tristes et sur qui elle veillait

Nuit et jour.

"Qu'y-a-t-il pour surpasser Vénus et éblouir le soleil ?

- C'est Bilio, fille de mère Anio."

C'est mon premier amour, mon étoile du matin, j'ai demandé à revenir ici

Avant de m'en retourner

Vers l'infortune de l'exil, pour enfin la retrouver

Et pour voir si je la reconnaîtrai."

 

Des années durant, elle n'a pas vécu, et dans ce monde si étroit

Elle était habile et gardait les clefs

De sa maison où jamais le prêtre n'est venu pour un événement heureux,

Elle a même parcouru un autre chemin

Le chemin qui mène au cimetière

Pour sa mère et pour son père,

La pente accidentée du souci et de l'inquiétude

Du souvenir qui dévore

Bien plus que les vers alertes de la terre affligée

Et que le chant funèbre.

 

Veuve de l'amour, loin des anciennes médisances,

Dans la maison paternelle,

Dans l'infortune et dans les ténèbres, telle une olive foudroyée

Je l'ai trouvée l'autre soir,

Et sur la maigreur de son visage on devinait seulement

Ses yeux en amandes,

Sombres et fatigués,

Signes des moments heureux de jadis;

- Si je pouvais, je me pencherais sur leur amertume

Pour y boire la fraicheur!

Ses yeux, mouillés de larmes,
Pour elle et pour moi

*

Miltos Malakassis : à A. Traulantonis.

Que dis-tu ? Entassés dans une barque
N'est-il plus temps de mettre le cap vers Agios Sostis ?
Et sitôt débarqués nous verrons
La "Cousine" qui nous attend

( 1942)


*

M. Malakassis

Batarias.

 

"Un Samedi soir, un Dimanche matin"

Le petit Boucavalas et Kliss le fils de Tzagarakis
Et Nicos, fils de Vranas
Surmontaient leur vague-à-l'âme, de temps à autre, le samedi soir,
En buvant en cachette chez Vlachos.

Comme tous trois, fils de bonne famille, étaient de joyeuse humeur,
Ils envoyèrent chercher les violons,
Peu après, ils virent arriver Panos Catsaros
Et derrière lui Thanassis Batarias.

Aussitôt, avec le violoniste et le joueur de hautbois
Avec aussi le joueur de luth,
Ils partirent vers la guinguette de Costas Kaliantéris
Que bien sûr ils trouvèrent là.

Costas, l'oreille aux aguets, toujours avec son tablier,
Bien droit, les reçevait,
Préparait leur table, là-bas, vers les tamaris,
Face à l'étendue de la lumière de la lagune.

Le temps de dresser la table et d'accorder
Tout doucement les instruments
On fredonnait déjà des refrains populaires et des airs orientaux,
Une flammette juste avant la flambée.

Dès que l'on s'était installé à table, alors ta voix s'élevait,
Grand Batarias !
Au troisième verre de vin, des oiseaux de paradis s'éveillaient,
Et sur les branches des arbres les rossignols.

Peu à peu, alors que tu déroulais dans la chanson, Ô miracle !
La bravoure des palikares,
Leur mal de vivre,
Et ton chant montait vers les étoiles, la lune et les dieux.

Et même en ces régions que personne ne peut atteindre,
Là où le souffle même s'épuise,
En ces régions, allègre, sautillante, de degrés en degrés,
Ta voix envoûtante descendait, de plus en plus grave.

Et comme cela se produisait souvent dans de telles fêtes,
La joie de l'été éclatait,
Le monde extérieur, les eaux et les champs embaumaient
Et tous ensemble poussaient,

Même la plus timide se dressait
Pour écouter et pour voir,
Pas une fille de vingt ans qui ne quittât le seuil de sa porte
Et pas une jeune veuve qui ne sortît dans la rue.

Et d'autres, encore enfants, tels des oiseaux dans leur cage,
Dans les cours et derrière les clotures
Dressaient les petites coquilles de leurs oreilles pour écouter
Et décochaient des regards perçants.

Les chansons, rosée ardente venue de l'air,
- Ô malheureuse passion ! -
Tantôt nourrissaient un feu, tantôt versaient
La fraîcheur d'une source sur les pétales du coeur.

Mais quand la voix comme une haute mer ébranlait la raison,
L'intelligence anéantie
Ne savait plus où elle allait, avec ses ailes à la dérive
Dans les souvenirs et l'océan des désirs,

Lorsque la nuit s'éclaircissait , face à la grâce
Etincelante de l'aube,
Batarias levant le bras jetait avec un ultime gémissement
L'archet dans l'eau.

Debout, faisant signe aux autres de s'apprêter,
Puis se penchant sur ces trois invités
Débutants, dont la tête
Etait encore pleine des fumées de la soirée,

Dégrisé, il leur disait qu'il était inconvenant,
Un matin et surtout un dimanche,
De voir des garçons élevés à l'abri des embruns
Enchevêtrés dans les violons et les vins.

Pendant qu'il tenait ce discours, les proches voisins,
Comme s' ils poursuivaient leur rêve,
Les uns logeant au marché d'en haut, prenaient le chemin de la mer
Et ceux du marché d'en bas gagnaient les ruelles étroites.

Les cloches se mettaient à sonner, la lumière
Dans ses premiers feux les recouvraient d'une[chape d'or
Les jeunes filles s'en retournaient pour dormir et leurs mères
S'habillaient pour se rendre dans les églises

*

M. Malakassis

Petite chanson de la lagune.

 

Passant une claie puis l'autre, nous fendions ensemble
Les eaux vert et or; le clair de lune serein déployait
Son filet, et au bout d'une gaffe nous avions allumé
Pour l'agrément, une lanterne cramoisie.

Ici une cabane, une autre là-bas, minuscules galets,
Le vent sur les eaux basses les entraîne, puis les roule.
Je te demandai: "Irons nous là ? "En riant, tu me disais: "oui "!
Et le vent de terre nous a entraînés vers le golfe.

Et alors, la voile gonflée, parmi la rafale et l' embrun
Nos désirs et nos rêves s'étiraient au loin.
Dans tes yeux, étincelait l'éclat de la lune
Et tout autour de nous, la mer écumante

*

Marceline Desbordes-Valmore.

L' Enfant grec

Au tombeau de Botzaris.

 

Ce gracieux enfant, cette innocence nue
Qui se prend à rêver au marbre d'un tombeau,
Que je l'aime à genoux, curieuse ingénue,
Epelant un feuillet si profond et si beau !

Elle éveille la mort sous sa fraîche prière
Sa douleur juvénile est sans cris et sans pleurs,
L'éternité, jeune âme ! Arrosera tes fleurs,
Car David avec toi les sema sur la pierre !

 

Marceline Desbordes-Valmore.

*

G. Drossinis.

La mort du cygne

Là, où la foulque noire et le canard sauvage
Trouvent leur quartier d'hiver sur un sol baigné de soleil,
Dans les hautes eaux croupies de la lagune
Que vas-tu chercher, blanc cygne du Nord ?

Une néréide, séductrice universelle,
La Liberté, a séduit le cygne ;
Elle habitait le Bastion, résidence royale de la forteresse,
Et pour parure de mariée avait des armes puissantes.

Le cygne blanc comme un Aigle voulut devenir
Et pour elle, étendit ses ailes et ses serres ;
Mais ce désir téméraire lui fut mortel

Aux premiers jours d'Avril, lorsque revenaient
Les oiseaux migrateurs, sur les rivages du nord,
Ils ont accompagné la dépouille du Cygne.

G. Drossinis.


*

K. Palamas

La Gloire de Missolonghi

(1826 - 1926)

 

Tu vis dans des fleurs d'écume parsemées de sel,

Terre, comme nouvellement sortie des profondeurs

Humides de la mer qui nourrit
D'abondants poissons.

 

Devenues un miroir, tes eaux sereines

Embellissent en leur sein

Les jeunes filles, les crépuscules, les clairs de lune,
Qui s'y reflètent.

 

Tes lamparos, tes bateaux de pêcheur, dans le soir,

Donnent à ton lac la solidité trompeuse de la nuit ;

Le mistral fait trembler tes voiles
Et tes enfants.

 

Ton olivier, même si la hache de l'Arabe

L'a blessé, pour toi toujours fécond,

Est fier aussi de te nourrir,
O pauvre salicorne !

 

Terre de marins, de grammairiens, de pirates

Tu es repaire, embuscade, respiration, patrie,

Connus de l'Africain et connus du Franc,
Tes rivages.

 

Célèbre pour tes voyages en mer,

Plus tard dans la nuit de l'esclavage,

Trompée par le Russe et par le Turc,
Brûlée par le feu,

 

Avec ton flambeau rayonnant

O Terre, tu regardes la marche de la nation,

Soudain te voilà à nouveau à la tête
Du combat héroïque !

 

Le Zygos, le Varassova et les sommets

En vigie au loin t'assistent.

Les montagnes, les hauteurs, affirment
Ta vaillance, ô Terre,

 

Pour célébrer ta haie imprenable, tes bastions

Aux sept vies, tes cabanes comme des forteresses

Tes humbles caÏques,
Tes flottes hardies ,

 

Pour proclamer que tes hérauts étaient des [mines,

Que les femmes étaient ceintes des armes des hommes,

Que les mains des enfants tenaient des pierres,
Armes de la liberté,

 

Que Klissova a fait revivre Souli

Que tu avais comme Anges gardiens des étrangers

Que tes pêcheurs étaient désignés pour être
Les apôtres d'un nouvel évangile !

 

Terre gravée par le destin, cent ans ont passé.

Comment as-tu tenu la Grèce écorchée

Sur ton corps affaibli,
O Terre hantée?

 

Alors que tu es tombée

Sous le fardeau de ton pays, comment t'es-tu relevée

Vers les cieux, pour reprendre
Ton souffle et ta respiration?

 

Missolonghi ! Joie de l'histoire,

Terre promise ! Cent ans ont passé,

Ont bien passé. Le souvenir immortel
S'inclinera devant toi.

 

Costis Palamas.

*

Costis Palamas.

Bâtissez des écoles

 

N'élevez pas de forteresses guerrières sur les sommets,
Bâtissez des écoles !
Construisez-les sobres, spacieuses, vastes
Sur des fondations robustes, à l'écart des contrées
Malpropres, trop bruyantes, insalubres,
Loin, loin des ruelles où ne pénètre jamais le soleil,
Bâtissez des écoles !

Et portes et fenêtres dans les murailles
Ouvrez-en largement, pour qu'entre le soleil souverain,
Protecteur, pour qu'il s'y répande, pour qu'il s'avance
Entraînant lentement derrière lui, comme un rêve
Le clair de lune.

Que les mistrals, les borées et les vents étésiens
Les remplissent, pour leur donner vie
Avec leurs chants d'oiseaux et leurs odeurs,
Et le maître d'école sera poète , les livres
Seront comme des lys.

Là où il y a de la place,
là où il y a de l'altitude,
là où il y a de la santé
Bâtissez des écoles.

Costis Palamas.


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Antonis C. Travladonis

 

Service de deux ans, souvenirs d'un officier de réserve

Il ne s'était encore rien passé, depuis que j'étais docteur, et déjà, j'étais prêt à dévorer le monde avec toutes les forces de mon âme et toutes mes sensations. Ce monde dont j'avais été privé, depuis tant d'années, ou dont je m'imaginais avoir été privé. Vêtu d'un costume neuf et élégant, plein de nouveaux désirs et de nouveaux rêves, j'avais passé cet été dans ma patrie

Je me souviens très bien de ce Dimanche après-midi ; j'étais en retard et je me dépêchais d'aller à Tourlida, où l'orchestre donnait un concert, lorsque le lieutenant, Monsieur G *, m'arrêta devant le bureau de recrutement ; je m' indignai aussitôt, peut-être parce que je n'avais pas encore aperçu dans l'orchestre les personnes que j'espérais, et que je m'attendais à voir seulement en ce dimanche après-midi. Mais, Monsieur le Lieutenant me parla avec tant d'affabilité et de naturel que je ne pus, étant docteur en philologie, faire fi de l'amabilité d'un lieutenant.

- Justement, je te cherchais, me dit-il. Tu sais où ils t'ont affecté, dans le premier bataillon de voltigeurs qui est basé à Agrinion

- " Voltigeur donc ! Petit voltigeur ! Au revoir mon rêve, au revoir !"

Je me voyais déjà au milieu de rudes supérieurs, dégradants, subissant les privations, les maladies. Tout ce qu'il y a de plus mauvais; et il s'attendait, du fait de ma faible constitution, à ce que je subisse toutes les afflictions et toutes les misères dans ma future carrière .

- Dis-moi maintenant, toi qui es instruit, te souviens-tu de ce que je vous ai dit ?

Un murmure de joie maligne suivit cette question. Et parce que, semble-t-il, toute maladie est contagieuse, il me vint à moi aussi l'idée malchanceuse et funeste de jouer avec le brave homme qui, même s'il était bon, avait, en fin de compte, le droit, par le moindre de ses ordres, de me supprimer ma liberté personnelle et de me faire faire la corvée de chiottes.

Ainsi victime d'une tentation badine qui, bien des fois, m'a poussé et m'a nui dans ma vie, je me suis avancé, j'ai salué, je me suis mis au garde-à-vous et j'ai commencé :

- Bien sûr, Monsieur le Lieutenant; vous nous avez dit que Monsieur Le Colonel souhaite toujours notre bien, et si parfois il nous envoie en prison, il le fait parce que le Père Sophronios a laissé une chaussette contenant des pièces de monnaie avec lesquelles vous avez acheté de la poudre à Dimitsani à l'époque où Lord Byron arriva et combattit avec Karaïskakis, comme l'avait dit le moine Cosmas, comme le rapporte également l'historien Paparrigopoulos. Ce dernier était un véritable savant, de même que le capitaine Yannos Cordoroubas, et non ce Semitelos dont Souris dit le plus grand bien. Et cet esprit fort, Monsieur Le Lieutenant, il importe peu qu'il n'ait pas obtenu de diplôme ; d'ailleurs les diplômes n'ont pas de valeur; ainsi, Georges Stavros qui fonda La Banque Nationale: vous avez vu que les billets de Banque portent son effigie, maudits billets, trop courants ; depuis le moment où ces chiffons de papier sont apparus, l'or a chuté. De temps en temps, on peut voir quelque petit Constantin, mais ceux là, les bohémiens les gardent, Dieu seul sait s' ils sont seulement chrétiens, comme on dit ; parce que j'ai entendu que Sélim à qui l' on a donné à boire du pétrole, disait que "Prinzos le Hadji" l'avait baptisé.

Les rires malaisément contenus de mes collègues troublèrent de nouveau le Lieutenant et ce Raseur m'interrompit d'un ton sévère :

- Tiens, mon gars ! Tiens ! Tu ne sais pas ce que tu dis ; qu'est-ce que c'est que ce discours ? Tout cela n'a ni queue, ni tête; toi, tu fais comme la fois où fut détruite l'horloge du fort de Leucade ; j'étais alors commandant en second de la place, et nous avions comme commandant le défunt Papachristopoulos, Dieu lui pardonne ! Il étais illettré, je ne te dis que cela, mais brave ! Ah ça, oui ! Si bien qu'il aboutit en Crimée comme franc-tireur à l'époque où tout le monde battait la Russie; pourquoi combattre la Russie qui est orthodoxe, n'est-ce-pas ? Crois-tu que la religion ne compte pour rien ? Est-ce que l'homme peut vivre sans religion ? Nous, nous deviendrons des francs-maçons comme KaÏris, qui a marché sur des icônes et les a foulées. C'est pour cela qu' il n' a pas pu faire fortune, comme Arius que St. Nicolas a giflé.

*

La Cousine

 

J'avais passé quelques jours dans une pêcherie de notre lac, la fameuse lagune de Missolonghi, que fertilisaient des carcasses de Maures, et d'où Palamas a tiré les Regrets. Et maintenant, je m'en revenais à Missolonghi. Le mistral gonflait à fond notre grand-voile, notre barque plongeait dans l'écume, la vague clapotait contre notre proue basse.

Nous nous taisions. Moi, étendu sur le ventre, à la proue, je rafraîchissais mes mains à demi-nues dans la mer et je m'imprégnais de sa vigueur. Le souple Phanis, dont le père était un pêcheur, me reconduisait en ville, droit à l'arrière de la barque, et tenait de sa forte main droite l'écoute de la voile, et, de la main gauche et du pied, la barre de notre gouvernail. A tout moment, une vague haute et d'un bleu profond arrivait pour nous engloutir; mais Phanis l'aperçevait et loffait, et seule son écume inondait notre barque frêle et m'arrosait du côté droit.

- Tu es trempé jusqu'aux os, me disait Phanis.

- Ça ne fait rien, répondais-je sans bouger de ma place.

En s'inclinant vers l'ouest, le soleil perdait peu à peu l'ardeur de ses rayons, si bien que maintenant, on pouvait sans crainte le regarder en face, de notre il sacrilège d'homme. Au ras de l'horizon de petits nuages frisés se teintaient maintenant d'innombrables couleurs avec des grâces infinies.

C'était l'heure des rêveries.

Moi pourtant, j'avais une autre raison de ne point parler. Phanis la connaissait. C'était le meilleur chanteur du quartier; depuis l'époque d'Horace, ou même bien avant, la meilleure manière de faire naître le chant de l'artiste est le silence, et la pire, une prière insistante. Cependant, il se taisait. Il avait beaucoup changé depuis le temps où nous étions condisciples et jouions aux voleurs et aux jeux de barre. Sa physionomie intelligente et ses yeux lumineux couleur de ciel étaient encore tels qu'ils étaient jadis ; mais, les traits fins caractéristiques de son visage avaient pris de la rudesse, sa peau avait fonçé, ses mains étaient devenues noueuses, ses membres avaient pris plus de vigueur et ses pieds étaient recouverts de cette peau impénétrable du pêcheur, qui sert de chaussure et préserve celui-ci de la glace comme de l'ardeur du soleil.

Instruit et chef de famille, il semblait pourtant mélancolique ; sa bouche s'ouvrait à peine sur un sifflement sourd, gommé par la clameur forte du vent de nord-ouest.

Peu à peu, cependant, la mer eut le dessus. Le sifflement devint un son et le son s'accentua en chanson. Avec une grâce profonde et venue de très loin, d'une voix pleine issue des profondeurs de la poitrine, avec de nombreuses ritournelles et vocalises, il chanta à voix haute et les yeux baissés :

"Goutte à goutte le marbre se perce.

Qui n'est pas saisi d'amour ne doit pas être aimé ."

Je levai les yeux et regardai les siens en face. J'avais l'impression qu'ils laissaient voir un doute quant à ma décision. Comme s'ils voulaient savoir pourquoi je partais, quel était ce malheur subit, dans quel état se trouvait maintenant mon cur, à quoi je pensais, qu'est-ce-que je calculais, si je la haïssais ou si je lui pardonnais, si je voulais lui conserver mon estime ou si nous nous séparions pour toujours.

A toutes ces demandes muettes de ses yeux, les miens demeuraient indifférents, comme s'ils ne voulaient rien comprendre; et pourtant ils étaient habitués à lire dans chacune de ses pensées, chacune de ses volontés.

Je sautillai sur la barque et m'arrêtai au milieu ; le fils du pêcheur recula jusqu'à la proue.

Le soleil avait à peine commencé à poindre, et il faisait déjà tellement chaud que partout dominait un grand calme, que pas une feuille ne bougeait, que pas une vague ne ridait l'eau: une mer d'huile, un parfait miroir.

Sur la plage se trouvaient le médecin, ma tante, Perséphone et Néno avec une robe rouge et une ombrelle de la même couleur.

Je ne savais pas pourquoi ce jour-là, elle s'était si bien habillée.

Nous partions.

Maintenant que mon cur était serein, maintenant que les bourrasques de la jalousie et de l'amour n'éblouissaient plus autant mes yeux, maintenant je prenais conscience de sa beauté, beaucoup plus nettement. Son visage clair et ses yeux angéliques pleins de finesse, sa taille, son corps, son maintien, ses mouvements, soit lorsqu'elle était joyeuse, souriante et vive, soit lorsqu'elle était pensive et sombre ou tranquille et imperturbable, tout comme la mer, tout d'elle était d'une beauté différente. Elle pouvait être semblable à d'autres au monde, mais il ne pouvait y avoir mieux qu'elle, parce que mieux, cela n'existe pas.

Depuis, j'ai vu et je connais bien des merveilles, des femmes, des itinéraires et des villes, j'ai vu le coucher de la lune avant le lever du jour, qui rougit le ciel au levant et au couchant, tout autour, comme jailliraient des soleils sang et or, j'ai vu l'aube sur les bois et le printemps en montagne, j'ai vu la clarté des étoiles dans la nuit, le lac silencieux. Mais je n'avais jamais ressenti ce que j'ai compris depuis, en la voyant sur la plage, avec sa tête légèrement tournée de côté et ses yeux fixés sur moi.

La malheureuse ! C'était la dernière fois qu'un homme la voyait, et, pour cela, elle s'était habillée avec tant de grâce, tant d'éclat.

Nous partîmes, et ils ont, eux aussi, délaissé le rivage.

Le médecin s'en alla le premier, puis ma tante, ensuite Perséphone. Néno restait encore.

Maintenant, je ne pouvais distinguer davantage ce qui la caractérisait ; je voyais seulement sa robe rouge et son pâle visage. Elle ne bougeait pas, ne prenait pas encore congé, restait immobile et regardait notre barque.

Tantôt, seul du rouge apparaissait; tantôt, nous nous tournions et un buisson de myrtes cachait son corps; seule l'ombrelle faisait une tache rouge.

Elle se trouvait donc encore là.

Tout cela me troubla, à nouveau, et fit fondre la glace momentanée qui avait figé mon cur. Je recommençai à bouillir.

Doucement, doucement, les cabanes, les claies, les joncs, les osiers et les myrtes disparaissaient. Cette marque rouge apparaissait encore sur la plage comme si elle avait été clouée là-bas, comme si c'était le drapeau d'un parti politique, comme si c'était un petit nuage dans le ciel.

Alors tout s'acheva. Nous tournâmes encore un peu et tout disparut.

Maintenant, la terre ferme et isolée de Skinia se couvrait de noir et de vert, avant de disparaître derrière le ruban plat d'Agios Sostis.


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I. M. Panaghiotopoulos

 

"Ville sacrée"

Deux grandes forces créent et maintiennent la beauté de Missolonghi: la nature et l'histoire. La première ne s'est livrée à aucun effort héroïque pour façonner l'endroit ; elle n'a pas corrigé ce qui jaillit à la lumière dans d'immenses débordements créateurs. Elle s'est abandonnée à la marche fortuite de sa paresse ; la terre, la montagne, la lagune, la dispersion géographique, l'air et la position de Missolonghi sont réellement l'uvre de la paresse. Nous y ajouterons ceci: justement, tout le résultat de cette insouciance créatrice a donné sa forme particulière à la ville ainsi que sa beauté incomparable. La seconde, l'histoire, uvre des hommes, donne au travail aléatoire de la nature une signification qui ne laisse aucun cur indifférent, parce qu'il demeure toujours surprenant et étrange que ce "Pays du Lac", comme l'indique l'étymologie de Missolonghi (Messo Laghi), inconnu dans l'antiquité, inexistant à l'époque des hauts-faits byzantins, insignifiant et modeste aux premiers temps de l'occupation turque, ait pu contenir dans ses fortifications basses toute l'existence, tout l'esprit enflammé de la nation, ait pu en devenir le symbole et la limite infranchissable, le lieu de mémoire nationale et de prière attendrie. La mer peu profonde et le marais vert constituent l'essence de ce pays. Le voyageur le ressent, en respirant l'air des marais, dès qu'il sort du frais défilé de l' Aracynthe, descend de l'Etolie du lac vers l'Etolie de la lagune, pose le pied sur l'escarpement de Krionéri, au pied du rude Varassova, approche cette terre pleine de légendes, à travers la mer azurée du golfe de Patras, perpétuellement agité et très houleux entre le grand torrent du golfe de Corinthe et la merveilleuse et rayonnante mer ionnienne. Il ressent ces impressions et les emporte avec lui. Et lorsqu'il gagne d'autres endroits, d'autres villes, il ne cesse de penser à Missolonghi. Pourquoi est-il prodigieux et inconcevable que tout s'adoucisse et s'apaise soudain dans ce pays lacustre presqu' improbable ? C'est que l'homme y vit seul avec son ombre et n'appartient ni au présent, ni au passé, ni au futur, plongé pour un moment dans un temps indéterminé, plein de nostalgie et d'attente. L'énergie et le clair devoir, le souci et l'agitation, l'inquiétude et ses débordements s'atténuent comme une très ancienne peine, face à cette lagune aux légères barques à fond plat, dont les cabanes de pêcheurs établies sur l'eau basse brisent la ligne d'horizon, et devant la permanence des pieux préhistoriques des hameaux de la lagune, pieux enfoncés dans l'eau comme s'ils avaient été décalqués d'une page d'un livre d'archéologie, pour la plus incroyable réalité. Je ne sais si je dois en rire. Si je considère le tout, et la ville, et ses habitants et son environnement, sans perdre de vue l'histoire et la tradition, alors Missolonghi me donne toujours l'impression d'un monde précaire, qui lutte pour ajuster sa démarche fatiguée à une réalité chaude et vivante et aussi la soustraire au cours de l'histoire. Peut-être, le charme particulier du lieu vient-il de là, si bien que l'habitant de Missolonghi s'accorde manifestement avec son lieu de vie, et que l'étranger lui aussi ne peut rester indifférent et sans réaction au spectacle.

Pour aller à Missolonghi et pour ressentir son ambiance, en goûter le sens, point n'est besoin d'en connaître l'histoire. Elle est toute prête à te l'apprendre elle-même. Tu la trouveras face à toi, à chacun de tes pas, et tu ne tarderas pas à comprendre que tu te trouves dans un musée où l'histoire et la gloire demeurent toujours entièrement en vie parce qu'elles n'ont pas la raideur et l'aspect figé et poussiéreux des chefs-d'uvre morts - et tu ressentiras une intense surprise, quand tu sauras que cette ville qui conserve dans ses veines la substance pure et héroïque de la nation n'est pas de fondation grecque, mais constituée à partir d'une communauté de pêcheurs dalmates et de pirates, qui sont descendus, comme nous le savons, jusqu'aux bouches de l' Achéloos, pour conserver leur humble existence et s'enrichir de l'or de la lagune, ces poissons abondants et réputés. Puis, longtemps après, le concours d'autres habitants, venus des plaines alentour, a été nécessaire pour que l'endroit acquière la conscience d'être grec. Le nom de Missolonghi n'apparaît pas dans l'histoire à une date bien reculée: à peine en 1571, dans le récit détaillé de la bataille navale de Lépante. Peu de temps après, tout indique que la vaillance et l'amour sans fin de la patrie y sont toujours vivaces. Les Orloff (1770) la trouvent révoltée et prête à s'offrir en holocauste pour la cause de la nation. Le sacrifice de Gribas et de Goulimis reste inoubliable, eux qui furent tués avec leur quatre cents compagnons à Angélocastro, en se battant contre six mille turcs: les Thermopyles d'Angélocastro. A cette époque, et un 10 avril déjà, jour fatal pour Missolonghi, une incursion ennemie écrasa la force navale de la ville. Par les Orloff, nous savons, lors de la révolution de 1821, que Missolonghi était un foyer pour la cause grecque, un lieu qui patiemment préparait ses grands capitaines et ses combattants, les matériaux, l'idéologie et les approvisionnements de la révolte. Les hommes sortaient de son école, celle de Palamas, avec un amour concret et éclairé pour leur patrie ; il s'est produit ce fait remarquable: la plupart des notables et des chefs de guerre de Missolonghi, contrairement à ceux du reste de la Grèce, étaient instruits, capables d'accomplir avec une rare conscience ce qu'ils avaient décidé dans un élan héroïque.

Comment le voyageur de passage pourrait-il oublier ces personnages, ces événements et ces prodiges, dès lors qu'il respire l'air de la ville ? Et comment ne pas le savoir, ou le ressentir, dès lors que pierre, retranchement, canon, maison, place, terre ferme et mer conservent, entière et inaltérée, la mémoire de leur grandeur ? Le rythme de la vie contemporaine et les gens d'aujourd'hui s'effacent devant eux. Et les grands noms et les grandes visions du passé dominent le rêve de chacun, et l'illuminent. Ce passé, actuel et toujours vivace, c'est Missolonghi : la tradition franchit les siècles et les obstacles, vêtue de la pourpre immaculée de son héroïque beauté.

Ainsi, il nous faut examiner avec davantage d'attention cette tradition. Parce que le sacrifice se révéla surprenant, et la résistance plus étonnante encore, sans avoir cependant le caractère d'une lutte âpre et grossière. Cette tradition fut faite principalement de persévérance. Elle n'était pas un débordement - ce fut une souffrance -. Les hommes qui forgèrent la gloire et l'immortalité de Missolonghi, en dehors des chefs de guerre et des meneurs de la révolte, étaient modestes et insignifiants, bergers et pêcheurs, bourgeois moyens ou pauvres gens, tous unis. Et la plupart d'entre eux ne discourut pas: "nous nous battrons". Ils dirent: "nous résisterons". Ils n'avaient ni appuis naturels, ni équipements lourds, ni technique, ni expérience, lorsqu'ils se jetèrent tête première contre un ennemi organisé et surarmé. Ils avaient seulement leur volonté et leur corps pour toute arme. Ils tenaient bon autant qu'ils pouvaient et se livraient corps et âme à l'anéantissement et à l'immortalité, quand ils n'avaient plus d'autres solutions. Ils faisaient de la vie une création et non plus une action, puisque la création est la forme de vie la plus spirituelle et la plus haute. C'est la leçon qu'exalte encore aujourd'hui Missolonghi. Chaque fois que je me trouve sur ses chemins, sur ses places, sur ses rivages tant vantés, au jardin où reposent les restes bienheureux des héros, je me sens saisi par l'air merveilleux de leur hymne, poésie si primitive et si pure, essence de la poésie. Le Jardin des héros, c'est l'esprit de Missolonghi, offert à l'émotion du passant. Grecs et philhellènes, gens célèbres ou humbles, personnalités ou menu peuple, monuments superbes et fragments de fer, qui ont alimenté l'audace et la résistance de la ville, grands intellectuels, un Byron, mais aussi les pallikares illettrés, un Botzaris, et ces chefs vénérés, un Kapsalis, et la jeunesse résolue et pleine d'énergie, un Hastings, tous réveillent des souvenirs palpitants et instructifs, parmi ces cyprès aux troncs élancés, parmi les fleurs multicolores, toujours odorantes et printanières. Comment pourrait-on fuir le lent et suggestif enchantement de ce jardin, le charme de la mer peu profonde et de la lagune basse chargées d'éternité ? Toutes les muses peuvent mourir. Mais la muse de Missolonghi ne mourra jamais. Les tombes des héros ne deviendront pas un lieu inculte et anonyme ; parce qu'ils se trouvera toujours une main compatissante pour en avoir soin, et un cur capable de ressentir la dignité de leur sacrifice. Et il existera toujours une jeunesse assoiffée d' héroïsme, animée d'un courage neuf, cherchant à se libérer, qui viendra ici apprendre la valeur de leur sacrifice et le mépris d'une existence matérielle.

L'événement brillant du 26 avril 1826 détruit par son existence même tout ce que le voyageur attentif pourrait se rappeler d'autre, devant les pentes tranquilles de la montagne, ou devant les plaines silencieuses couvertes de blé et de trèfle de l'Etolie méridionale. Autour de Missolonghi, nous le savons, et à part Krioneri où le Varassova descend à la verticale dans les eaux du golfe de Patras, il n'existe pas d'autre endroit surprenant ou émouvant. Les villages sont insignifiants et enfoncés dans la chaleur destructrice des marais. Seules, les cabanes de bergers ajoutent une note de simple pittoresque au paysage nu. Cependant, on ne doit pas passer le pont de Phidari, sans se souvenir que quelque part de ce côté, pas très loin du fleuve, se trouvait jadis une ville parmi les plus renommées chez les Etoliens et ailleurs en Grèce, Calydon. Ici donc, l'intrépide Méléagre, le fils d' née, prit en chasse et tua, avec l'aide de deux capitaines de l'époque au cur vaillant, le sanglier d'Artémis, qui ravageait la contrée. A ses côtés, première pour son audace, Atalante, la fille d'une Amazone, originaire de Tégée (la joyeuse et resplendissante cité d'Arcadie), l'assistait. "Méléagre et Atalante": je pense que leur conte merveilleux correspond parfaitement à ces sites de la basse et monotone Etolie, célèbre, dit-on, pour sa simplicité toute idyllique, afin de rendre plus incroyable et étonnante encore la page de la souffrance et de martyre de Missolonghi.


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M. Liberakis

Hymnes d'enfance IV

 

A l'arrivée de la nuit, la lumière du jour se réfugie dans les collines de l'ouest.
Là-bas, dans la campagne lointaine, s'allume un feu
Des voix indistinctes s'élèvent de la mer, l'air du soir les apporte,
Puis le silence couvre tout, une fois encore.

Promeneur solitaire, j'ai pris la route
De ma jeunesse livrée à tous les vents,
J'aperçevais le passage des bateaux dans le golfe
Et le mouvement de leurs traversées enchantait mes pensées.

Maintenant, les souvenirs amers me suivent
Et s' en vont en triste cortège au bout des eaux,
Fleurs qui se sont fanées aux mains qui les tenaient
Et les ont dispersés là où parfois j'ai penché mon corps nu.

Des oiseaux de mer voltigeaient autour de moi et la brise marine
Me caressait, - Ô ces caresses d'autrefois sur mon corps adolescent!-
A tout, je souriais sans défiance, la haie des viviers
Vibrait pour moi comme une harpe éolienne.

De tous côtés, je voyais la beauté des images et des formes
Et mon il s'empreignait d'une clarté exotique
Je pensais que le monde entier était un motif
De peinture, de poésie et de musique.

Mon âme grandissait libre et farouche
Je ne connaissais ni loi, ni morale
La société m'a étouffé, étrangers me sont mes parents,
Et solitaire mon culte pour l'éternelle beauté.

(Extrait du recueil Hymnes d'enfance -1934)

M. Liberakis


*

MISSOLONGHI

A Saint Siméon j'ai présenté mes hommages
Vêtu en armatole
A Saint Jean j'ai brûlé
Un cierge de cire
A Agrilia je me suis amusé
Allongé dans l'herbe
A Vassiladi j'ai mangé
Une daurade rare et fine.

Bigla aux eaux courantes
Aux nombreux platanes
Que de fois me suis-je délassé
Dans ton ombre, quand j' étais petit !
Tourlida mienne, Anémomylos
Avec des algues pour collier
Que de fois y ai-je passé la nuit
Seul avec mon chagrin !

Si seulement j'étais pêcheur
Pour que passent toutes plaintes
Dans tes eaux endormies
O mon pays illustre,
Tu m'as pris comme esclave
Missolonghi adorable, et de toute beauté,
Bien que je sois éloigné
Ma pensée va vers toi.

*

André Karkavitsas :

Saint - Siméon (La fête de Saint - Siméon).

 

A Saint- Siméon, sous le platane,
Il y a un petit puits où
Ils y boivent de l' eau...

C'est aujourd'hui le jour de la Pentecôte. Missolonghi, en ce jour, commémore toute entière une fête ancienne et imposée ; une de ces fêtes qui deviennent indissociables du lieu où elles sont célébrées, et qui sont caractéristiques de l'endroit où elles ont vu le jour. La fête de Saint-Siméon, en général aussi bien que dans ses particularités, évoque la grandeur sacrée et la gloire indicible de ce lieu, le sang et les larmes, le courage des braves, le panache de fumée et la poudre, les clameurs de triomphe et les soupirs profonds de la défaite, et en même temps la gaieté et le sourire, l'insouciance, et cet esprit épicurien inné qui s'observe chez tous les habitants, hommes et femmes. A celui qui voudrait justement étudier ce peuple aimable, reconnaître ce lieu vénéré, il suffirait simplement d'assister à ces trois jours de fête.

Parce que la fête n'a pas lieu seulement aujourd'hui, mais a commencé hier et se poursuivra demain. Et au cours de ces trois jours, la gaieté sourit et s'affiche partout. Dans chaque rue, dans chaque ruelle, tu vois un groupe, une compagnie d'environ dix à quinze hommes, souples et hardis, aux vêtements sombres, portant des armes comme ornements, assis en rond à terre, les jambes croisées, se réjouissant, ou debout, dansant en rond avec un air martial. A chaque balcon, à chaque fenêtre, la vue se pose, puis se coule languissante sur toute cette foule - foule adorable, inépuisable et compacte de ce lieu - , vers les jeunes filles élancées, brunes ou blondes, dont parle la chanson :

Blonds sont leurs fins cheveux
Leur cou a la blancheur de l'hermine
Le musc et la fleur d'oranger
Coulent de leurs joues...

et vers les autres, celles qui sont châtains comme dans les uvres idéales de la peinture, et vers d'autres, au corps bien fait et magnifique, au regard lumineux, souple et espiègle, aux lèvres petites, rouges et moqueuses, d'où ne sortent pas des mots pour te faire mal, pour te détruire. Et à chaque pas, partout, tant à l'intérieur qu'en dehors de la ville, de sourds roulements de tambours et les sons perçants de très nombreux hautbois t'apportent, comme s'ils rivalisaient l'un l'autre de leurs accents, rapidement et nettement ces vers à l'oreille :

A Saint- Siméon, sous le platane,
Il y a un petit puits
Où vont les enfants des Klephtes
Ils y boivent de l' eau...

Justement cette fête a un caractère historique ; elle provient en fait de la commémoration d'un événement historique, comme la fête de la sortie ou la fête du 25 mars. On lui donne le nom de Saint- Siméon, non à cause de la commémoration du saint du même nom, mais parce que, avant le soulèvement, les klephtes poursuivis du Mont Zygos, descendaient, le jour de Pentecôte, de leurs montagnes, et, invitant des prêtres de la ville, assistaient à l'office et faisaient la fête avec tous ceux qui accouraient en foule, des villages environnants, au monastère historique de Saint- Siméon. Ainsi, au cours des nombreuses années de souffrance et de servitude, cette sainte colline demeura le lieu de rendez-vous des trois parties de la nation, clercs, gens en armes et paysans, le lieu où tous ensemble se souvenaient et fraternisaient, rêvaient à la liberté de leur patrie, loin de la vue de leur barbare despote.

Après la Révolution, ce peuple, qui en était sorti comme les paralytiques de la piscine de Siloé, entier et vigoureux, athlétique et développé intellectuellement, grand par le cur et la sagesse, voulut que se poursuive la célébration de cette fête martiale, la transmettre à sa postérité, avec le doux espoir qu'il la lui lèguerait avec sa flamme guerrière et ses aspirations immenses. Et il les a aménagées. Divisé en bandes, il a accepté le nom que portait chaque groupe de combattants lors de la Révolution. Il a revêtu le costume crasseux des klephtes, le mouchoir noir et les tsarouk tressées ont été chaussés ; il a accroché les bandoulières et les agrafes, les cartouchières et les baudriers supportant une poche en métal, le gobelet et les chaînes en sautoir, la résille d'argent et d'or reluisant sur les poitrines larges et par-dessus la veste brodée d'or avec cinq rangs de boutons dorés, il a porté à la ceinture le lourd et riche armement, il a fixé à l'épaule le sabre léger et il a pris en main le lourd fusil au long canon, et il est devenu à la fois effrayant et invincible, prêt à concourir pour de nouveaux trophées.

Mais il ne s'agissait pour lui que d'imitation. Dressé sous cette armure belliqueuse, juste un simulacre, l'ornement digne d'un pallikare, sans la fumée de la poudre ni le sang des batailles, pur, resplendissant comme un arbrisseau mâle en train de renaître, il appelle à la noce, invite à la fête, convie les jeunes à l'imiter, à accourir vers lui, et il chante, excité, ivre de joie et d'indépendance.

Hélas ! Malheureux que je suis ! J' ai une mère
Et elle est méchante,
Elle ne me laisse pas me divertir maintenant que sont libres
Ceux qui portent la fustanelle et les tsarouk tressées.

Et les jeunes l'ont imité. Ils ont applaudi leurs bandes, ont revêtu leurs costumes, ont porté leur équipement et chanté, enivrés, l'hymne de leur liberté. Ainsi donc les pères avec les fils, les combattants trois fois illustres et les gens heureux de la victoire, les jeunes enthousiastes, les uns portant les armes avec lesquelles ils avaient brisé les liens de l'esclavage, les autres tenant ces mêmes armes avec le respect, la douceur de l'attente, et l'idée que jamais ils ne les deshonoreront, les hommes divisés en gent de pied et en gent à cheval, tous se sont finalement rencontrés, au coucher du soleil, au centre de la ville et, de là, se sont mis en route vers Saint- Siméon, par petits groupes, ayant à leur tête le prêtre, tenant à deux mains un sabre nu,, comme s'il ouvrait la route à tous. Derrière le prêtre, marchait le porte-bannière, levant haut le drapeau bleu et blanc. Puis suivaient ceux qui allaient faire la fête, piétons et cavaliers, et leurs intenses et malodorantes décharges se mêlaient aux sourds roulements des tambours et aux voix joyeuses de la foule.

Le monastère de Saint-Siméon est celui que la garnison de Missolonghi, à la suite de sa glorieuse sortie, avait fixé comme lieu de rassemblement des assiégés. Il est érigé sur une colline qui se trouve au sud-est du Mont Zygos, il a derrière lui la montagne et devant s'ouvrent un vaste horizon, toute l'étendue de la plaine, la lagune entière, la mer jusqu'aux côtes d'en face et aux îles.

A vrai dire, le monastère est de style byzantin tardif. Il est érigé au milieu d'une cour carrée, pavée, entourée d'un enclos. A droite du monastère et vers l'entrée de la cour, il y a un ancien petit puits, peut-être celui dont les enfants des klephtes burent l'eau. A l'autre extrémité se trouvent des cellules où, jadis, vivaient les moines. A l'extérieur de l'enclos, on trouve une étendue inclinée. Des ravines à droite et à gauche, couvertes de hauts platanes et du côté de la pente un autre petit puits.

Dans cette cour donc, et sur l'étendue à l'extérieur, sous les platanes, à côté du puits, derrière le monastère, tous ceux qui font la fête se rassemblent. Des débits de boissons et de café improvisés sont dressés, des lanternes en verre et en carton sont allumées partout; des drapeaux de toutes sortes et de toutes les couleurs sont déployés ; on allume des feux qui montent vers le ciel. Ici une bande fait rôtir son agneau, plus loin une autre s'assied en cercle et festoie, une troisième fait l'accueil avec empressement, et offre des amuse-gueules et une gourde en bois aux étrangers, ailleurs une autre tout excitée exécute une figure guerrière, tandis que plus loin une dernière, épuisée, gît isolée dans l'herbe, à côté de son feu dont la flamme vacille et à côté des restes dérisoires de son festin. Partout des clameurs, des chants, du bruit, partout des éclats de rires, des salutations inarticulées, et la colline au loin brille, ardente de poussière et de fumées comme le Mont Sinaï.

Et cette gaîté, ce tapage, sans parler de la ripaille, cette fête durent toute la nuit et jusqu'au milieu du jour suivant. Alors tout cesse. On s'asperge d'eau, de l'eau abondante et froide du petit puits, les vapeurs s'en vont et l'on revient à soi. Chacun se nettoie avec soin, étire ses muscles, rajuste son costume. C'est le moment de se remettre en route, de faire son entrée en ville, convenablement et décemment. Tant de monde les verra - la ville toute entière est sortie pour leur faire accueil.

En effet, depuis midi, toute la ville est dehors et les attend avec impatience. Pourquoi toute la ville ? Quelques-uns, peu nombreux, ceux qui restent à l'intérieur, ne peuvent, du fait de leurs occupations, se rendre à la fête, ainsi que la foule des femmes, les jeunes filles joyeuses et les enfants innombrables.

La rue Athanasios est pleine de monde, de gaîté et de couleurs. Déjà, le soleil marche vers son déclin, l'impatience augmente, est à son comble, elle s'affiche irrésistiblement sur tous les visages - ils arrivent - ils n'arrivent pas encore.

L'étranger s'ennuie, il subit l'attente. Peut-être arriveront-ils par une autre rue ? demande t-il.

Non, lui répondent les gens du pays en souriant, très fiers de leur fête, et ils s'éloignent de la rue de Vohori, reviennent sur leurs pas, à partir de là, en traçant de larges cercles. L'étranger attend. Soudain de sourdes et malodorantes décharges se propagent dans l'air et la vague de la foule se bouscule en avant. Ceux qui ont participé à la fête apparaissent dans la rue plantée d'arbres, les cavaliers en tête, les piétons derrière, accompagnés de roulements de tambours, au milieu d'un nuage de poussière. Tu te demandes alors si tu vois s'avancer vers toi, vivante et en marche, l'image de la noce telle que la rapporte la chanson populaire :

Voila le chef qui arrive à cheval dans la plaine,
Avec quatre cent seigneurs et neuf paires d'instruments de musique.

A nouveau le prêtre à cheval ouvre la marche, le drapeau bleu et blanc flotte au dessus de lui et, à sa droite et à sa gauche, deux jeunes gens marchent de front en levant deux impressionnants yatagans, comme s'ils étaient prêts à répandre le sang de celui qui voudrait assaillir leur prêtre, ou insulter leur nation.

Et à mesure que le cortège se rapproche de la ville, les longs fusils ajoutent leurs éclats incessants au mélange des roulements de tambours et des coups de tonnerre des pistolets d'argent.

Ils pénètrent ainsi par la porte de Vohori, enfilent la rue du même nom dont ils sortent suivis de toute la foule. Et quelle est, pensez-vous, leur première occupation ? Elle est sacrée et sainte. Tous ensemble entrent dans l'Héroon bien ombragé, dans cet ornement sacré de la ville et d'eux-mêmes. Le prêtre lit à haute voix une prière, et ces fils reconnaissants tirent trois salves sur ces tombes, où gisent ceux qui ont rendu la liberté à notre patrie. Puis tous se répandent à travers la ville, chaque bande, isolé, s'abandonne à sa joie et à la boisson devant les cafés et les débits de vin, avant de choir lourdement par terre sur le bord du chemin. Et, durant toute la nuit, l'air ne cesse d'apporter aux oreilles de l'étranger, directement, les sons nets des hautbois qui se répondent :

A Saint-Siméon sous le platane
Il y a un petit puits
Où vont les enfants des Klephtes:
Ils y boivent de l' eau...

André Karkavitsas

*

Costis Palamas:

"La Fête du pêcheur". Saint-Siméon (En voyageant)

 

 

A Saint-Siméon sous le platane, au petit puits si frais
Où vont les enfants des klephtes pour boire de l' eau,
A la fête de Saint-Siméon, pêcheur au harpon,
Je ne peux pas aller, dans la montagne.

Je n' assiste pas à la longue fête des beaux gaillards
En fustanelles, en armes, aux vestes brodées d'or,
Toujours désarmé, pêcheur, nu, patron de ta barque,
Le dur labeur dans les îles désertes, là-bas, te connaît.

Les fustanelles, les armes, les vestes brodées d'or
Ne sont pas pour les joies et pour les fêtes.
Le sang et l'incendie les ont sanctifiées.
Dédiez les aux icônes et allumez leur un cierge.

Mais lorsque la fête bat son plein du côté de Klissova
A Agia Triada une fois par an,
Un souci me harcèle dès le matin venu:
Flonflons de la fête près de la mer.

Au milieu de ma barque bien construite
Vif jusqu' à la nuit, je laisse le peuple en fête,
J' apporte un poisson argenté et un cierge en l' honneur
De la Sainte-Trinité, et ensuite je bois toute la nuit un vin d' Ithaque.

 

*

Lettre de Charilaos Tricoupis à sa sur Sophia.

Missolonghi, le 16 avril 1895

Je t'ai télégraphié récemment que j'ai perdu les élections.

Ne pense pas que je sois le moins du monde gêné par cet échec, tu sais que je m'adapte aux circonstances comme elles se présentent, comme si elles résultaient de mon propre choix.

J'ai, déjà, l'intention d'annoncer que je me retire complètement de la politique. Tant que j'étais réélu député, j'avais suffisamment d'engagements à la fois envers ma circonscription et envers ceux qui ont soutenu comme moi la même politique à la Chambre, pour ne pas m'éloigner alors de la carrière politique, mais puisque j'ai été jusqu'au bout de ce qui m'était imposé pour rester en son sein, personne ne peut se plaindre de moi, et si je ne suis pas réélu, je me retire pour me consacrer à ma vie personnelle, en laissant à d'autres le soin des affaires publiques.

Ne parle à personne de tout cela, car j'ai pour ma part envie de l'annoncer à ceux qui ont un droit légitime à ce que je leur donne les éclaircissements sur les sujets liés à notre collaboration au régime représentatif. Or je t'écris pour que tu aies une entière connaissance de ce que sera ma situation à l'avenir. A propos de mon retour à Athènes, je prendrai une décision demain. Cela étant, il importe, comme je te l'ai dit ci-dessus, que personne ne sache quand j'arriverai, personne ne doit venir m'accueillir.

Le frère.

*

Yannis Blachoyannis

" Les Années de Gloire "

C'ETAIT EXACTEMENT ÇA....

 

- "Grand-père, lève toi, grand-papa ! Aujourd'hui, c'est fête, c'est un jour solennel !Pourquoi gardes-tu le lit et te plains-tu ? Tu gémis toujours et tu grondes ! Ça suffit maintenant ... Viens voir! Va te changer pour que nous allions sur la place. Nous avons aujourd'hui une grande fête. C'est aujourd'hui le samedi de la Saint-Lazare, grand-père..."

C'était un jeune écolier, plein de vie. Dès qu'il revenait à la maison, il s'échappait aussitôt... Le grand-père savait bien sûr que c'était aujourd'hui l'éclatante veille d'une grande fête, celle du jour de la Sortie ! Ah! Il se souvient d'un jour aussi mémorable... Cela ne se produirait plus jamais, Dieu, d'ailleurs, ne le permettrait pas... Le grand-père le savait depuis longtemps... Et il y pensait... Le sommeil ne lui venait pas. Son esprit affligé était entraîné dans un immense souvenir... Et il attendait ce jour comme s' il devait revenir encore une fois, bien que ce jour ait été si amer...

Le petit écolier rôdait à nouveau.

- Grand-père, tu es encore là ? La messe est finie.

- Dis donc, mon bel enfant, ne me gronde pas ainsi. Je suis vieux. Je ne peux plus courir. Laisse-moi dans mon piteux état.

- Mais grand-père, tu n'entends donc rien ? Le cortège de la Sortie défile !

Ce mot frappa bizarrement le vieillard... La rumeur de la procession lui arrivait de la rue voisine, un tremblement furtif le prit aux entrailles... Son esprit se troubla... Qu'as-tu dit ? La procession de la Sortie défile. J'arrive !... Mes armes !... Dressé, il s'élança comme un pallikare. Sans se changer, encore décoiffé, il ceignit en vitesse son sabre et s'échappa en courant...

Ses yeux se fixent tout autour de lui. Comme s'il cherchait... Le canon et le fusil remplissent toute la ville de leur bruit. Quel monde ! Chacun a revêtu ses plus beaux habits, tous portent des armes et tirent en l'air ! Le peuple joue à ce jeu avec toute son imagination, une fois par an... Il veut interpréter ainsi cette grande représentation, pour voir comme c'était alors. Et le vieillard y va pour y croire... Il se retrouve avec son petit-fils en queue du cortège. Ils arrivent enfin aux tombes... Des milliers de gens écoutent celui qui prononce un discours... Mais, le discours est sans fin... sans fin... le vieillard se concentre... Mais il ne comprend rien ! Rien ! Lui, il attendait autre chose

- "Eh bien! ... Ce n'était pas ça ! "

Il a crié d'une voix forte, s'en est allé du milieu de la fête, pour retourner chez lui...

Il était très fâché ...Il gémit. Il ne parle plus à son petit fils... Soudain il s'arrête sur place. Dans la direction où il va, il entend.. Quelqu'un chante... Un mendiant couché à terre chante... Il psalmodie un air triste... La lamentation de Missolonghi !

"Si je pouvais voler comme un oiseau, j'irai très haut
Pour apercevoir la Roumélie, l'infortunée Missolonghi
Lorsqu'elle se bat contre les Turcs, contre quatre Pachas!"

Dressé, le vieillard, inébranlable, écoute... Une source jaillit de ses yeux... Il pleure ! Il pleure en silence et ne parle plus...

Puis s'achève la chanson... Le vieillard n'en supporte pas plus... Il crie :

- " Enfin!... C'était exactement ça !"

Et il est rentré chez lui avec sa peine.

 

Recueil de nouvelles : " Les Années de Gloire "

Yannis Blachoyannis.


*

Costis Palamas

Notre maison.

 

 

Notre maison est une maison d'où sont absents

Le laid bourdonnement et le silence de mort

Des autres demeures en vis-à-vis et alentour.

Dans notre maison les oiseaux gazouillent plus que de coutume,

Dans la cour de notre maison le rejeton

De l'arbre divinatoire de Dodone se couvre de feuilles ;

Dans le jardin de notre maison fleurissent très denses

Les pimprenelles et les serpentaires,

Dans notre maison resplendit un miroir magique

Dont la glace reflète en entier

Le visage très surprenant de l'univers ;

Et le silence de notre maison est lourd

D'un gémissement étouffé, presque informulé

Des temps passés et des siècles à naître.

Dans notre maison les âmes voient le jour et meurent doucement,

Sur de jeunes pousses d'autres jeunes pousses passent et se succèdent

Et les vieillards portent les barbes opulentes des Lévites,

Blanches, leur front est élargi par la méditation

Et le courroux des prophètes ; ils affichent aussi le calme,

Le caractère insaisissable et menaçant des ombres.

Les jeunes, eux, parmi les vallons très resserrés de l'esprit

Poursuivant avec ferveur leur promise, la Pensée,

Dispersent l'ardeur d'insupportables satyres,

Et les enfants, oubliant facilement leurs jeux,

Relégués dans un coin, à maintes reprises ouvrent

Pensivement les yeux, et font comme s' ils étaient grands.

Tous, aïeuls, descendants, petits et grands,

Tous à se montrer parmi la foule

Ont des manières propres à engendrer les risées,

Mais ils possèdent la parole qui porte et qui captive.

Pourtant, des plus spirituelles et des plus belles

Vibre dans notre maison et la comble,

Réservée à ses élus, une rare harmonie

Issue de l'éclair du Sinaï et de l'éclat de l'Olympe,

Comme si chuchotaient dans les ténèbres stellaires

La harpe de David et la lyre de Pindare !

*

Lettre de J. Black à Thérésa Makris

Missolonghi, le 5 mai (17 mai pour le calendrier occidental),

 

Ma chère Thérèse. J'ai enfin appris que vous étiez bien arrivée. Loué soit Dieu, j'étais très inquiet, parce que les journaux ont mentionné que d'innombrables catastrophes étaient arrivées.

Etes-vous en sécurité? Il faut que vous alliez voir l'ambassadeur, avec Merlin si possible, je l'ai écrit aujourd'hui à ce dernier. Monsieur Alexandros est à l'auberge Manéssis - hôtel d'Orient - je suis allé lui rendre visite. Je l'ai invité à venir prendre quelque chose à la maison mais il n'a pas voulu, je ne l'ai pas vu davantage. Je me proposais de l'inviter à partager un repas avec moi, mais peut-être que cela ne lui convenait pas, aussi je ne lui ai rien dit.

Palamas progresse chaque jour, ils sont nombreux autour de lui maintenant.

Les secousses sismiques m'ont fait un moment presque perdre la raison.

Tout le monde va bien et vous embrasse affectueusement ,

Je suis pour ma part,

Entièrement vôtre.

J. Black.

Sincères salutations à tous. Que devient Tsira-Kolona ?

(Cette lettre est conservée aux archives Kampouroglos).

Jacob Black, anglais, Préfet de Police, Secrétaire du Régent bavarois Armansperck, et plus tard professeur d'anglais et de français dans différents collèges, épousa Thérésa Makris, âgée de trente ans, en 1829.

Plus tard, en 1862, il fut nommé vice-consul d'Angleterre à Missolonghi, lorsque le couple des Black s'y installa. Les absences de Thérésa à l'extérieur de Missolonghi étaient pourtant fréquentes. Cette lettre, qui se rapporte à l'une d'elles, a probablement été écrite en 1867, l'année précédant sa mort à Missolonghi le 30.1.1868 (11.2.1868).

Le consulat anglais était situé Rue Papoulas et 1 Rue Drossinis Baltinos, dans la maison Haïdoulis, à côté de Saint-Spiridon, tandis que l'auberge Manéssis mentionnée dans la lettre se trouvait un peu plus haut que l'actuelle maison d'A. Bergounis.

Palamas, dans son Art Poétique (p.122) se souvient de Thérèsa Makris en ces termes: "La jeune fille d'Athènes, la muse de l'auteur de Childe-Harold, devenue depuis lors la respectable "Madame Black", établie ici même dans notre ville, recevait lors de ses après-midi de visite, les personnes de ma famille qui s'y rendaient et qui m'y ont conduit moi aussi lorsque j'étais tout jeune".

 

Revue Etoliki. 28.4.1963. K.S. Konstas.

*

Miltos Malakassis

Le Bois

 

Le bois que tu désirais ardemment

Jusqu'à ce que tu le dépasses,

Maintenant oublie-le

Promeneur de l'après-midi,

 

Un matin l'ont saccagé

Les bucherons sans fatigue

Et là, maintenant, des routes,

Promeneur de l'après-midi.

 

La très profonde plainte

Qui effleurait ton cur

Et brisait tes genoux,

Tu ne l'entendras plus.

 

Les oiseaux de la nuit

L'ont emportée sur leurs ailes

Tremblantes, grandes ouvertes,

Pour en faire leur voix.

 

Tout ce qui criait d'une voix enrouée

Avec une voix d'homme,

Dans l'apaisement du lieu,

A sombré dans le silence

 

Et la lame, sanglante

Et nue, s'est abattue,

Tu la voyais dans une main

Briller et fulgurer.

 

Le doux murmure

Qui te conduisait, Promeneur,

Vers des palais merveilleux,

Sans l'espoir d'une aube

 

L'ont emporté - regarde,

Dernier frisson,

Les feuilles déjà mortes

Qui gisent à terre.

 

Et la harpe au doux timbre

Qui doucement te grisait,

-Mais en cachette te frappait

Une musique de mort-

 

S'est perdue,

Dans les mers, dans les montagnes,

Avec la pure fille qui la portait,

Pour qu'on ne puisse à nouveau l'entendre.

 

Le bois que tu désirais ardemment

Jusqu'à ce que tu le dépasses,

Pour toujours tu l'oublieras,

Promeneur de l'après-midi.

 

A présent, ils sont devenus

Cercueils, tes arbres sauvages,

Et tu les trouveras dans la ville,

Promeneur de l'après-midi.

*

Lettre de C. Palamas

Aux éditeurs de la revue " I Bigla " (La Sentinelle).

Mes jeunes amis,

Le nom qu'une pensée, évidemment inspirée, a donné à votre revue, mérite, pour cette unique raison, une louange.

Simple, vivant, original. Mot parmi les plus exceptionnels de notre jeune langue, c'est-à-dire à la fois rare et populaire. Nom venu des Anciens, mais si proche de nous, à travers les temps. Par ses sonorités et son sens, il s'offre aux plus beaux rythmes des poètes, et sans les impuretés de la place publique, qui rend trouble et altère toute texture, et loin de la vaine prose que fait le gentilhomme campagnard, il s'offre à l'usage.

Pourtant, en ce qui me concerne, ce mot évoque surtout ma vie toute entière et me murmure doucement les souvenirs d'une jeunesse éclatante.

Je me souviens de ce lieu [de Missolonghi appelé "la sentinelle"- note du trad.] champêtre, naturel, bien ordonné et propice à tant de désirs, de regrets, de joies, pour ma jeune conscience ! Un champ là-bas de l'autre côté de la route, qui conduit tout droit vers les jardins d' Anatoliko. Ah! Toutes ces années, qui ont passé depuis lors !

Il y a presque un demi-siècle.

N'est-il pas vrai que l'on y trouve encore, juste au milieu, la cabane en bois du cafetier, avec les traditionnels loukoums, les rafraîchissements à bon marché pour le plaisir du palais, qu'on y proclame encore, supérieur à tout, le café riche en sucre et odorant, que l'on y entend à tout moment le voluptueux glouglou du narguilé d'Asie Mineure ? La promenade au coucher de soleil, le dimanche, a-t-elle toujours autant de succès ? Tout d'abord, jeune enfant à l'école communale serré contre les robes de mes cousines chéries, plus tard jeune écolier au collège, déjà faisant des vers et bien inspiré des muses, recherchant les honneurs poétiques et toujours meurtri par l'amour, (je ne sais si l'amour m'a nécessairement révélé l'art du chant, ou si la poésie, dans son intérêt, m'a toujours soumis à l'amour), j'attendais anxieusement le coucher du soleil, le dimanche. Cela m'amenait à Bigla. La fanfare militaire y jouait quelques-uns de ses morceaux, le "Chasseur" qui nous enchantait, quelques mélodies italiennes pathétiques, dansantes, faciles à retenir. Elles renforçaient en moi le penchant à la rêverie, et, en séduisant mon imagination, elles faisaient même apparaître l'ébauche d'une Laure de Pétrarque ou d'une Elvire de Lamartine dans la jeune fille de bonne famille, adolescente sans soupçons qui, toute vêtue de blanc, passait là, au cours de la promenade dominicale à Bigla.

A Bigla encore, un soir d'été à la lune ronde, comme je fêtais avec des camarades du même âge ma délivrance autour d'un mets appétissant cuit au four, avec du vin sec de couleur bordeaux. Délivrance de quoi ? J'entrais dans une autre période de ma vie. Comme si j'étais devenu un autre homme. Et je réalisais comment, d'abord et avant tout, il était nécessaire d'obéir à soi-même.

Mais rien ne peut se comparer au souvenir de la petite fontaine. Le trésor royal de Bigla. Parce que de cette petite source a jailli un filet d'eau toujours fraîche, si bien qu'en la buvant on arrivait à goûter toute la joie du monde.

On m'a raconté que dans le temps la miraculeuse petite source s'était tarie et qu'à nouveau - à Pâques, la Pâques du Seigneur! - elle s'était remise à couler dans sa vasque, avec sa fraîcheur première, sa transparence et sa grâce.

Pour ma part, je me réjouis, mes jeunes amis, de voir que votre rêve répand ce qu'il y a de meilleur: le charme, la pureté et la fraîcheur de l'eau du même nom.

 

Costis Palamas (1916-1923, Correspondance Tome II, p. 192-193).

*

C. Palamas

La Mort du Pallikare. (extrait)

 

Mais la grande fête a lieu à l'extérieur des églises. Autour des grands feux alimentés de résine, de sarments, de planches, de balayures, de huches, de paniers de lessive, et, de temps à autre, d'un volet entier, - provenant, hélas, d'une de ces petites maisons basses, et dont le propriétaire se débarrassait stupidement, cette nuit-là ! - , autour de ces feux, gamins et petits enfants, et parmi eux quelques hommes à moustache également, sautent, courent, poussent des cris, s'agitent comme des démons: ils tirent des coups de feu dans l'obscurité et brisent le silence avec fusées et pétards grossiers - délivre-moi, Seigneur ! - pétards, véritables talismans mûris avec art à partir de chaumes et de papier épais et remplis de poudre, d'une poudre inépuisable. On a promené le plateau à poudre entre les églises. Des hommes et des enfants ont allumé avec celle-ci les ustensiles du feu, pour que l'année soit bonne. L'espace marin sentait la poudre, paroissiens et paroissiennes se tenaient prêts aussitôt pour la bataille. Les églises n'étaient pas les seules à être ouvertes à cette heure. Ça et là quelques cafés ou tavernes paraissaient encore entrouverts.

Jusqu'à l'heure où apparaîtrait l' Epitaphios, trois heures du matin, la foule ne pouvait passer son temps debout à l'église ! Soit avec un café bien tassé, soit avec un hors-d'oeuvre et deux gorgées de vin de Pyrgos, chacun se restaurait après le jeûne et reprenait des forces pour escorter l'Epitaphios. Et peu à peu les groupes avançaient vers les églises, le palais désaltéré. Enfin, on avait laissé au cabaret de Psimenos une joyeuse compagnie: Mitros Rouméliotis, Yannakos dit Tarnanamas, Marcos Kaninias

et l'enfant de Charitainas que personne n'appelait par son nom, puisqu'il l'avait lui-même oublié et ne répondait qu'au cri de "Taria Tarela". Tous quatre étaient marins: le premier avait un bateau de pêche, le deuxième travaillait sur le bateau du premier, le troisième voyageait sur des chalands et Taria Tarela était pêcheur. Agés tous quatre de vingt-cinq ans, ils étaient liés comme des frères depuis leur plus tendre enfance. Le vin et la conversation enflammaient leurs cerveaux, et, si cela n' avait pas

été Vendredi Saint, ils auraient parlé d'une voix bien plus forte. Une chanson presque calme, douce et fluide, involontaire, franchissait leurs lèvres au cours de cette nuit. Enfin, ils s'apercevaient combien ils étaient en retard. A Saint-Nicolas, à peu de distance de la taverne , ils se mirent à chanter "Toutes les générations ". Psimenos entreprit aussitôt de fermer boutique. Ils se hâtèrent à l'instant. Ils se retrouvèrent sur la route.

- "Dis donc, j'ai oublié les feux de bengale", cria Kaninias.

*

Spyros Kaninias

SAINT-LAZARE.

Le visiteur du cimetière Saint-Lazare (que les gens de Missolonghi dénomment ainsi en souvenir de sa chapelle sacrée) est surpris par cet espace presque entièrement rempli de tombes en marbre, toutes érigées sur le même modèle. Il y remarque parfois un monument funéraire intéressant, soit en raison de l'aspect de la tombe, soit à cause du caractère historique du nom des défunts. Pourtant, la plupart de ces tombes n'ont abrité - hélas ! - que des gens sans importance.

Nous mentionnerons comme un fait historique le souhait des anciens Missolonghiens d'être enterrés au cimetière de Saint-Lazare: il y a presque un demi-siècle, Malakassis et Travladonis étaient soignés à "l' Evangélismos"; ils pouvaient correspondre d'une chambre à l'autre et le prosateur disait au poète: " ...ton désir de mourir là, dans la saumure de la lagune... Là, à Saint-Lazare, où ont été enterrés nos parents et les parents de nos parents... J'imagine de manière hallucinée que, si l'on m'enterrait ici, j'accueillerai un après l'autre ceux qui viendraient me rejoindre plus tard. Et je serai fier des garçons et des filles qui arroseront les romarins poussant sur nos tombes..." (Revue "Néa Hestia " tome 33, 1943, page 700 ).

Déjà l'autorité municipale a décrété que le cimetière ne présentait plus d'espace libre et a décidé d'ouvrir un autre cimetière dans un autre quartier (à environ trois kilomètres au nord-est de la ville). A l'avenir, on ne délivrera plus de nouvelle concession à Saint-Lazare, dans notre cimetière traditionnel, dont l'ouverture a eu lieu vers 1830. Notons qu'au cours des années passées, (à l' époque de la Révolution et plus anciennement), les défunts étaient enterrés dans l'espace avoisinant les églises - et que - d'après une tradition orale - dans la chapelle de Saint-Nicolas, qui se trouvait dans le quartier de l'actuel Héroôn, on a placé la tombe de Marcos Botzaris (1823) et les viscères de Lord Byron (1824).

Depuis, poussé par une motivation intérieure, j'ai fait

l'inventaire des tombes que l'on considère à juste titre comme remarquables. Le recensement a été réduit à un simple relevé des identités et des inscriptions exceptionnelles rencontrées sur chaque monument funéraire. Ainsi a été constituée la liste suivante, qui comporte assurément des erreurs et des omissions, mais qui pourrait pourtant être utile à qui voudrait étudier plus à fond notre cimetière.

Pour lire cet inventaire avec profit, considérons que les deux principales voies parallèles qui divisent le cimetière (d'ouest en est) partagent l'espace en trois portions, nord, centre et sud. La division de la liste reflète ce triple intervalle.

 

Spiros A. Kaninias.



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Acacia Cordossi

TASOS MANTAS, LE PEINTRE

 

Il y a de nombreuses années, alors que la mer embrassait encore les pieds des maisons, alors que nous venions au monde, lorsque les voiles blanches des barques rassemblées apportaient, les midis, l'amitié de la mer profonde à notre ville, lorsque la télévision était un mot inconnu et la radio une des merveilles du monde, vivait ici à Missolonghi un pauvre peintre. (Missolonghi était encore à cette époque une ville intéressante - que la marche du temps n'avait pas encore laissé en arrière - avec des habitants de belle prestance, des maisons pleines de gaieté et un superbe rivage marin, où l'on jouait le soir de la musique. Les femmes mettaient pour la promenade leurs plus belles toilettes, allaient aux vêpres, faisaient des visites lors des fêtes, moulaient seules leur café, préparaient la marmelade de coing, se rendaient en excursion aux petites chapelles des alentours. Les maisons avaient chacune leur physionomie propre, patiemment façonnée par leur propriétaire même au cours de sa vie).

Notre peintre était plein de prévenances pour les femmes. Il les aidait dans toutes les circonstances importantes de leur vie - des messes commémoratives jusqu'aux repas de noces - il les accompagnait aux cérémonies religieuses dans les chapelles des environs, il leur fournissait aussi la décoration de leurs maisons. C'était Tassos Mantas. Et en plus, un homme d'esprit, au centre d'un groupe d'intellectuels et de gens aimant plaisanter - parce qu'à Missolonghi l'esprit va toujours de pair avec l'humour.

Nous, la génération d'après-guerre, nous n'avons pas eu la chance de le connaître.

Tassos Mantas mourut lors de la grande famine, pendant l'occupation allemande. Nous disposons cependant d'informations anecdotiques sur Mantas* et sur toutes ces belles demeures, ornements indissociables de sa peinture. Ces représentations étaient de simples descriptions de lointains paysages, des portraits de vierges rêveuses, des panneaux horizontaux ornés de fleurs, qui alimentaient les rêves de ces gens simples, et des icônes mélancoliques qui écoutaient pensivement leurs prières.

Vint l'époque - ce devait être autour des années 1955-1965 - où un vent froid se mit à souffler sur ces belles demeures et balaya tous les vestiges du passé. La technologie peu à peu prenait le pas sur la tradition et la machine sur la main légère de l'artisan. Ainsi, les beaux buffets sculptés, les lave-mains et les colonnes ornées de fleurs étaient relégués sans remords dans les celliers et aussitôt remplacés par des meubles sans goût et impersonnels, pratiques, comme on disait. Alors eut lieu la mise au tombeau des uvres de Mantas . Ternies par les années, salies par les mouches de tant d'étés, avec leurs plâtres à moitié brisés, et leur encadrements en imitation de branches de lauriers, elles n'inspiraient plus que le mépris. Peu à peu, on les détachait, elles prenaient le chemin de la cave et du cellier.

"...Et les statues au rebut
Et moi exilé..."

A leur place entraient des copies faites en série de peintres étrangers, le même vieux marin à la pipe, à peu près dans toutes les maisons, des gitans dans un cadre doré, et, dans le meilleur des cas, les rues de Paris mouillées par la pluie.

Aujourd'hui les oeuvres de Mantas - celles qui ont échappé aux persécutions - sont livrées à l'oubli, dans une quelconque chapelle, dans quelques rares maisons de Missolonghi, dans des poissonneries et dans des tavernes. Il faudrait que chacun fouine pour les retrouver, puisque leurs propriétaires ont presque oublié leur provenance - L'habitude des ans fait qu'on ne les "voit" même plus -.

Mais, si nous jetions un il sur cette tentative figurative tombée dans l'oubli

Tassos Mantas n'était évidemment pas un grand peintre, personne n'aurait la naïveté de le prétendre. C'était un autodidacte modeste, qui s'efforçait de représenter le monde à sa manière. Voici pourtant qu'à travers toute les uvres, hâtives ou de longue haleine, qu'il avait ébauchées, par besoin de s'exprimer, ou - principalement - pour subsister, surgit toute une époque . Parce que l'artiste est relié par un cordon ombilical à celle-ci. Il convient de considérer le peintre Mantas dans cette perspective. Alors, nous comprendrons la naïveté de ses uvres, nous justifierons la simplicité de ses conceptions artistiques, nous apprécierons avec sympathie sa banalité.

Bien sûr, à l'époque même où Mantas peignait ses compositions naïves, des étoiles comme Gyzis, Litras, Iacovidis, Roïlos, Parthénis brillaient au firmament de l'art grec. Mais, on peut se demander combien de gens ont décoré leurs maisons avec Jénovéfa, Les Trois Grâces et Vénus Anadyomène. Il ne faut pas juger le passé avec les critères d'aujourd'hui. Au début de notre siècle, les sujets de Mantas se trouvaient au cur de la mode. Les représentations d'un romantisme européen à bon marché était alors appréciées, reflet d'une lumière qui depuis s'est éteinte. C'est pourquoi la Grèce des années 20 et des années 30, coupée des capitales privilégiées - ni radio, ni télévision, peu d'informations données par la presse ou le livre, souvent mal traduit - recevait les nouvelles d'Europe avec 50 ans de retard (je me réfère toujours à la grande masse du peuple et non à une élite - équivoque d'ailleurs -. Ainsi, tandis que le romantisme était mort en Occident depuis l'époque de Flaubert et des Goncourt, les grecs d'alors lisaient Les Deux orphelines, pleuraient au théâtre avec Marguerite Gautier - ou La Golfo - et plaçaient leurs portraits à l'intérieur de curs tressés de fleurs. Pour ces gens donc, et en particulier pour ces femmes de province, sans contacts, Tassos Mantas, avec les "clefs" et les symboles qu'il exprimait, offrait une porte de sortie du quotidien. Et le monde pauvre et provincial de l'entre-deux guerres avait tant besoin de rêves

Mantas n'est pas tout à fait, par conséquent, le peintre populaire, au sens que nous donnons à ce terme, en parlant de Théophile. Théophile peignait sans être influencé par son époque, lié inconsciemment à nos profondes traditions populaires. La similitude de ses personnages avec les figures du Karaghiozis est à cet égard significative et éloquente.

Mantas, au contraire, ne semble pas toujours entretenir un rapport étroit avec la tradition. Comme il était sorti du peuple et avait grandi dans un microcosme, également parce qu'il était autodidacte, il fut à de nombreuses reprises induit en erreur - à cause de la "formation" qu'il eut - par l'art pictural édulcoré de son époque. Mais, heureusement pas toujours; ainsi, de nombreux accents de sincérité se retrouvent dans sa peinture, de même qu'il y a des éléments remarquables dans la situation de Mantas.

La première chose à retenir doit être justement, celle qui provoquait les sourires de ses contemporains, c'est-à-dire l'immédiateté du rapport de l'art et du public. Le lien particulier qu'avait Mantas avec ses compatriotes, et en particulier avec les femmes, enchérissait son art d'une sorte d'intuition, et avait pour effet de "lier" ses uvres à leurs propriétaires, de les accorder à l'ambiance particulière à chaque maison.

Un autre avantage du peintre résidait dans la facilité et la rapidité de sa production: on sait qu'à plusieurs reprises Mantas réalisa deux uvres dans la même journée, qu'il vendait souvent des uvres fraîchement réalisées - il en avait grand besoin. Cet avantage était en définitive risqué, parce que la plupart du temps la nécessité anéantissait l'art.

Enfin, les uvres de Mantas ont pour nous la valeur d'un document historique, parce qu'elles reflètent un moment donné de la vie de province en Grèce, de ce monde pauvre, pur et simple, le monde dont nous sommes issus.

J'ai classé les uvres que j'ai rassemblées selon différentes catégories en tenant compte de leur sujet - et, toutes les fois que j'ai pu y parvenir - de leur technique.

Ainsi nous aurons :

1) Les oeuvres de Missolonghi.
2) Les oeuvres originales.
3) Les portraits.
4) Les peintures religieuses.
5) Les "grandes compositions".
6) Les paysages.
7) Les panneaux horizontaux.
8) Les panneaux verticaux.
9) Les nocturnes.

Je dois ce classement de l'oeuvre de Tassos Mantas à notre compatriote, l'illustratrice Vasso Katrakis.

Je remercie, ici même, MM. Gérassimos Kassolas, peintre, Takis Bayorgas, avocat, Spiros A. Kaninias, procureur, Yannis Sakéroglou dit "Pierrot", charpentier de marine, qui m'ont dépeint l'homme qu' était Mantas avec toute la tendresse de leurs souvenirs.

J'ai une pensée émue pour mon grand ami trop tôt disparu Théodore Dinias qui, avec des mots d'une rare affabilité, m'a relaté la vie de l'artiste.

Je remercie tous les propriétaires des uvres de Mantas, qui m'ont très aimablement donné l'autorisation de les photographier.

De même, je remercie MM. Georges Kokossoulas et Nikos Ghianghiozis, qui n'ont pas ménagé leur peine lors des prises de vues.

 

Akakia Cordossi.

N.B. Cette étude a été réalisée en 1978. Elle a été présentée lors de mes deux conférences sur le peintre, accompagnées d'une projection de diapositives en couleur, à Athènes et à Missolonghi.

Depuis, quelques éléments que j'ai mentionnés ont changé avec le temps: la Taverne de Zabitsanakis, par exemple, a fermé suite au décès de son propriétaire, et Yannis dit "Pierrot" ne fabrique plus de barques à fond plat ou étroites.

 

LES OEUVRES DE MISSOLONGHI.

Dans cette catégorie, j'ai placé les oeuvres de Mantas qui représentent différents aspects de la beauté silencieuse de Missolonghi - une beauté qui sans raison a été altérée par des réalisations irresponsables et de mauvais goût.

Les sept premières oeuvres de la série ont une unité particulière et un intérêt propre. Elles montrent, en effet, "sous plusieurs faces" le même sujet: Klissova*, cent fois chantée.

 

Le peintre a "vu" l'île pittoresque avec sa petite église historique de différents points d'observation, à plus ou moins grande distance. On dirait qu'un opérateur de cinéma conduit sa caméra tout autour du sujet en figurant ainsi sur la toile une vue à plusieurs dimensions des choses.

"Klissova* qui crie
"Gloire" lui répond l'écho"

C. Palamas.

 

* Petite île d'une surface d'environ 300 mètres carrés dans la partie est de la lagune, connue pour sa résistance héroïque - et les pertes sévères qu'elle occasionna - aux Turcs quelques jours avant "l'Exodos."

LES OEUVRES ORIGINALES

Je nomme "originales" celles qui n'imitent, ni ne se rapportent à un quelconque autre modèle. Toujours en accord avec les données de l'époque de création et du lieu, elles peuvent être définies comme des uvres importantes, parce qu'elles sont au-delà de tout formalisme conventionnel et de tout mensonge. Un peintre contemporain pourrait peut-être les signer. Leur créateur, très intelligemment les a toutes signées, chose qu'il n'a pas faite pour les uvres peintes à deux exemplaires dans la même journée, pour gagner son pain quotidien.

 

LES PORTRAITS

Mantas a réalisé un certain nombre de portraits. Je n'ai pu cependant, en retrouver beaucoup, parce que la bourgeoisie de l'époque de Mantas, à présent, a quitté Missolonghi, en emportant - naturellement - les portraits des ancêtres.

 

LES OEUVRES RELIGIEUSES

 

Mantas fit le tour de tous les faubourgs et décora leurs églises et chapelles pour un salaire ridicule. Ses uvres religieuses sont disséminées dans tout le département, depuis Amphilochia jusqu'au hameau de Stranoma dans les montagnes de Lépante. A Missolonghi, ses uvres sacrées ornent la cathédrale ainsi que les petites chapelles solitaires et marines de Agios-Sostis et de Agia-Triada.

Outre ses fresques réalisées pour les églises, les icônes de Mantas étaient également indispensables dans les iconostases des maisons de Missolonghi.

LES GRANDES COMPOSITIONS

Ce sont celles qui - comme il se doit - émouvaient les gens d'alors. Sujets romantiques, formes idéalisées, scènes idylliques ou majestueuses (en accord avec les critères esthétiques de l'époque).

Les deux premières uvres de la série se rapprochent évidemment des sujets de piété, la généralité de leur portée et leur fonction universelle les placent dans le monde temporel - et non dans un espace religieux.

LES PAYSAGES

La plupart des uvres de cette catégorie sont imaginaires. Nous sommes malheureusement loin de la manière de faire du "Faubourg" .

Les bourgeois - clients de Mantas - avaient peu d'estime pour ce qui était proche et connu, mais préféraient les lointains exotiques : ils voulaient rêver !

C'est ainsi qu'il leur dessina des paysages qu'il n'avait pas vus et des époques qu'il n'avait pas vécues.

 

LES PANNEAUX HORIZONTAUX

L'art s'accorde parfois à ce qui est réellement utile. Le climat de Missolonghi humidifie les murs des maisons. A une époque où le chauffage existait à peine, les panneaux horizontaux étaient indispensables à côté des lits. Au début, ces panneaux étaient tissés ou en velours, au fil du temps ils finirent par servir seulement de décoration.

Les panneaux que décora Mantas sont abondants. Les plus nombreux ont, évidemment, un dessin conventionnel, celui qu'on employait alors sur les panneaux. Pourtant, de belles compositions naïves, comme les deux premières de la série qui suit, ne sont pas absentes de sa production.

(Les dimensions d'un panneau horizontal- particulièrement pour la décoration - étaient habituellement de 120 x 170 cm).

LES PANNEAUX VERTICAUX

Ces panneaux étaient des peintures longues et étroites d'une hauteur allant jusqu'à 1 m. Ils étaient généralement disposés symétriquement ou en "vis-à-vis" dans les salons des maisons de Missolonghi.

Ils sont - comme la plupart des oeuvres de Mantas - significatifs des préférences du public à l'époque.

LES NOCTURNES

Le clair de lune a été, dès l'origine, la lumière préférée des romantiques. Cartes et illustrations nocturnes abondaient à l'époque des "coeurs sensibles".

Mantas ne s'éloigna pas de cette mode. Ses "nocturnes" sont apprêtés avec un art certain.


Illustrations (extraits) :

Les oeuvres de Missolonghi :

 

1. C'est la vue la plus éloignée de Klissova, c'est-à-dire celle qui a été peinte à la plus grande distance. La peinture mesure 60 x 75 cm et appartient à Melle Chrissopiyi Douliotis. Au premier plan on voit une cabane * en roseaux caractéristique de Missolonghi et au fond le petit îlot historique avec la petite chapelle de Agia-Triada et la stèle commémorative des défunts.

* Pélada, cabane de pêcheurs sur pilotis.


Les oeuvres originales :

 

10. Un faubourg de Missolonghi. Il appartient à Mme Marika Rhigas et mesure 50 x 60cm. Commun à deux groupes d'uvres. Son sujet le place parmi les "uvres de Missolonghi". Sa réalisation le rattache au monde de l'Art. Le faubourg doit se trouver quelque part dans le quartier de Saint- Spiridon. Il est plongé dans un brouillard crépusculaire. La lumière est douce, la couleur chaude et un calme serein recouvre le paysage. On dirait un coucher de soleil d'un dimanche ancien, comme ceux de Papandoniou, où "le soir tarde beaucoup à tomber",et la vie s'est arrêtée là où l'a laissée le peintre.

 

Les portraits :

 

17. Lord Byron, que nous appelons à Missolonghi Byron - et que tout un chacun ici considère comme un de ses compatriotes, un de ses chers vieux parents. Son portrait se trouvait jadis dans de nombreuses maisons de Missolonghi. Ce portrait grandeur nature

est peint sur bois et découpé tout autour, peut-être pour apparaître comme un bas- relief, plus vivant. Il est resté suspendu durant de longues années (comme modèle de beauté virile, puisqu'à Missolonghi lorsque l'on voulait dire que quelqu'un était beau, on le nommait "Lord Byron" ) dans la boutique du coiffeur M. Costas Mallios. Il a été cédé - ainsi que le salon de coiffure - à Christos Bobotas.

Les oeuvres religieuses :

 

21. Sainte Barbara. Dimensions 50 x 60 cm. C'est le chant du cygne de Tassos Mantas. Il mourut avant de la terminer. A cause de cela, les détails de la peinture ne sont pas travaillés. Les lignes parallèles que l'on distingue proviennent de l'enroulement qu'a longtemps subi la toile cirée. Les propriétaires de cette toile cirée, Hélène et Christos Dimitrios, l'ont conservée roulée durant des années dans un coffre et nous l'ont déployée pour que nous puissions la photographier.

 

Les grandes compositions :

 

25. Couple au bord de la mer.

Mesurant 1 m x 70 cm, ce tableau se trouvait dans la poissonnerie de Mikas Lioris. Il s'agit d'un couple de fiancés, d'après le modèle de Paul et Virginie , lecture favorite des garçons et des filles romantiques de cette époque - 15 ans après la date de sa publication en France. Le fiancé est habillé en marin - en accord avec la mode de l'époque pour les enfants - et semble inviter sa fiancée à un "voyage à Cythère ", beaucoup moins onirique hélas ! que celui de Watteau. Du fait surtout de la stylisation des lignes dans l'expression des détails, le paysage respire le calme et la douceur.

 

Les paysages :


27. Peinture en forme de palette - Panneau d'applique sur un satin couleur ivoire. Il se trouve dans la maison de M. Antonis Sachos et a un diamètre de 65 centimètres - C'est un prototype à la fois pour l'idée et sa réalisation. Les bords du fleuve sont, évidemment, quelque peu linéairement esquissés, mais tout le paysage a la transparence de l'eau. Là où la peinture repose sur le satin - à l'imitation des cartes postales - des fleurs sont dessinées tandis qu'un ruban apparaît pour maintenir la palette.

 

Les panneaux horizontaux :

37. Nous arrivons maintenant aux panneaux horizontaux aux traits entièrement conventionnels. Ce type existe avec de nombreuses variantes dans un grand nombre de panneaux qui présentent des fautes de perspective: le couple, comme nous l'avons déjà dit, à gauche au premier plan - supposons-le -, est de dimensions plus restreintes par rapport à la silhouette du fond, tandis que les arbres apparaissent à une échelle entièrement différente de celle des maisons. Le panneau horizontal mesure 1,10 m. Il appartient à M. Christos Kavvagias.


Les panneaux verticaux :

Les nocturnes :

 

56. Dimensions 50 x 60 cm. Le possesseur de cette toile est M. Andréas Papandréou. Signature à droite. Le cadre est de la main de Mantas. Le paysage ressemble au précédent. A gauche, un homme pêche. La belle lumière du fanal du tableau précédent se retrouve ici aux fenêtres des maisons dans le lointain.

 

*

 

Il fait nuit de plus en plus pour Tassos Mantas
L'obscurité recouvre peu-à-peu son souvenir
Les gens qui l'ont connu peu à peu se font rares.
Le nombre de ceux qui l'ignorent s'accroît en conséquence.
C'est le sort des humbles.

C'était pourtant un artiste, et opiniâtrement il a dessiné à partir de rien.
Il a essayé.
Il possédait un registre limité d'expression et il voulait avec cela exprimer ce qu'il concevait
Il n'a pas eu la force d'accomplir un plus grand effort.
Il est parvenu jusque-là.
Même si nous considérons son art avec sévérité, respectons au moins sa souffrance d'artiste.


*

Acacia CORDOSSI

PHINIKIA ( Le palmier).

 

T'es-tu rendu quelquefois au crépuscule à Phinikia? As-tu écouté la musique de son silence? Alors, tu as certainement laissé là un peu de ton âme, dans le brouillard qui enveloppe ses arbres rares aux feuilles à la minceur de dentelles, à l'heure où pensivement ils s'inclinent sur les eaux brillantes et immobiles.

Depuis toujours, une petite chapelle, à la cour close et au porche voûté, comme une trame en fil de soie sur la chaîne de notre cur !

Au loin là-bas, la ville aux lignes floues et aux dômes couleur de perle, dont la vie est effacée aux confins d'un monde Tu t'assieds et tu y songes. Elle n'a pas exigé beaucoup de la vie, qui, du coup, l'a oubliée.

Pourtant Phinikia est là, en dépit du temps!

De sèches fleurs sauvages - comme ces fleurs que Palamas fait s'entretenir à l'ombre d'un autre palmier - tiennent compagnie à de grands arbres tranquilles, amicaux.

Et au cur d'une petite chapelle dépouillée, longue et étroite, une vierge contemple pensivement une guirlande d'ex-votos d'argent.

Aucune indication sur la grand-route pour le voyageur.

Et cependant Phinikia existe !

Elle est là, solide et silencieuse. Là, à côté des carrés bien tracés de ses salines, tandis qu'à l'arrière elle s'adosse à un espace véritablement lacustre, avec des buissons et des arbres qui se penchent et se reflètent dans l'eau. Par une ouverture dans un des murs de clôture, tu peux descendre vers son rivage lacustre et voir le soleil rouge grenat, déjà à moitié plongé dans l'eau, prendre congé du jour. Tu tournes alors la tête vers la chapelle, et, comme les soldats mèdes, tu es ébloui par le reflet de ses vitraux. Tu traverses lentement la paisible cour exposée au midi, fermée de quatre murs et tu t'assieds pour te reposer sur la margelle d'un puits, sans eau, rempli de silence, vieux d'un nombre déjà respectable d'années. De là, tu aperçois la ville. Devant toi, étale et sans rides, l'eau des partènements décore leurs bords d'une frange de sel blanc. Trois chemins, aplanis et tracés au cordeau, conduisent l'il au loin, vers le sud, le nord et l'est.

De temps à autre, une silhouette humaine solitaire apparaît là-bas, à l'entrée des salines. C'est le gardien qui explique que seuls ceux qui vont "au monastère" ont le droit d'entrer.

Rien de tel pourtant n'existe.

Loin, au-delà sur l'autre route, des voitures circulent sans arrêt, sans faire de bruit, l'éloignement, vois-tu, ouate le bruit. Elles s'en vont vers différentes destinations, proches ou lointaines, vers d'autres ailleurs du monde.

Et l'après-midi fait couler insensiblement ses heures

Une lumière voilée atténue avec tendresse la dure blancheur du sel, la réverbération rousse de l'eau, gomme les ombres et les couleurs, filtre l'odeur piquante de la saumure.

Et toi, tu ne fais que passer, emprisonné dans ton petit véhicule, soumis à la puissance de la mécanique, affaibli ou étourdi par tes petits problèmes, au milieu d'un groupe d'humains.

Tassé dans un autocar, pressé ou désoeuvré, seul face à toi-même ou seul parmi beaucoup d'autres, vers un bbut, un objectif, un rien. Tu es pressé.

Pourtant, Phinikia n'est pas pressée.
Elle est là.
Elle aussi peut t'attendre. Tu l'ignores. Elle peut aussi te retenir quelques temps pour ton plaisir.
Tu ne le sais pas...
Les miracles ont lieu même aujourd'hui, au plus
profond de notre coeur,
"Toi qui passes"

 

Akakia Cordossi, Extrait du recueil

Qui, si je criais, Thessalonique,1977, A.S.E).




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SPIRIDON TRICOUPIS

LE LAC DE MISSOLONGHI

 

 

Sur le lac agité, une nuit de Mai ;

Mon coeur trop souffrant aspirait à la solitude;

Sans bruit la vague bruissait à l'avant du canot,

Un petit souffle de brise de terre gonflait mon léger bout de toile.

On n'entendait pas d'autre bruit que celui des poissons

Lorsque jaillissant soudain ils replongeaient aussitôt vers le fond.

J'apercevais de loin les feux des pêcheurs

Paraissant tous, à cause de la distance, se déplacer solitaires,

Ils formaient devant moi un demi-cercle de lumière

Comme des astres errant sur l'eau de la mer.

J'avais autour de moi le lac aux îles mouvantes,

On aurait dit qu'elles surgissaient

Toutes humides encore, des eaux peu profondes.

D'innombrables oiseaux de mer perchés ça et là,

Etaient gardés par les ténèbres et le lit de la vague.

La lune vers Patras commençait à se lever

De la montagne tout doucement dans le ciel pur.

Et son rayonnement nage léger sur la vague

Et la vague apaisée la voit et lui sourit.

Dans la clarté là-bas sur le rivage

Une silhouette vêtue de noir, légère comme une ombre

Apparaît à moitié cachée par un manteau noir

Comme une comète très brillante par un mince nuage.

Et, tournée vers la lumière, elle s'est mise à chanter,

Dans la brise, avec la vague, l'ode que voici:

" Lune, pâle et instable, qui éclaires la terre noire,

Toi qui ressembles dans l'obscurité à un cierge funéraire,

Tu débutes, tu deviens brillante et au sein de la lumière

Peu à peu tu croîs jusqu'à être clarté toute entière;

Mais une fois que tu es cette pleine splendeur, un nuage épais

Soudain s'élève, t'emporte loin de la vue des mortels;

Et l'inflexible Charon surgit,

Inattendu, anéantit la douce fleur de la vie. ".

 

Revue "Pandora" (Tome 17), Avril 1866 - Avril 1867.

 

*

 

Tassos Ghiannaras.

Extrait de son recueil de poèmes

Les chansons d' Aniliagos (Athènes, 1952).

 

REVERIES AUX SALINES

 

 

Parfois la mer abandonne son tourbillon argenté

Et vient seule demeurer aux frontières immobiles,

Parfois la mer abandonne son espace immense

Et rampe vers les marais brûlants, pour sa métamorphose.

 

Alors avec elle tu t'avances, âme noire de l'océan*,

Depuis les abîmes sombres dans une fugue profonde.

Ebloui, tu glisses sur les marais, les fosses sombres, les partènements

Et tu te perds dans l'éclat dont scintille la terre.

 

Maintenant, tu ne vois rien d'autre devant toi qui bouge.

Le soleil est la mort qui te regarde en face;

Mais tu entends autour de toi l'appel de l'immortalité,

De la sécheresse de feu qui te sourit,

 

Quelque chose comme une soif obscure, fortement t'invite

A sortir de ta substance, à entrer dans l'instant

Transparent de la transfiguration, et ton corps ruisselle

En gouttes dorées, sueur au sein du silence.

 

Voici l'astre qui, soudain, a lui, vierge, à tes côtés,

Premier né dans le ciel non encore constellé,

Perle extraite du cur du coquillage entr'ouvert,

Vision s'intensifiant devant toi, sans un bruit.

 

Le sel sort de son pur silence et te regarde

Et toi tu te blottis à nouveau dans ta coquille

Par crainte de sa métamorphose trop rapide et de sa cristallisation

Autour de toi en montagnes intensément blanches de lumière

 

Tassos Ghiannaras.

Extrait de son recueil de poèmes

Les chansons d' Aniliagos (Athènes, 1952).

 

* Il s'agit d'une variété de sel de couleur noire.


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Ce livre doit beaucoup aux collectionneurs de cartes postales, aux détenteurs de photographies anciennes, de journaux, etc, qui ont eu l'amabilité d'autoriser la reproduction photographique afin d'illustrer la présente édition.

Je dois remercier pour leur contribution :

Vassilis X. Vlachopoulos.

Théodore et Néro Dimakis.

La succession de Christos G. Evangélatos (Maire de la ville durant de longues années).

Les soeurs Koula et Voula Evangélopoulos (Bourakas).

Aristide Kavvaghias.

Léna Colomba- Krasakopoulos.

Takis Bétsos.

Takis Bobotas.

Théodore Milonas.

Spiros Sakalis.

Mais aussi tous ceux qui au fil du temps m'ont donné des photographies sans que je mentionne leurs noms.

Je remercie, aussi, l' Ecole Palamaïque pour la reproduction des pages des registres d'élèves au siècle dernier, ainsi que les propriétaires qui m'ont laissé photographier l'intérieur de leurs maisons.

Enfin, des documents, comme la lettre de Tricoupis etc, qui nous sont parvenus trop tard, n'ont pu prendre place là où il aurait fallu et se trouvent de ce fait dispersés, en fonction des espaces laissés disponibles dans le plan du livre.

 

G. I. K.

 

 

- Les photographies de Georges Kokossoulas portent les numéros : 2 - 4 - 6 - 14 - 16 - 17 - 18 - 25 - 31 - 33 - 36 - 38 - 41 - 43 - 44 - 48 - 54 - 59 - 62 - 67 - 71 - 76 - 84 - 103 - 106 - 107 - 129 - 134 - 141 - 145 - 150 - 152 - 156 -179 - 183 - 223 - 257 - 259 - 261 -263 - 266 - 298 - 304 - 328 - 333 - 335 - 341 - 343 - 350 - 352 - 354 - 356 - 380 - 382 - 384 - 386 - 388 - 390 - 567 - 569 - 595 - 603 - 623 - 630 .

 

 

 


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Editions CARÂCARA

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