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Editions CARÂCARA

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Articles divers


de

N. J. ALLEN

(Maître de Conférence à l'Université d'Oxford)

Traductions G. Schaufelberger
(relues par l'auteur)


Liste  et résumé des articles
Présentation de l'auteur
Introduction aux sujets abordés

LISTE DES ARTICLES

(Nous remercions l'auteur de nous avoir autorisé à  publier la traduction ci-dessous de ces articles. Traductions revues et corrigées par l'auteur lui-même.
 De même, nous remercions les directeurs de publication des différentes revues des autorisations accordées par le biais du Dr. N. J. Allen)

DATE
TITRE ORIGINAL
     RESUME de l'article
TITRE en français (texte PDF disponible sur la page des publications)
1993 a
"Arjuna and Odysseus : a comparative approach"
article paru in SALG Newsletter 40, p. 39-43
Comparaison entre un pèlerinage du Mahâbhârata que fait le héros Arjuna (sorte de tour du monde de gauche à droite ou pradakshina) et le périple d'Ulysse dans la mer du Couchant. Cinq épisodes féminins dans l'un et l'autre cas ; des similitudes entre ces deux séries de femmes (aux sirènes correspondent des crocodiles...)
"Arjuna et Ulysse : une approche comparative"
1995 d
"Why did Odysseus become a horse?"
article paru en 1997 in JASO 26 (2), p. 119-131
Une curieuse tradition des scholiastes veut qu'Ulysse se fût transformé en cheval ; c'est par le biais du sacrifice du cheval (ashvamedha) qui est une tradition indienne que l'explication apparaît.


"Pourquoi Ulysse est devenu un cheval ?"
1996 a
"The hero's five relationships : a Proto-Indo-European story"
article paru in J. Leslie (ed), Myth and Myth-making, London, Curzon
 Cinq rencontres féminines caractérisent ces deux voyages. On y voit, par exemple, des femmes métamorphosées en crocodiles, qui  attaquent Arjuna avant de retrouver leur forme originelle. L'épisode des Sirènes d'Ulysse en serait l'équivalent dans l'Odyssée. Calypsô, Circé, sont la princesse Citrângadâ, la serpente Ulupî, etc. Un schéma narratif pré-indo-européen se manifesterait là.
" Les cinq relations  du héros"                                                                                   
1996 c

"Homer 's simile, Vyasa's story"
article paru in Journal of Mediterranean Studies 6 (2), p. 206-211
Une comparaison d'Homère dans l'Odyssée ((V-394- 7 :"comme quand des enfants voient rendu à la vie un père qui resta longtemps couché dans la souffrance, rongé par elle, ...et pour leur joie les dieux l'ont délivré de ce fléau, ainsi pour son bonheur parut la terre") n'a pas grand sens (pourquoi est-il comparé à des enfants?) à moins que l'on ne la rapproche d'un extrait du Mahâbhârata (livre III, ch. 39, versets 25-30) : Arjuna, le héros indien entreprend un voyage vers le ciel, pratique des austérités telles que cela inquiète un groupe de sages (rishis) qui demande au dieu Shiva de l'interrompre. Ces sages sont en fait les enfants de la comparaison homérique.


"Comparaison d'Homère et récit de Vyâsa"
1998a




"The Indo-European Prehistory of Yoga"
article paru in International Journal of Hindu Studies 2, 1998, p. 1-20
L'Odyssée, le Mahâbharata, les commentaires de Patanjali et le Shvetâshvatara Upanishad sont rapprochés : a) Arjunaquitte ses frères et leur épouse commune,  part pour un long voyage vers l'Himalaya où il pratique une terrible ascèse qui l'épuise, lutte contr le dieu Shiva, puis est  reçu par le dieu Indra dans son palais, enfin il revient auprès de ses frères ;b)  Ulysse quitte Calypsô, navigue 17 jours, lutte contre le dieu Poséidon et épuisé arrive ches les Phéaciens qui l'accueille , enfin il rentre chez lui; c) Patanjali décrit cinq  obstacles que rencontre l'adepte du yoga et ces obstacles sont comme les phases d'un voyage ; d) l'Upanishad reprend l'idée d'un voyage avec cinq sortes d'obstacles (l'errance, le découragement, la maîtrise des sens, le brouillard,etc.) . Une structure quinaire  (cinq fonctions : rappelons que l'auteur ajoute aux trois fonctions duméziliennes deux autres fonctions) se devine qui s' origine dans un proto-récit indo-européen.





"La Préhistoire indo-européennes du yoga"

1999 b

" Arjuna and the second function : a Dumezilian crux" article paru in Journal of Royal Asiatic Society, Series 3,9(3), 1999, p. 403-418.
Arjuna est un représentant pour G. Dumézil de la deuxième fonction (la guerre). L'auteur reprend la discussion. La position de ce héros est trop singulière pour que ne s'impose pas la nécéssité d'une quatrième fonction ambivalente (une partie positive : Arjuna/ une autre négative : Karna - demi-frère d'Arjuna). La quadri-fonctionnalité permettrait de mieux interpréter certains faits culturels indo-reuropéens : les 4 castes en Inde, les quatre Ages, la place du dieu des dieux (en dehors de la société divine), etc. Arjuna, au livre IV du Mahâbhârata se déguise en danseur et eunuque : n'est ce pas le meilleur indice de cette externalité fondamentale du héros ?

"Arjuna et la deuxième fonction : un point crucial dans l'oeuvre de Dumézil"

1999 d

"Les Crocodiles qui se transforment en nymphes", article paru dans Ollodagos 14, 1999, p. 151-167
Comparaison reprise entre le pèlerinage d'Arjuna  rencontrant des apsaras ou nymphes devenues des crocodiles (Mahâbhârata I, 200 -213) et l'épisode d'Ulysse affrontant les Sirènes (Odyssée XII, 165-200). Mais s'y ajoute l'idée qu'il s'agit d'un type de mariage inférieur. La trifonctionnalité dumézilienne ne suffit plus comme explication : une quatrème fonction (transcendante) et une cinquième (très négative) encadrant les trois ordres ou fonctions aux deux extrémités (en somme ces deux fonctions supplémentaires sont en dehors des normes sociales)  s'imposent comme  solution  à penser.
"Les Crocodiles qui se transforment en nymphes"
2000a
 "Argus and Hanuman : Odysseus 's dog in the light of Mahâbhârata"
article paru in Journal of Indo-European Studies 28 (1-2), p. 3-16
Argos est le vieux chien d'Ulysse : il est le seul à le reconnaître à son retour et meurt aussitôt après ; Hanuman est un vieux singe, le demi-frère de Bhîma auprès de qui il se fait reconnaître comme tel. Argos comme Hanuman vivent à l'écart du monde habité. Bhima comme Ulysse sont en voyage. Dix huit points de comparaison appuient la ressemblance.
"Argos et Hanuman : le chien d'Ulysse à la lumière du Mahâbhârata"
2000 e
" Imra, Pentads and Catastrophes"
article paru in Ollodagos 14, p. 278-308
Au pays des Kafirs (nord-est de l'Afghanistan) , Imra est le dieu souverain (l'équivalent de Brahmâ en Inde) ; la fin du monde qui y est racontée ressemble à  celle des quatre yugas (ou Ages cosmiques) du monde brahmanique, aux divisions légendaires des peuples iraniens ou aux versions grecques du Déluge. Le dieu souverain émet quatre fonctions tandis qu'à son rôle correspond un double négatif ou dieu de la Mort (d'où cinq fonctions ou une pentade).
"Imra, pentades et catastrophes"
2001b
" Athena and Durgâ : warrior goddesses in Greek and Sanskrit epic"
article paru in Athena in the Classical World,  S.Deacy and A. Willing (ed), Leiden, Brill
Le retour d'Ulysse (livre XIII) transporté par les Phéaciens, cachant son trésor dans l'antre des nymphes près d'un olivier "hors du chemin",  rencontrant Athéna déguisée, a  un correspondant dans le Mahâbhârata au livre IV (livre de Virâta). Les héros indiens vont vivre incognito, pendant un an, à la cour du roi Virâta. Ils cachent leurs armes dans un arbre "loin du chemin", font une prière à la déesse Durgâ, massacrent le général du roi qui a tenté de séduire leur épouse (comme Ulysse massacre les prétendants).
"Athéna et Durgâ : les déesses guerrières dans les épopées grecque et sanscrite"
2002 b
"Pénélope et Draupadî : la validité d'une comparaison"
article en français de l'auteur, paru in "La Mythologie et l'Odyssée,  Hommage à Gabriel Germain", Droz, Geneva
Draupadî, l'épouse commune des héros indiens du Mahâbhârata, et Pénélope connaissent  des situations similaires : les thèmes se rejoignent  comme celui de la toile tissée et détissée de Pénélope rappelle la robe de Draupadî qui ne cesse d'enrouler sa taille lorsqu'on essaie de dénuder Draupadî; comme celui de l'arc qu'aucun prétendant de Pénélope  ne réussit à tendre  tandis que le mariage de Draupadî a lieu avec une épreuve d'arc. Etc.
"Pénélope et Draupadî : la validité d'une comparaison"
2002c


"Mahâbhârata and Iliad : a common origin?" paru in Annals of the B.O.R.I., vol LXXXIII, 2002, pp 165-175
Cinq chefs (Bhîshma, Drona, Karna, Shalya, Ashvatthâman) se succèdent durant les dix huit jours de guerre du Mahâbhârata (la durée de leur commandement décroît de moitié : 10 jours, 5, 2, 1/2, 1 nuit). La fin de la guerre de Troie (non racontée par Homère) fait succéder cinq chefs : Hector, Penthésilée, Memnon, Eurypile, Néoptolème ou le cheval de Troie. Des correspondances s'établissent entre ces deux listes : par exemple, Bhîshma est tué par une guerrière Shikandinî qui s'est réincarnée en guerrier (Shikandin) comme Hector est trompé par Athéna déguisée en un guerrier Deiphobos ; Memnon est fils de l'Aurore comme Karna est fils du Soleil ... Seule la phse 5 inverse le rapport : Ashvatthâman se venge des vainqueurs par une nuit de massacre tandis que dans le cycle troyen, c'est le fils d'Achille, Néoptolème, qui ravage la ville vaincue.
L'idée d'une origine commune à ces deux épopées se renforce.




"Mahâbhârata et Iliade : une origine commune?"
2004
"Bhîshma and Hesiod's Sucession Myth"paru in
"International Journal of Hindu Studies
8, 1-3, 2004, p. 57-79. 
Bhishma est le grand oncle des cinq Pândava ou héros du Mahâbhârata. Ce personnage a pour mère Gangâ (le Gange) qui noie ses sept frères antérieurs (ce sont les incarnations de huit dieux maudits et soumis à une incarnation chez les hommes), il est sauvé in extremis par son père ; il s'interdit  d'avoir une épouse pour ne pas avoir d'enfant, abandonnant de fait  son droit à régner ( son père se remariant il laisse la place à un futur demi-frère) ; il est blessé à mort  par Arjuna (son petit neveu) et une femme-guerrier, au dixième jour de la bataille mais demeure sur un lit de flècjhes, suspendu en l'air, car il peut choisir la date de sa mort. Bhisma est l'incarnation du dieu Dyauh (le Ciel).
Depuis longtemps, Bhishma a été rapproché de la  cosmogonie hésiodique : Zeus  a failli mourir avalé par son père Kronos (comme Bhishma risquant d' être englouti par sa mère) ; Ouranos (le Ciel) a été castré par Kronos  (comme Bhishma se privant de descendance) ; enfin Zeus lutte contre les Titans, Typhon et les Géants, que Gaia (la Terre) défend (comme Bhishma meurt sous les coups d'Ambâ (la Mère) devenue un guerrier (Shikandhin)).
N. J. Allen aporte à ces réseaux de correspondances la preuve que la cosmogonie grecque a associé sous un même nom deux rôles distincts : Zeus tient de Dyaus et d'Indra, Ouranos de Dyaus et de Vasu. Les Kaurava, ou les vils cousins des Pândava sont des Titans, Ashvatthaman vaut pour Typhon, Abimanyu pour Sarpédon, etc. La cosmogonie s'incarne dans les deux épopées : le Mahâbhârata et l'Iliade






"Bhisma et le mythe de succession d'Hésiode"





2015



Pourquoi la Télémachie ? la réponse de Vyâsa

Dans l'Odyssée, le récit du nostos d'Ulysse (de Troie à Ithaque) estprécédé de la Télémachie (voyage d'Ithaque à Sparte en passant par Pylos). Le voyage du père et celui du fils sont à peu près simultanés, et à la fin ils se retrouventà la porcherie d'Eumée. On a trouvé beaucoup de similitudes entre les épopées homériques et le Mahâbhârata (attribué au sage Vyæsa). Et le présent article se demande, ici aussi, si ces deux voyages contemporains chez les Grecs ont desparallèles en sanskrit. En effet, c'est pendant que le héros central de l'épopée, Arjuna, rend une visite au ciel, que ses frères et leur femme entreprennent un pèlerinage autour de l'Inde; les deux voyages se terminent par des retrouvailles. Une douzaine de rapprochements sont proposés, unissant le couple de voyages racontés dans les deux traditions épiques. Ces similitudes s'expliquent au mieux par l'hypothèse d'uneorigine commune dans le cadre du monde indo-européen.
   


"Pourquoi la Télémachie ? la réponse de Vyâsa"
2015
Le sacrifice védique et la théorie pentadique
de l'idéologie indo-européenne
Si le sanskrit dérive du proto-indo-européen, langue non attestée mais reconstituée,
les idées exprimées en sanskrit dérivent d'une idéologie proto-indo-européenne. Et de fait, un
ensemble d'études comparatives effectuées sur du matériel provenant de diverses régions du
monde qui parlent les langues indo-européennes suggèrent qu'une telle proto-idéologie a bien
existé et qu'elle a survécu assez longtemps pour laisser des traces significatives dans les sources
historiques. Des traces d'une idéologie pentadique, basée sur cinq "supercatégories" ont été
reconnues dans de nombreux domaines de la culture sanskrite: à savoir dans le schéma des
var≈as, dans les philosophies du Sa‡khya et du Yoga et dans l'intrigue des héros et des dieux du
Mahæbhærata. Cet article prolonge la recherche de configurations pentadiques dans le rituel
védique (en se basant principalement sur le ›atapatha Bræhma≈a). Pour ce faire, il explore les
agents (à la fois humains et non-humains) qui participent au sacrifice (du plus petit terrain
standard au plus grand, l'uttaravedi). L'objectif est à la fois de contribuer à la compréhension de
l'histoire de la tradition hindoue et de renforcer l'hypothèse d'une idéologie pentadique indo-
européenne.
Le sacrifice védique et la théorie pentadique
de l'idéologie indo-européenne

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PRESENTATION DE L'AUTEUR


        On trouvera à l'adresse suivante la liste des publications de N. J. Allen

http://www.isca.ox.ac.uk/Staff/Allen/njapub.html

        et on découvrira sa personnalité scientifique à cette autre adresse :

http://www.orinst.ox.ac.uk/staff/allen.shtml

Nous vous invitons vivement à consulter ces deux sites pour y découvrir le travail de comparatiste, de grammairien, d'anthropologue de ce chercheur né en 1939 qui étudia la médecine à Oxford avant de se spécialiser dans l'anthropologie et la langue Thulung (Est du Népal), qui se situe dans la tradition de Marcel Mauss et de Georges Dumézil, qui fut directeur d'étude associé à l'EHES (Paris), et fit une campagne sur le terrain au Népal.

Ses travaux de comparatiste abordent le délicat problème de structures narratives communes aux Indo-Européens : entre les épopées celtes, indiennes, grecques ou d'autres cultures indo-européennes, ne retrouve-t-on pas des schémas narratifs identiques qui amènent à penser à un modèle commun?
De même, là où G. Dumézil voyait trois fonctions pour caractériser l'idéologie indo-européenne, ne faut-il pas en rajouter une quatrième explicative à son tour de certains faits propres à certains récits? Telle l'hypothèse novatrice  de l'auteur.

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INTRODUCTION aux SUJETS ABORDÉS



        1.           "Arjuna et Ulysse : une approche comparative"  (1993)
        2.           "Pourquoi Ulysse est devenu un cheval ?" (1995)
        3.           "Les cinq relations  du héros" (1996 a)
        4.           "Comparaison d'Homère et récit de Vyâsa"(1996 c)
        5.            "La Préhistoire indo-européennes du yoga"
        6.            "Arjuna et la deuxième fonction : un point crucial dans l'oeuvre de Dumézil" (1999 b)
        7.            "Les Crocodiles qui se transforment en nymphes" (1999 d)
        8.           "Argos et Hanuman : le chien d'Ulysse à la lumière du Mahâbhârata" (2000 a)
        9.           "Imra, Pentades et catastrophes" (2000 c)
       10.           "Athéna et Durgâ : les déesses guerrières dans les épopées grecque et sanscrite" (2001 b)
       11.           "Pénélope et Draupadî : la validité d'une comparaison" (2002 b)
       12.            " Mahâbhârata et Iliade : une origine commune ?"
       13.            "Bhisma et le mythe de succession d'Hésiode"
       14.            "Pourquoi la Télémachie ? La réponse de Vyâsa"
       15.            "Le sacrifice védique et la théorie pentadique de l'idéologie indo-européenne"


  Reprise du résumé des articles:

1. L'auteur compare un pèlerinage du Mahâbhârata que fait le héros Arjuna (sorte de tour du monde de gauche à droite ou pradakshina) avec le périple d'Ulysse. Cinq épisodes féminins dans l'un et l'autre cas ; des similitudes entre ces deux séries de femmes (aux sirènes correspondent des crocodiles...)

2. L'auteur relève d'étranges analogies dans les épisodes des errances d'Ulysse et un pèlerinage effectué par Arjuna ; une curieuse tradition des scholiastes veut qu'Ulysse se fût transformé en cheval ; c'est par le biais du sacrifice du cheval (ashvamedha) qui est une tradition indienne que l'explication apparaît.

3. Cinq rencontres féminines caractérisent ces deux voyages. On y voit, par exemple, des femmes métamorphosées en crocodiles, qui  attaquent Arjuna avant de retrouver leur forme originelle. L'épisode des Sirènes d'Ulysse en serait l'équivalent dans l'Odyssée. Calypsô, Circé, sont la princesse Citrângadâ, la serpente Ulupî, etc. Un schéma narratif pré-indo-européen se manifesterait là.

4. Une comparaison d'Homère dans l'Odyssée ((V-394- 7 :"comme quand des enfants voient rendu à la vie un père qui resta longtemps couché dans la souffrance, rongé par elle, ...et pour leur joie les dieux l'ont délivré de ce fléau, ainsi pour son bonheur parut la terre") n'a pas grand sens (pourquoi est-il comparé à des enfants?) à moins que l'on ne la rapproche d'un extrait du Mahâbhârata (livre III, ch. 39, versets 25-30) : Arjuna, le héros indien entreprend un voyage vers le ciel, pratique des austérités telles que cela inquiète un groupe de sages (rishis) qui demande au dieu Shiva de l'interrompre. Ces sages sont en fait les enfants de la comparaison homérique.

5. L'Odyssée, le Mahâbharata, les commentaires de Patanjali et le Shvetâshvatara Upanishad sont rapprochés : a) Arjuna quitte ses frères et leur épouse commune,  part pour un long voyage vers l'Himalaya où il pratique une terrible ascèse qui l'épuise, lutte contre  le dieu Shiva, puis est  reçu par le dieu Indra dans son palais, enfin il revient auprès de ses frères ; b)  Ulysse quitte Calypsô, navigue 17 jours sur un radeau, lutte contre le dieu Poséidon et épuisé arrive ches les Phéaciens , enfin il rentre chez lui; c) Patanjali décrit cinq  obstacles que rencontre l'adepte du yoga et ces obstacles sont comme les phases d'un voyage ; d) l'Upanishad reprend l'idée d'un voyage avec cinq sortes d'obstacles (l'errance, le découragement, la maîtrise des sens, le brouillard,etc.) . Une structure quinaire  (cinq fonctions : rappelons que l'auteur ajoute aux trois fonctions duméziliennes deux autres fonctions) se devine qui s' origine dans un proto-récit indo-européen.

6. Arjuna est un représentant pour G. Dumézil de la deuxième fonction (la guerre). L'auteur reprend la discussion. La position de ce héros est trop singulière pour que ne s'impose pas la nécéssité d'une quatrième fonction ambivalente (une partie positive : Arjuna/ une autre négative : Karna - demi-frère d'Arjuna). La quadri-fonctionnalité permettrait de mieux interpréter certains faits culturels indo-reuropéens : les 4 castes en Inde, les quatre Ages, la place du dieu des dieux (en dehors de la société divine), etc. Arjuna, au livre IV du Mahâbhârata se déguise en danseur et eunuque : n'est ce pas le meilleur indice de cette externalité fondamentale du héros ?
7.  Comparaison reprise entre le pèlerinage d'Arjuna  rencontrant des apsaras ou nymphes devenues des crocodiles (Mahâbhârata I, 200 -213) et l'épisode d'Ulysse affrontant les Sirènes (Odyssée XII, 165-200). Mais s'y ajoute l'idée qu'il s'agit d'un type de mariage inférieur. La trifonctionnalité dumézilienne ne suffit plus comme explication : une quatrème fonction (transcendante) et une cinquième (très négative) encadrant les trois ordres ou fonctions aux deux extrémités (en somme ces deux fonctions supplémentaires sont en dehors des normes sociales)  s'imposent comme  solution  à penser.

8. Argos est le vieux chien d'Ulysse : il est le seul à le reconnaître à son retour et meurt aussitôt après ; Hanuman est un vieux singe, le demi-frère de Bhîma auprès de qui il se fait reconnaître comme tel. Argos comme Hanuman vivent à l'écart du monde habité. Bhima comme Ulysse sont en voyage. Dix huit points de comparaison appuient la ressemblance.

9. Au pays des Kafirs (nord-est de l'Afghanistan) , Imra est le dieu souverain (l'équivalent de Brahmâ en Inde) ; la fin du monde qui y est racontée ressemble à  celle des quatre yugas (ou Ages cosmiques) du monde brahmanique, aux divisions légendaires des peuples iraniens ou aux versions grecques du Déluge. Le dieu souverain émet quatre fonctions tandis qu'à son rôle correspond un double négatif ou dieu de la Mort (d'où cinq fonctions ou une pentade).

10. Le retour d'Ulysse (livre XIII) transporté par les Phéaciens, cachant son trésor dans l'antre des nymphes près d'un olivier "hors du chemin",  rencontrant Athéna déguisée, a  un correspondant dans le Mahâbhârata au livre IV (livre de Virâta). Les héros indiens vont vivre incognito, pendant un an, à la cour du roi Virâta. Ils cachent leurs armes dans un arbre "loin du chemin", font une prière à la déesse Durgâ, massacrent le général du roi qui a tenté de séduire leur épouse (comme Ulysse massacre les prétendants).

11. Draupadî, l'épouse commune des héros indiens du Mahâbhârata, et Pénélope connaissent  des situations similaires : les thèmes se rejoignent  comme celui de la toile tissée et détissée de Pénélope rappelle la robe de Draupadî qui ne cesse d'enrouler sa taille lorsqu'on essaie de dénuder Draupadî; comme celui de l'arc qu'aucun prétendant de Pénélope  ne réussit à tendre  tandis que le mariage de Draupadî a lieu avec une épreuve d'arc. Etc.

12. Avant la dispersion des Indo-Européens, il faut poser qu'était constituée une épopée commune dont on trouve de nombreuses traces à comparer le Mahâbhârata et l'Iliade.  Ici, le rapprochemennt entre les cinq chefs Kaurava  et les cinq phases de la fin de la guerre de Troie montre une structure commune. Deux différences toutefois : le  Mahâbhârata ordonne la durée de commandement des chefs (elle est diminuée de moitié) là où le cycle troyen ne dit rien de tel ; un guerrier survivant du camp des vaincus (les kaurava)  profite de l'absence dans le camp des vainqueurs des héros principaux pour y porter le massacre tandis que la fin de la guerre de  Troie correspond à l'introduction du cheval de bois et au massacre des vaincus. Or, même dans ce cas, d'étranges ressemblances s'observent (outre le fait coutumier aux récits mythiques des inversions comme vaincu-vainqueur) ; le nom d'Ashvattâman signifie "celui qui a la force d'un cheval" (cf. le cheval de Troie) / l'idée d'un massacre lui est venue en voyant un faucon massacrer les oiseuax d'un arbre comme Ulysse a eu l'idée du cheval en écoutant le devin Chalcas raconter un songe dans lequel un faucon attaquait des colombes / les héros Pândava sont absents du camp comme Troie n'a plus le palladium qui la protégeait (le palladium est une statue protectrice représentant Athéna).


Discussions (en général et sur cinq articles plus particulièrement):

    Les travaux de comparatiste N. J. Allen  abordent donc le délicat problème de structures narratives communes aux Indo-Européens : entre les épopées celtes, indiennes ou grecques ne retrouve-t-on pas des schémas narratifs identiques qui amènent à penser à un modèle commun? Peut-on comparer deux épopées aussi distantes que l’Odyssée et le Mahâbhârata pour y retrouver une proto-histoire, si antérieure à leur composition respective que cela désigne un temps d’avant la séparation des Indo-Européens ?

    La position des comparatistes des faits indo-européens s’est modifiée ces dernières années : rappelons quelques obstacles rencontrés pour faire admettre leurs résultats :

a)  la localisation de l'habitat des Indo-Européens : ces peuples qui doivent leur nom aux travaux linguistiques (reconstitution d’une langue commune), à un moment donné – vers 4000-3000 avant J.-C.- ,  devaient vivre quelque part dans les plaines russes  mais  l’archéologie n’a trouvé aucun site pouvant confirmer totalement cette hypothèse. La civilisation des kourganes ne répond pas à toutes les attentes. D’autres localisations concurrentes existent. Cependant, comment parler d’une  unité linguistique et culturelle si le lieu même où cette culture a pu se manifester demeure non-identifiable ?

b) les études de G. Dumézil ont porté sur la reconnaissance d’une structure de pensée commune, qu’il a nommée la trifonctionnalité. Dans de nombreux récits de ces peuples, on retrouve, en effet, une division catégorielle tripartite. Outre une structure linguistique commune, le monde indo-européen était donc porteur d’une représentation des faits typique et reconnaissable (aucune autre civilisation ne la manifestant ainsi, de façon consciente). La difficulté majeure de l’œuvre de G. Dumézil réside dans cette dernière proposition : les cultures héritières du monde indo-européen étaient-elles vraiment conscientes de leur trifonctionnalité ? Si c’est le cas, comment cette tradition s’est-elle maintenue ? Le rôle des prêtres est mis en avant. Sinon, on peut penser qu’un souvenir très fragmentaire s’est maintenu dont la reconstitution définit juste un état antérieur oublié des acteurs eux mêmes: la trifonctionnalité n’agissait plus sur les sociétés nées de la culture indo-européenne. Entre ces deux positions, une position moyenne s’est développée peu satisfaisante pour l’esprit mais permettant à tour de rôle de renvoyer à une visée consciente ou à un agissement des structures involontaire.

c) si l’on admet l’existence d’une trifonctionnalité (comme on a tout lieu de le faire), on est surpris devant les altérations que cette structure a connue, comme de la diversité de ces emplois. Dans certaines cultures, c’est la première fonction qui se sur-développe, dans d’autres il y a fusion entre les deux fonctions premières, dans d’autres c’est la troisième qui s’impose, etc. G. Dumézil parlait même de « pathologie »   pour traduire ces altérations infinies qui portent sur des éléments communs : là un dieu, ici un héros, là un objet, ici un attribut... Les mêmes récits subissent des inversions, des itérations, des omissions, des réductions, des emprunts, des superpositions,  à l’infini ; labyrinthe dont le comparatiste doit s’accommoder. S’il y a bien, à l’intérieur d’une aire culturelle, une tradition pour un type de récit, la tradition venue d’un commun héritage indo-européen a souffert de mille et une métamorphoses. Qui nous dira de combien de métamorphoses une unité première est-elle victime ? Ou plutôt peut-on définir les paramètres qui enfantent ces métamorphoses de façon à délimiter toutes les possibilités ? La question est ouverte.

d) peut-on maintenant penser que la trifonctionnalité n’est pas le seul legs commun ? Il s’avère que les comparatistes (Fr. Bader, B. Sergent, Ch. Vielle, D. Dubuisson, N.J. Allen) s’aventurent de plus en plus de ce côté-là. Il y aurait aussi, par exemple, des proto-histoires, des récits communs dont les thèmes et les séquences se répètent dans des compositions littéraires que le temps et l’espace séparent vraiment. On est alors à la naissance de la Littérature, au moment où le récit quitte le monde des dieux et des rituels pour s’inscrire dans l’histoire humaine. La déesse Aurore ne peut sortir de l’antre nocturne, un dieu vient la libérer (version mythique) ; une femme très belle est retenue prisonnière dans une tour, un héros vient à son secours (version romanesque). Dans une aire indo-européennne, on ne garde que la première version, dans une autre, c’est la seconde qui se raconte. Une proto-histoire existe donc, qui impose de regarder les deux versions, non pas comme procédant l’une de l’autre, mais toutes deux dépendant d’une version antérieure (pré-mythique même : les dieux sont des personnages posés sur une plus ancienne histoire de forces qui n’ont pas encore  revêtu une forme anthropique).  La difficulté qui surgit, c’est alors de diluer le fait indo-européen dans des faits universels (cf. une morphologie du conte), dans une narratologie très souvent manichéenne (antagonisme du Bien et du Mal), voire même liée à des phénomènes naturels (des forces naturelles constatées et prises en charge par un récit). En quoi ces proto-histoires restent-elles indo-européennes ? Même les thèmes s’échangent avec d’autres aires culturelles (les amérindiens, les asiates, les peuples des steppes...), le séquençage étant de l’ordre d’une instance narrative plus profonde et globale.

    N. J. Allen est à situer dans cette dernière voie : l’identification de proto-histoires. Le champ de son activité intellectuelle, entre autres domaines,  porte sur le monde grec homérique et le monde sanscrit épique. La méthode est précise : noter les ressemblances comme les différences entre deux récits mais la balance penche à un moment donné vers les ressemblances, de façon à concevoir l’existence d’un récit commun. La discussion ne peut porter que sur la segmentation des histoires : les segments n’ont pas tous la même importance, semblent parfois artificiellement coupés, présenter des ressemblances plus  ponctuelles que segmentaires... N. J. Allen ne nous cache en rien les difficultés de cet ordre et s’il réussit à emporter l’adhésion, c’est pour appréhender les segments du récit à l’intérieur d’un enchaînement fonctionnel en revanche plus solide.


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    Prenons le cas du rapprochement entre Ulysse et Arjuna, entre les épouses successives d'Arjuna et celles d'Ulysse, entre tout ce qui les rapproche. Cf. articles 1 2 et 3.

    On lira avec attention les nombreuses similitudes entre le pèlerinage d'Arjuna dans le Mahâbhârata et les errances d'Ulysse (tous deux rencontrant des femmes), entre le sacrifice du cheval qui lie Arjuna à un cheval et la transformation que narrent certains scholiastes d'Ulysse en cheval.

    Parmi les cinq héros du MBh, Arjuna est-il le plus proche d'Ulysse ? Depuis G. Dumézil, on sait que les cinq héros du Mahâbhârata représentent les trois fonctions de l'idéologie indo-européenne : l'aîné Yudhishthira, fils de Dharma (l'Ordre cosmique) vaut pour la première fonction, juridico-religieuse; Bhîma et Arjuna, respectivement fils du Vent et d'Indra, représentent la deuxième fonction, militaire ; les jumeaux enfin Nakula et Sahadeva valent pour la troisième, agricole et liée à la fertilité ou à la richesse. Leur caractère et leurs exploits s'expliquent en vertu de ce cadre. Ils ont la même épouse Draupadî (symbolisant la Royauté ou la Terre). Autant Yudhishthira est sage, autant Arjuna aime le combat. Or dans l'Iliade et l'Odyssée, Homère décrit aussi cinq héros dont l'identification avec les trois fonctions est sujette à des controverses mais proposons ceci : les frères Agamemnon et Ménélas ont trop de richesses pour ne pas les considérer de la troisième fonction  ; Achille et Ajax sont les guerriers les plus étonnants; reste donc Ulysse ou le vieux Nestor qui rappellent Yudhishthira par leur sens de la mesure et leur goût du compromis. Ce dernier rapprochement, de façon plus ponctuelle que notre propos, a déjà été pensé (cf. Ch. Vielle, Le Mytho-cycle héroïque dans l'aire indo-européenne, Louvain, 1996).

    Ainsi, dans les retours des héros grecs, Ulysse est le dernier à "rentrer" comme Yudhishthira est le dernier à gravir le Mont Méru (cf. notre article Ari, Le Mahâbhârata, un modèle épique substitutif pour l'Europe) .Tous ses compagnons d'arme meurent avant lui (Achille, Agamemnon, Ajax) ou atteignent avant lui une félicité bienheureuse (Ménélas, Nestor). Yudhishthira voit tomber avant lui les jumeaux puis Arjuna et Bhîma et se retrouve seul à gravir le mont Méru avec son chien (Ch. Vielle signale qu'Ulysse est seulement reconnu par son chien). C'est pourquoi ces deux héros sont peut-être comparables. On pourrait même avoir l'audace de rapprocher l'étymologie d'Odysseus de cette racine Yudh qui donne son nom à Yudhishthira ("ferme au combat") : il y a un mot grec husminê "combat, mêlée" qui s'y rapporte (une racine yus avec un yod à l'initiale); si bien que "od" de odusseus serait à rattacher de "yus" et du yudh" sanscrit. Mais cela mériterait débat et ce n'est pour nous qu'une hypothèse. Certes, Ulysse est aidé par Athéna comme Arjuna par le dieu Krishna mais pour nous Nestor est très proche de Krishna et Athéna est loin de toujours accompagner Ulysse : elle l'abandonne durant toutes ses errances, en fait).

    Cela étant, la comparaison qu'établit N. J. Allen entre les voyages d'Arjuna et les errances d'Ulysse est une façon nouvelle de reconsidérer les textes. Dans l'épopée, tout voyage tend à être une pradakshinâ (un tour du monde en partant du nord, vers l'est, le sud et l'ouest). Arjuna y rencontre de jeunes femmes avec lesquelles il a des relations sexuelles. L'auteur souligne qu'il y a d'abord une serpente Ulûpî qui l'entraîne au fond des eaux en son palais ; de quoi évoquer le séjour d'Ulysse chez Circé, la magicienne (nous sommes au nord). Ensuite il y a Citrângadâ, la fille d'un roi qu'Arjuna épouse et dont il aura un fils ; de quoi penser à Calypsô dont certaines variantes font la mère de Télégonus fils d'Ulysse (d'autres le disent fils de Circé) ; etc.

    Autant les épisodes suivants nous paraissent mériter l'adhésion, autant pour ceux-là, nous aimerions proposer une inversion : Ulûpî - Calypsô / Citrângadâ- Circé (au lieu de Ulûpî- Circé/ Calypsô - Citrângadâ). La grotte où vit Calypsô sur son île océane, sa douce affection pour le héros qu'elle emprisonne, la rapprochent de cette serpente Ulûpî amoureuse d'Arjuna ; quant à Circé, enchanteresse, et mère de Télégonus qui tuera son père, conseillère d'Ulysse quant à la route à tenir pour son voyage, c'est vers Citrângadâ qu'il faut se tourner, mère aussi d'un fils qui luttera contre son père Arjuna (elle vit dans un jardin où Arjuna la voit, elle est très belle, elle laisse le héros poursuivre son voyage vers les tirthâni ou gués sacrés, sur les bords desquels il rencontre cinq femmes métamorphosées en crocodiles, variante indienne des Sirènes).
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 Considérons maintenant les articles  7 (Athéna et Durgâ) et ( Argos et Hanuman).
      
         L' article "Athéna et Durgâ "(Athéna in the Classical World,  éd. Brill, Leiden, 2001, p. 397-382) rapproche un épisode de l’Odyssée  (chant XIII) d’un épisode du Mahâbhârata (Livre IV). Il s’agit du retour d’Ulysse en Ithaque lorsqu’il est ramené chez lui par les Phéaciens ; il s’agit, de l’autre côté, de la période où les cinq Pândava, après douze ans d’exil dans la forêt, gagnent, incognito, le royaume de Virâ†a. Rien de plus dissemblable à première vue mais tout l’art du comparatiste se situe dans se capacité à se détacher de l’apparence épiphénoménale : douze points de comparaison sont exposés.
Regroupons-en quelques uns qui nous paraissent les plus forts :


1) Ulysse s’est endormi durant le voyage qui le ramène à Ithaque ; à son réveil, il s’adresse à Athéna déguisée en berger tout en mentant sur son identité , et Athéna lui promet son aide en le rendant non reconnaissable par tous, pour rétablir son autorité menacée par les prétendants autour de son épouse / Yudhishthira, l’aîné des Pândava, voit son épouse Draupadî fatiguée et demande à son frère Arjuna de la porter jusqu’à la ville, ce qu’Arjuna fait sans mal malgré la distance restante, puis Yudhishthira invoque la déesse guerrière Durgâ qui lui promet son aide pour reconquérir son royaume entre les mains des Kaurava, ses cousins mauvais. Dans les deux cas, les héros viennent de parcourir un très long voyage de 10 ans pour Ulysse et de 12 ans pour Yudhishthira et ses frères. Cela fait déjà 5 points de comparaison : exil, transport magique, l’incognito ou déguisement, rencontre d’une déesse guerrière,  promesse obtenue de reconquérir le royaume.
2) Ulysse cache les trésors reçus des Phéaciens dans la grotte des nymphes qui se situe à proximité d’un olivier  à l’écart de la route et Athéna place la pierre devant l’entrée de la grotte/ Les Pândava décident de cacher leurs armes qui pourraient les faire reconnaître dans un arbre  ‹ami qui pousse à l’écart de la route et d’y accrocher un cadavre pour dissuader toute curiosité importune, vouant ainsi cet arbre à la déesse funeste Durgâ. Trois points communs : l’arbre hors du chemin, la cache d’objets (trésor ou armes), le lieu dédié à une divinité (nymphes ou Durgâ)
3) 108 prétendants occupent le palais d’Ithaque dans le but d’épouser Pénélope et Ulysse les tuera tous des flèches de son arc / Chez le roi Virâta, la beauté de Draupadî éveille la concupiscence de Kîcaka, général en chef de Virâta ; Draupadî le fait tuer mais 105 fidèles de ce général cherchent à le venger ; ils sont défaits ; un autre groupe, les Trigarta, attaque Virâta mais se fait massacrer par les Pândava. Point commun : le massacre des prétendants (mnestérophonia) est en sanscrit sous la forme de deux conflits.

L’étude se conclut sur la seule possibilité offerte : ces deux récits enracinés dans leur culture respective renvoient à une proto-histoire. Trop de points troublants conduisent à l’adhésion  mais demeure quand même cette question : au fait, quelle était donc cette proto-histoire ? Y avait-il à l’origine, cinq ou un seul héros ? Le voyage était-il marin ou terrestre ?  Qui assiégeait-on, une reine ou une fonction ?  Y avait-il un conflit ou deux ? Que cachait-on et pourquoi, à l’entrée du royaume ? Des trésors, des armes, ou autre chose ? Car, dans ces deux récits, il existe des parties anciennes et nouvelles, également réparties dans les deux, si bien que c’est l’assemblage des parties anciennes prises aux deux qui donnent le proto-récit. Comment alors décider de ce qui est partie ancienne ? Enfin, cette proto-histoire devait avoir une coloration (un ton et un style) : le héros sort du monde de l’au-delà (Ulysse a voyagé dans l’au-delà, comme les Pândava ont pèleriné en forêt dans un autre monde, avec des rencontres étranges) et revient en ce monde, muni de pouvoirs et selon un rituel d’entrée  à suivre. Le ton se devait d’être lié à une horreur sacrée, là où nos deux épisodes sont, selon la juste remarque de N.J. Allen, plutôt comiques.
 

Une autre perspective – expérimentale -  nous est venue aussi : le royaume de Virâta vaut pour le royaume d’Ithaque. Or il a toujours été difficile de localiser Ithaque :  elle est décrite par Homère comme étant la plus à l’Ouest des quatre autres îles que sont Samê, Zanthe, les Echinades et Doulichion mais l’Ithaki (ou Théaki) actuelle est loin d’être la plus à l’Ouest ; elle est dite basse mais elle est dominée par le Mont Nérite ; elle fait face à la côte mais des îles l’entourent et s’interposent (pour le problème de l’identification d’Ithaque, on se reportera aux textes  de G. Le Noan,   A la Recherche d’Ithaque,  éd. Tremen, 2001 ou sur le site éditions Tremen).
Peut-on donc se servir de ce que dit le sanscrit pour aider à localiser Ithaque ?

  Voici le texte du Livre IV chapitre 5, distiques 1à 6 :
« 1. Ces héros... allèrent sur la Kâlindî (la rivière Yamunâ). 2. Et à pied, ces archers suivirent la rive droite, habitant des montagnes inaccessibles et des forêts inaccessibles. 3. Ils tuaient des bêtes sauvages, ces grands guerriers et archers ; les Dasharna étaient au Nord (ou à gauche), les Pâncala au Sud (ou à droite), 4. au milieu les Yakrilloma et les Sûrasena ; les Pândava se disant des chasseurs, venant de la forêt, entrèrent dans le royaume des Matsya (le roi en est Virâta) .  5. Alors atteignant le pays, Krishnâ (Draupadî)  dit au roi (Yudhishthira) : "vois : des sentiers et des champs variés sont visibles. 6 Il est évident que la capitale du roi Virâta est encore loin. Demeurons une nuit encore, ma fatigue est extrême." »

Une constante de l’épopée sanscrite est son indifférence à décrire les lieux si bien qu’espérer trouver des indications géographiques est une gageure. Cependant, on reconnaîtra des éléments communs avec l’Odyssée : 1) la forêt vaut pour la mer, en tant qu’espace sauvage (la «mer infertile» selon l’expression homérique ; ces « monts inaccessibles» du sanscrit au bord d’une rivière qui n’en a d’ailleurs pas) ; 2)  les héros viennent du Sud (royaume des morts en Inde), de la forêt Dvaitavana (mot à mot la «forêt double») où un ogre vivant au bord d’un lac pose des énigmes et  paralyse ses victimes comme Ulysse revient du monde de l’au-delà (situé à l’Ouest) où il a côtoyé bien des monstres ; 3) Ithaque est à l’Ouest, excentrée avec trois îles à proximité  et  face à une côte comme le royaume des Matsya est présenté au-delà de deux peuples qu’il faut traverser et entouré par deux autres (il est à l’Ouest des rivières Yamunî et Gangâ) .

Peut-on aller plus loin dans la reconnaissance ?
La localisation fait du royaume des Matsya une région en plein centre de l’Inde, à l’Ouest de la rivière Yamunî. Cependant, si l’on peut identifier les Dasharna, les Pâncala, les Sûrasena, en revanche  les Yakilloma  («ceux qui ont des foies comme des poils» !) sont inconnus ; or, certains localisent la forêt Dvaitavana  (d’où arrivent les héros) sur les bords (vers l'embouchure) d’une autre rivière disparue dès les temps épiques, la Sarasvatî, qui coulait le long de l’Indus. Ce serait donc une localisation récente que de situer l’épisode au centre de l’Inde ; l’épisode peut très bien s’être passé à l’Ouest, vers le delta de l’Indus, d’autant que Matsya signifie «poisson»  Dans ce cas, comme pour le royaume d’Ithaque à l’Ouest de la Grèce, celui des Matsya serait à l’Ouest de l’Inde.
Il est très délicat d’identifier les îles autour d’Ithaque avec les noms des peuples sanscrits mais poussons à l’extrême la comparaison pour voir ce qu’il en ressort :  1) on notera que la reine Draupadî voit une grande étendue entre elle et le royaume de Virâta : «des chemins et des champs». Les chemins renverraient-ils à un bras de mer et les champs à des îles ? Ithaque comme le royaume des Matsya est situé à l’écart, au loin. 2)  Et sur la route se trouvent deux peuples ou deux lieux-dits : les Sûrasena et les Yakrilloma comme Ithaque est proche de Samê et de Doulichion: si Samê signifie «la haute», et Doulichion «la longue», considérons que Shûrasena signifie «l’héroïque, le brave» (idée de hauteur ?) et Yakrilloma «un foie de la forme d’un poil» (idée de longueur ?). 3) la troisième île nommée par Homère est  Zanthe au Sud face à la côte comme les Pâncala sont au Sud, face à la rivière et la quatrième île  est le groupe des îles Echinades (au Nord-Est comme les Dasharna). On retrouve la même disposition.  Si ce prolongement de comparaison était valide, cela conduirait à penser que la localisation est, à l’égal de l’histoire, un élément d’héritage commun. A une proto-histoire s’ajouterait une proto-localisation que l’on appliquerait ensuite à des lieux réels différents subissant au passage quelques distorsions (la forêt en place de la mer, les lieux devenant des noms de peuple, le souvenir de montagnes là où il n’y en a pas, un bras de mer pour une rivière ou l’inverse...)
Si, enfin, l’on admet cette comparaison, en retire-t-on des informations concernant Ithaque ? Peu sans doute mais certainement il faut maintenir sa position à l’extrême Ouest et à l’écart, lui accorder une surface suffisante, parcourue de chemins, lui donner une situation basse (Draupadî voit le royaume sans doute d’un point élevé puisque les chemins lui paraissent sans terme, sans montrer d’habitations ou de villes à l’horizon ; elle ne parle en rien d’accidents du terrain gênant sa vue). Dernier point commun : N. J. Allen fait remarquer que le royaume des Matsya dont le roi est Virâta n’a pas ici de nom de capitale ; le royaume d’Ithaque dont Ulysse est le roi non plus.

 
*****
    L'article de N. J. Allen intitulé  «Argos et Hanuman : le chien d’Ulysse à la lumière du Mahâbhârata» publié in Journal of Indo-European Studies 28, 2000, p. 3-16,  a pour but de rapprocher l’épisode où Ulysse arrivant à son palais, déguisé en mendiant, n’est reconnu que par son très vieux chien dormant sur des ordures à l’entrée (chant XVII)  d’un épisode où le héros Bhîma, parti cueillir des fleurs pour Draupadî, rencontre un singe  malade et âgé qui lui barre la route (livre III).  On lira avec attention les nombreux points d’accord entre les deux textes (des formulations identiques parfois surgissent, de quoi vraiment étonner).
    Mais le plus intéressant pour une discussion réside dans le fait qu’il existe dans le dernier chant du Mahâbhârata un chien qui suit les cinq Pândava dans leur ascension du Mont Méru (mont sacré) et que Yudhishthira se refuse d’abandonner pour gagner le ciel en raison de la fidélité qu’il a manifestée : il découvre alors que se cache sous cette apparence le dieu Dharma qui voulait tester son sens du devoir.
    Si une protohistoire est à la base, on peut penser que l’animal jouant un rôle a été le chien bien plus que le singe (dont l’habitat indo-européen originel était dépourvu) mais l’épopée grecque n’a gardé qu’une aventure alors que l’épopée sanscrite maintenait deux histoires. Argos est «l’amalgame de deux animaux de la proto-narratrion», écrit l’auteur. Or Hanuman est d’une génération avant celle des héros Pândava, sa grande geste ayant été d’avoir franchi d’un bond la mer qui sépare l’Inde de Ceylan pour sauver la reine enlevée Sîtâ. Le chien cachant le dieu Dharma appartient à la génération suivante. Est-on certain que ces deux épisodes renvoient  seulement à deux époques distinctes et à deux proto-histoires ou bien que la proto-histoire englobait ces deux trames en une seule, l’histoire de deux générations de héros ? N. J. Allen penche pour la seconde solution.  Mais le fait que l’Odyssée rassemble deux épisodes en un seul, constitue peut-être moins une confusion qu’un témoignage d’une unité de sens bien perçue : le chien est, dans le monde grec comme sanscrit,  au seuil de l’autre monde. Des répétitions parcourent cette trame commune portant sur deux générations. Rappelons alors que la génération d’avant Ulysse fut celle de Jason, d’Héraclès, d’Orphée, de Céphalos...
    Céphalos est connu pour avoir eu un chien qui ne lâchait jamais sa proie ; il l’employa pour tuer un renard dévastateur avant de s’emparer des îles à l’Ouest ; il est dit être le père de Laerte (lui même père d’Ulysse). Son histoire se retrouve dans l’histoire irlandaise de Celthar et fait l’objet d’une analyse comparative de B. Sergent (Celtes et Grecs, Paris, tome I, 1999, p.27-64). Hanuman vaut-il pour le chien de Céphalos ?
    La proto-histoire se déroule sur deux plans historiques mais maintient des données diachroniques et structurelles identiques. Comprenons que le comparatisme établit, pour l'heure des comparaisons   entre des histoires prises à des cultures différentes (axe horizontal : grecque et sanscrite par exemple) mais aussi  qu'il peut comparer des histoires d’âges différents d’une même culture (axe vertical : entre des épopées de génération différente) ; enfin il peut appliquer ses rapprochements à des histoires d’âges différents et de cultures différentes (axe oblique : l'épopée d'âge I de culture A comparée à une épopée d'â
ge 2 de culture B) : cela devient complexe !
    Il reste à écrire la grammaire transformationnelle de toutes ces histoires. Les opérations d'inversion, de dédoublement, d'augmentation ou d'amenuisement, de transpositions, de changements de registre, etc., fabriquent l'opacité  épico-mythique, sa puissance inventive et poétique. On pourrait, alors, prendre une histoire et lui faire subir toutes les altérations possibles, relevées par les comparatistes. A quelle fonction cérébrale cela renverrait-il ? A quelle connaissance des facultés intellectuelles ? On atteindrait sans doute à une anthropologie fondée sur le champ des possibles de la fiction humaine.



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