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Editions CARÂCARA |
Notices de l'Histoire
générale des Canaries |
Chapitre XXVIII - |
VIEJA Y CLAVIGO Traduction Yves Le Mahieu |
PRESENTATION
"Je ne saurais trop vous recommander la méditation sur l'optique. Chose curieuse, on a fondé un système entier de métaphysique sur la géométrie et la mécanique, en y cherchant des modèles de compréhension, mais il ne semble pas qu'on ait jusqu'à présent tiré tout le parti que l'on peut de l'optique. Elle devrait prêter à quelques rêves, cette drôle de science qui s'efforce de produire avec des appareils cette chose singulière qui s'appelle des "images", à la différence des autres sciences, qui apportent dans la nature un découpage, une dissection, une anatomie"
J. Lacan, Les Ecrits techniques de Freud, La topique de l'imaginaire, Seuil, Livre I, 1975, p. 90.
Carte de H. Körner et L. Walter in Merian XVII, 1964
L'auteur José de Vieja y Clavigo est un homme d'église espagnol du XVIIIème siècle, directeur de la Société Economique de La Palma. Auteur d'une Histoire générale des Canaries (Historia general de las islas Canarias, 4 tomes, publiée à Madrid, 1772-1783 ; 2ème édition , Santa Cruz de Teneriffe, 1858-1869), poète à ses heures (Los aires fijos, 1779 ; Los meses, 1783), il n'a jamais lu Lacan et ignore tout de l'expérience du bouquet renversé (un vase réel sur un support se reflète dans un miroir concave ; sous le support un bouquet de fleurs est attaché ; à une certaine distance, dans un certain plan qui cache le bouquet attaché en dessous, l'oeil perçoit le vase avec le bouquet de fleurs comme s'il était placé dans le vase à la verticale). Le psychanalyste s'en sert comme d'"un appareil à penser" pour désigner l'association du réel et de l'imaginaire dans la constitution du sujet au stade narcissique du miroir (Ur-Ich : stade du clivage, de distinction d'avec le monde extérieur) et devant aboutir par une bonne position (un certain plan) à s'intégrer dans un système symbolique (la parole). Or, si nous sommes fascinés par les mirages, c'est peut-être parce que s'y jouent encore ces processus essentiels d'élaboration de la personnalité : il nous faut du réel, de l'imaginaire et du symbolique."Mettons que le vase soit virtuel. Le vase n'apparaît pas, et le sujet reste dans une réalité réduite, avec un bagage imaginaire aussi réduit. "Lacan, op. cit; p. 102). N'est-ce pas l'imaginaire qui délimite le réel et l'enveloppe?
Mais l'enquête que mène Vieja y Clavigo conduit à une réflexion généralisée : dans l'expérience du mirage, ce n'est pas seulement un sujet qui est concerné mais, qui sait, tout un groupe. Les témoins sont nombreux pour le même phénomène si bien que l'on peut supposer une conscience collective, et historique. Il se crée, en certains lieux et époques, une unité de convictions autour d'un phénomène optique dont nous pouvons à juste titre supposer qu'il structure un groupe humain partiellement et qu'il manifeste aussi cette structuration. C'est dans un certain cadre réel, imaginaire et symbolique, dans une certaine relation entre ces trois instances, que se place le mirage : il est perçu parce que ce cadre est là comme il aide à la construction d'un tel cadre. Cette double fonctionnalité peut lui être accordée puisqu'il est en soi un reflet, un double symétrique : il est vu et il permet de voir (ceux qui le voient et en font grand cas).Dis moi les mirages que tu vois et je dirai qui tu es... pourrait-on dire pour paraphraser l'adage. Et si l'on ne veut pas de cette lecture toute lacanienne, il reste à dire qu'un agencement se fait entre des nuages, des rivages et des hommes attendant quelque signe de la fortune pour partir : le mirage célèbre l'accord entre la terre insulaire et le ciel du grand large et la fièvre d'el dorados possibles.
Car les nombreux témoignages recueillis par Vieja Y Clavigo portent sur une île que l'on aperçoit au large des trois îles les plus occidentales des Canaries (Hierro, Gomera, La Palma), en direction de l'Ouest, lorsqu'un vent fort se lève (il semblerait que ce soit tantôt un vent venu d'Afrique, tantôt venu de l'Ouest). L'île est si proche et si évidente que l'on peut distinguer deux monts élevés et une vallée boisée profonde. Nul doute que ce ne soit l'île de Saint BRENDAN, moine irlandais du VIème s.dont le récit des voyages en mer enchanta tout le moyen-âge européen : cette île vue au large des Canaries (elle en serait la huitième) est donc nommée île de San Borondon (altération de saint Brendan - cf. La Navigation de Saint Brendan). L'auteur constate alors que l'atteindre parut une tâche possible, mais les expéditions se succédèrent en vain. Le débat entre partisans de son existence et esprits plus sceptiques s'ouvre dès le XVIIème s.: la question ne peut aisément être tranchée car des marins au soir de grande tempête ont pu y aborder, ont vu des empreintes de géant sur le sable de sa plage, ont préféré reprendre la mer au plus vite; surgie là pour des temps de détresse, elle a dû accueillir le roi du Portugal fuyant les Maures, etc. Les légendes (l'île des sept cités, Gomer le fils de Japhet, petit-fils de Noé) s'agrègent comme cela se produit souvent et disent que tous ne peuvent être élus pour la visiter.Cartographes et auteurs anciens sont réquisitionnés pour asseoir son existence. Les sceptiques augmentent au fur et à mesure que le temps des grandes découvertes s'éloigne et que la science (l'optique naît avec les travaux de Descartes) prend le relai des convictions humaines.Vieja Y Clavigo est de ce bord et conçoit qu'il y ait un phénomène de mirage. Il est vrai que l'argumentation de ces esprits plus rationnels reste encore assez amusante : l'un d'eux soutient que ces îles des Canaries sont si laides qu'il est impensable que la Nature souhaite leur présenter un miroir pour qu'elles s'y mirent. L'image reflétée vient de loin, de la Floride ou des Apalaches... L'explication scientifique est balbutiante : Monge est cité mais l'auteur ne parle pas de rayons réfractés, il nomme les vents, les nuages sans nous dire la saison, les dates où le phénomène a été vu, ni exactement les lieux d'observation.On n'évoque pas la possibilité d'une éruption volcanique ayant fait surgir et disparaître une île (cf. Dumont D'Urville,1790-1842, Autour du monde, Livre I, ch. 4) : "à l'ouest des Canaries...existait une île, une huitième canarie qu'on a nommé saint Brandon ou Borodon. Mille bruits ont couru dans l'archipel sur cette terre fabuleuse, qu'un marin canarien visita, dit-on, vers 1500, et qu'un nommé Pedro Vello se vanta d'avoir abordée à son tour en 1700. on assurait que dans les jours sereins on la distinguait fort bien des hauteurs de Palme et de Fer... Peut-être était-ce une illusion d'optique, un de ces mirages communs à la mer, où souvent les nuées prennent la configuration d'une côte. Ou bien encore ne serait-il pas possible qu'un volcan sous-marin eût pousséau-dessus du niveau de l'Océan une île de cendre et de lave, qui se serait tour à tour produite et abîmée...?" En effet, le Ténériffe témoigne de l'importante activité volcanique de cette zone. Mais cette hypothèse n'est pas envisagée par Vieja Y Clavigo.("Galerie agréable du monde" , Leiden 1730)
Cependant, ce qui demeure intéressant dans cette enquête n'est pas mince. Nous dresserions simplement la liste suivante :
a) Les mirages s'expliquent bien grâce à la physique : il faut un milieu homogène pour que la lumière se propage de façon rectiligne et il suffit d'une variation continue de la température et de la pression de l'air pour dévier les rayons lumineux et ralentir la propagation de la lumière; à la trajectoire rectiligne succède une courbe. On parle alors de réfraction de la lumière au contact d'un air plus chaud au ras du sol ou de la mer, ou par suite d'une inversion de température en altitude. On obtient des images inversées qui sont soit des mirages inférieurs quand les rayons provenant d'un objet s'incurvent vers le haut (le sol est chaud) soit des mirages supérieurs quand les rayons s'incurvent vers le bas (sol froid ou mer froide) : les premiers s'observent dans les pays chauds, les seconds en mers froides. Mais il existe aussi des cas où, malgré la courbure de la terre, apparaissent des objets situés à grande distance (une montagne, une île, un bateau...) : les rayons lumineux sont courbés par une couche d'air chaud en altitude entravant leur dilapidation dans l'infini et les déviant vers le bas. L'objet disparu ou invisible normalement de l'observateur apparaît alors : on parle encore de mirages supérieurs (ils peuvent être inversés aussi mais en général l'objet est vu tel quel : bateau avec son mât dressé, mont avec son sommet en haut...) et de mirages inférieurs (l'objet flotte au-dessus de l'horizon, sans inversion cette fois, alors qu'il a disparu en fait sous l'horizon).De plus, dans le Manuel d'optique de J. P. Pérez, Paris, Masson 1996 , on apprend qu'en fait il y a formation de deux images, l'une droite, l'autre inversée du même objet réel situé parfois plus loin que les deux images. L'image inversée devient parfois invisible (si trop petite) et il ne reste alors que l'image droite. Non seulement, pourrait-on dire, l'image droite est une tromperie quant à sa distance réelle mais aussi la courbure des rayons dissimule un double inversé de cette image. Ce double inversé est comme "une ombre de mirage".
Il faudrait inventer pour cette catégorie de mirages sans inversion un terme plus spécifique : mirages inversés/ mirages rétablis ?
Dans tous les cas, l'oeil qui reçoit de l'objet des rayons déviés par la densité de l'air, n'en perçoit pas la courbe mais reconstruit un plan rectiligne qui conduit à fabriquer une image. La position de l'observateur est capitale à chaque fois.
Reste donc le problème de leur apparition si hasardeuse que l'on est conduit à penser qu'ils dépendent de conditions bien subtiles et beaucoup plus complexes qu'il n'y paraît en fait : on dit densité et températures de l'air, calme et homogénéité relative de l'air, mais aussi distance de l'objet miré, position de l'observateur, inclination des rayons et luminosité, inégalités de densité, inclinaison des rayons lumineux, etc. mais est-ce suffisant ?
Si l'on peut-on pressentir les moments où ils risquent de se former, peut-on comparer les différents mirages qui se forment en un même lieu ? Dans ce cas, il faut distinguer deux lieux : celui où le mirage se voit et celui d'où il vient, un lieu-cible et un lieu-source. On spécifie si ces deux lieux donnent leur empreinte, lequel a le plus d'importance. La qualité de l'air propre à tel lieu signe-t-elle le mirage et ce dernier nomme-t-il le lieu d'origine, puisque la traversée de nappes d'air par les rayons lumineux les dévie et modifie aussi leur spectre lumineux ? Car l'île aperçue au large des Canaries comme ailleurs telle ville ou tel groupe de bateaux ont peut-être une luminosité spécifique et localisable qui rendent le phénomène encore plus unique et particulier.Comparons les mirages entre eux. C'est un peu de la lumière d'un lieu éloignée qui vient au-devant de la lumière du lieu où apparaît le mirage. Il se passe alors d'étranges épousailles. L'image mirée en est le fruit.b) Voir aussi que le mathématicien peut suppléer au physicien. On se trouve, en effet, devant la fabrication d'un symétrique d'un espace, d'une différence entre deux dynamiques, l'une plus rapide et l'autre plus lente. Au centre de ce dispositif un point d'ancrage apte à les faire surgir et exister, si bien que ce qui produit le mirage est aussi ce qui produit le réel. L'intérêt n'est pas dans l'inexactitude entre l'image réelle et l'image mirée mais dans l'élaboration d'un potentiel double s'extrayant d'un poteentiel originel. A tout moment, une partie du double potentiel peut s'effondrer dans le potentiel du réel. Le témoin se contente de constater cet état métastable et d'observer qu'une barrière s'est constituée empêchant les deux potentiels de fusionner, il note qu'elle se déploie sous la forme d'une distance (entre l'image et le réel), qu'une duplication a eu lieu qui tend vers l'autonomie des parties (la partie mirée évolue indépendamment de la partie réelle et de façon plus rapide).Ce dernier point renseigne sur l'évolution eventuelle d'un réel qui serait plongé dans un autre milieu, sur des morphogenèses d'effacement : zones d'effondrement des contours, d'effilochage des limites, de dilatation et de réduction des densités (les témoins de mirage indiquent souvent des frontières plus vaporeuses et dégradées comme indices de détermination du mirage par rapport à un paysage réel). Ainsi, ce point d'ancrage ne génère ni un double ni une bifurcation mais une dilapidation. Etudier cette dernière révèlera a contrario les principes de maintien du réel, permettrait de reconstituer, à partir de certaines configurations de la dilapidation, des réels disparus ou en cours. La nature du point d'ancrage répond au problème de la brisure de symétrie et l'éclaire un peu : semblable au clinamen des atomistes, il en diffère parce qu'il n'est point un hasard (une propagation détournée, on ne sait pourquoi) mais une anticipation d'un réel vouée à la destruction ou une préfiguration d'un réel qui doit se constituer. Stade préformel récapitulé dans la "mémoire" même de la réalité.
c) La sensibilité historique à l'égard des mirages est à étudier. Y-a-t-il même des études à ce sujet ? Commençons par nous demander à partir de quand la littérature (ou quelques témoignages) nous donne la description d'un mirage ou de ce que nous pourrions identifier à un mirage. Quelle littérature nationale est la première à en rendre compte? On connaît les" hillingar" du monde scandinave (mirages arctiques donnant la vision de terres éloignées de quelques 300 kms), et la terre de Canaan qu'entrevoit Moïse avant de mourir. Mais tout est à faire. Il est des époques où visiblement on les recense (on les photographie en 1900, on les note dans les guides de voyage), d'autres où on les oublie. Et ce n'est pas tant parce que l'explication scientifique a détruit leur charme que parce qu'observer un mirage demande une disponibilité, du temps, un contact avec la nature... Vieja Y Clavigo semble nous dire que sur les îles Canaries les habitants attendaient de quoi renouveler la découverte de l'Amérique, espéraient : leurs conditions de vie étaient donc mauvaises ? regrettaient-ils de quitter le monde médiéval et ses légendes, se sentaient-ils déjà à l'écart des grandes routes commerciales ou des événements du monde ? Il y a tout lieu d'en savoir plus. Mais qui nous le dira ? Une chose est certaine : leurs témoignages sont exacts, fiables et nous ajouterons que nous aimerions savoir si de nos jours encore le même mirage se reproduit et si l'on sait quelle montagne est ainsi mirée (l'auteur émet l'idée d'une montagne de Floride)
La conclusion est à chercher dans le très beau texte qu'André Breton, le "pape du surréalisme", a consacré aux jardins de Ténériffe dans L'Amour fou (1937) : hymne à l'amour au sein d'un jardin si beau qu'il est difficile de ne pas y voir le paradis mais où le désir amoureux n'est point fautif mais exalte le pouvoir inventif du poète.
"Les formes que, de la terre, aux yeux de l'homme prennent les nuages ne sont aucunement fortuites, elles sont augurales... Me voici dans le nuage, me voici dans la pièce intensément opaque où j'ai toujours rêvé de pénétrer. J'erre dans la superbe salle de bains de buée. Tout autour de moi , m'est inconnu... Je marche sur du liège. Ont-ils été assez fous de dresser un miroir, parmi tous ces plâtras!".
Notices de l'Histoire générale des îles Canaries
(Noticias de la historia general de las islas de Canaria)
de Joseph Vieja y Clavigo,
Madrid, 1772, tome I, p. 78-112
trad. Y. Le Mahieu
Chapitre XXVIII :
" La célèbre question de San Borondon."
Le bruit qui courut sur les apparitions de cette île est sans doute postérieur à la découverte et à la conquête des Canaries parce que si les historiographes de Bethencourt le grand avaient acquis des précisions à son sujet, il est certain qu'ils ne se seraient pas résolus à ne pas la mentionner. Mais il est attesté que depuis le début du XVIème s., la renommée de cette nouvelle terre posait un problème à l'entendement des gens du pays comme aux étrangers. Le portugais Luis Perdigon rapporte qu'alors déjà, le roi du Portugal avait fait don de cette île à son propre père, s'il la découvrait un jour de telle sorte que lorsque fut signé le traité de paix d'Evora (le 14 juin 1519) où la couronne du Portugal céda au roi de Castille ses droits sur la conquête des Canaries, on mentionna parmi celles-ci la "Non-Trouvée", la "Cachée" (1) . Depuis lors affirmer aux habitants de La Palma, Hierro, et Gomera que, ce qu'ils avaient l'habitude de voir à certaines périodes de l'année, vers l'Ouest-Nord-Ouest de l'île de Hierro, n'était pas une terre réelle et véritable, mais une illusion visuelle renforcée par une imagination obsessionnelle, était leur donner un regret, celui de nier une chose évidente, parce que parmi eux il y a toujours eu quelques personnes expertes à distinguer la terre ferme d'une accumulation de nuages, parce qu'ils observent cette apparition à la même distance, au même endroit, ayant la même grandeur et le même aspect, parce qu'ils prirent soin d'en dessiner l'étendue à différentes reprises (ils avaient constaté en comparant les dessins qu'ils les trouvaient tous identiques, à leur grande satisfaction). En effet, cette terre a toujours été décrite comme allant du Nord au Sud, formant vers le milieu une notable concavité ou gorge, et s'élevant sur les côtés en deux monts très remarquables, le plus élevé se situant du côté Nord. On a jugé qu'elle était distante de 40 lieues de l'île de La Palma et que ses dimensions pouvaient atteindre 87 lieues de long et 28 de large.
Voyez ici un des derniers dessins de San Borondon fait à Gomera en 1759 et la lettre dans laquelle un religieux franciscain parle à l'un de ses amis d'une façon sincère, c'est-à-dire qu'il ne suggère pas plus que ce qu'il pense effectivement :
"Très Révérend Père D. je désirais intensément voir San Blandon et, me trouvant à Alaxero (village de l'île de Goméra) le 3 mai de cette année à 6 heures du matin, je la vis sous cet aspect, à peu de chose près ; et je peux jurer que, ayant au même instant sous les yeux l'île de Hierro, je vis l'une et l'autre de la même couleur et du même aspect ; dans une lunette, elle m'apparut très boisée dans le vallon. Ensuite je fis appeler le curé Don Antonio Joseph Manrique qui l'avait vue par deux fois. Lorsqu'il arriva, il en vit seulement une partie. Je remarquai pour ma part, alors que j'étais en train d'observer l'île, qu'un petit nuage passait, qui me cacha la montagne, et, se dirigeant vers le vallon, me la fit à nouveau découvrir. Je la vis alors comme avant, sans modification, pendant une heure et demie et ensuite le nuage la cacha. Une quarantaine de personnes était alors présente. Le soir, quelques uns d'entre nous revinrent au même poste d'observation, mais on ne voyait rien de plus car il se mit à pleuvoir durant une grande partie de la soirée. L'horizon du couchant était si clair qu'il resplendissait comme l'or au milieu du cristal et je vis également avec la lunette la mer et l'espace qui existe entre l'île de Hierro et San Blandon. Ce qui est arrivé, je l'ai dit comme je l'ai vu sans rajouter soustraire même une virgule. On ne peut voir le bout de la pointe qui court vers l'île de La Palma du point où nous nous trouvions ; la côte qu'on nomme "Aguerode" gène pour cela ; et je pense qu'on aurait vu mieux de Chipude d'où l'on découvre l'île de La Palma. Au bout de deux ou trois jours, alors que j'avais quitté Alaxero, elle réapparut à nouveau d'après ce que m'indiqua le frère Juan Manrique qui la vit, alors qu'il était accompagné par M.le Curé et d'autres personnes." (2) Ces apparitions que nous avons aujourd'hui à coeur de mépriser étaient la grande chimère de nos ancêtres, et furent observées au cours de ces deux derniers siècles avec tant de sérieux que de nombreuses personnes pleines de prudence y crurent et devaient sacrifier avec honneur leur fortune et leur propre tranquilité à une découverte qu'ils pensaient être utile à la nation et susceptible en chemin de leur assurer la fortune. La première expédition, à ce que j'en sais, fut celle de Fernando de Troya et Fernando Alvarez, habitants de Canarie, en 1526. Et ce qui nous donne la preuve de la constance d'âme de ces hommes , c'est que nous devons considérer cette expédition comme la moins infructueuse de toutes celles qui ont été tentées dans le même but par la suite. Parce qu'ils n'avaient pas même rencontré l'ombre d'une île semblable, ils rapportèrent au logis la gloire solide du désenchantement, gloire que leur avait reconnu bien volontiers le public, puisque le fantôme de la terre apparente ne renfermait qu'en lui même le secret d'enchanter ceux qui la voient. Ce fantasme gagnait tant de terrain par des sophismes que l'on crut prudent de douter d'avantage de la mauvaise conduite de l'expédition par les explorateurs que de la fidélité des perceptions personnelles. Ainsi, comme en 1570, les apparitions de l'île de San-Borondon furent si répétées et si nettes qu'elles produisirent dans tous les esprits, par contagion, une démangeaison de curiosité, qu'il y avait beaucoup d'impatience à savoir, et qu'on essaya de faire les pas décisifs en cette matière. Par chance, un sujet tout à fait capable d'arriver à ses fins avait pris ce dossier en main. Le docteur Hernan Perez de Grado, premier régent de l'Audience Royale des Canaries, était un de ces ministres né pour bien servir le roi et faire le bonheur de ses vassaux : comme il vivait au siècle des découvertes, il pensa emlpoyer une petite flotte qui se consacrerait à la recherche de l'île fugitive mais ne voulant ni précipiter son jugement ni ridiculiser l'expédition, il s'arrêta au parti d'expédier une circulaire dans son Audience (en date du 3 Avril 1570), aux Justices des trois îles Palma, Hierro, et Gomera, par laquelle il leur ordonnait de faire une enquête exacte auprès de toutes les personnes de talent qui avaient observé les apparitions de la terre ou qui, par hasard, avaient des preuves de son existence par une autre voie. On voyait ici le rapport d'Alonso de Espinossa qui était gouverneur de Hierro, donnant son nom à la postérité et marquant l'époque de sa judicature. Il remplit parfaitement ses fonctions par une enquête grandioses au cours de laquelle plus de cent témoins, en réponse, déposaient qu'ils avaient observé la nouvelle île, vers le nord-ouest de cette même île de Hierro ou à partir de Sotavento de l'île de Palma, avec tant de réflexion et de tranquilité, étant donné qu'une fois ils virent le soleil se poser par derrière une des pointes (de l'île de San-Borondon), qu'ils pensaient qu'elle était éloignée de quarante lieues de l'île de Goméra. Mais on aurait peu avancé au moyen de cette information en provenance de l'île de Hierro (que Don Juan Nuñez de la Peña assure être à l'origine de ces vues) si l'île de La Palma n'avait produit lors de l'enquête trois témoins qui finissaient par donner tout le poids et l'authenticité nécessaire à la chose : ce furent quelques portugais de Setubal parmi lesquels figurait un certain Pedro Vello qui était pilote de son état et coutumier de la traversée vers le Brésil. Ils affirmèrent avoir été dans l'île de San-Borondon où ils arrivèrent inopinément à la suite d'une tempête. Pedro Vello déclara: "Ayant mouillé dans une anse vers le cap du sud, je descendis tout de suite à terre avec deux de mes marins. Je bus de l'eau fraîche dans un ruisseau. Nous observâmes sur le sable des empreintes de pas deux fois plus grandes que celles d'un homme normal et l'intervalle entre les pas était dans la même proportion. Sur le tronc d'un arbre qui nous sembla être un laurier des Canaries, nous trouvâmes une croix fixée avec un clou dont la tête était de la taille d'un réal environ. Tout près de là se trouvaient trois pierres rassemblées en triangle qui semblaient avoir servi de foyer, peut-être pour cuire des patelles, à ce que l'on pouvait déduire de quelques coquilles vides. Après avoir couru, armés de nos lances, derrière de nombreuses vaches, chèvres et brebis qui paissaient dans les alentours, jusqu'à pénétrer assez loin dans l'intérieur d'un bois, nous vîmes la nuit arriver. Le ciel se couvrit et il se mit à souffler un vent si fort qu'ayant peur de perdre le navire, je revins seul à la plage, pris la chaloupe et regagnai le bord précipitamment. Et à l'instant, on perdit la terre de vue et en essayant, quand se calma l'ouragan, de retourner sur celle-ci, il ne fut plus possible de la découvrir. Cela nous causa beaucoup de souci, à cause des deux hommes qui avaient été abandonnés au coeur de la forêt. " Dans une autre enquête que le Licencié Pedro Ortiz de Funez, inquisiteur en fonction aux Canaries, et visiteur de l'évéché, fit à Téneriffe, soit attiré là par son génie naturellement incliné vers le genre de perquisitions curieuses, soit, ce qui est plus certain, spécialement mandaté par le Régent de l'Audience, il obtint le témoignage d'un autre voyageur qui avait eu le privilège de débarquer sur l'île de San-Borondon. Marcos Verde, personnage honorablement connu aux Canaries, rapporte : " Lors du retour de l'armada de Berbérie, au temps de nos expéditions en Afrique, je rencontrai à la même hauteur que celle de ces îles une terre entiérement nouvelle. Il manquait à cette dernière tous les signes caractéristiques par lesquelles se distinguent les autres îles. Nous n'hésitâmes pas un instant à la considérer comme l'île de San-Borondon de telle sorte que, flattés par cette idée, nous la côtoyâmes à la recherche de quelque port, dans le but d'y faire escale. En effet, je pus ancrer mon bâtiment dans la belle anse que formait l'embouchure d'un ravin, et bien que le soleil ait été couché, je pris la décision de descendre à terre avec quelques personnes qui, s'étant séparées, marchèrent en un trajet assez considérable par différents sentiers jusqu'à ne plus s'entendre les unes les autres, par la voix. Poussées par la peur de la nuit, toutes se réfugièrent ensuite à bord, et cette précaution fut bénéfique puisqu'à peine arrivées au bateau, elles furent surprises par un tourbillon de vent si horrible, provenant de l'embouchure même du ravin, qu'il leur fallut lever l'ancre en hâte et se sauver précipitamment pour ne pas revoir une terre barbare qui violait sans cesse les droits sacrés de l'hospitalité. " Dans notre pays, la foi dans l'existence de cette huitième île était alors très répandue, par le fait que personne ne se serait avancé à la critiquer. Tout un chacun se déclarait en sa faveur. Cette opinion semblait constituer une démonstration mathématique qui attirait à elle la conviction et l'évidence. Vous voyez ici pourquoi je ne m'étonne pas de la position prise par l'Armement qui, immédiatement se rangea à ce point de vue à Palma, sous la direction de Fernando de Villalobos, Conseiller et Dépositaire général de l'île. Ce fut alors la deuxième tentative pour trouver San-Borondon, et peut-être celle qui se composait du plus grand nombre de voiles. Elle ne fut pas si malheureuse parce qu'elle n'avait pu découvrir la terre attendue que pour n'avoir pu détromper les habitants des îles de la témérité de leur entreprise. Cependant 34 années n'étaient pas écoulées lorsque les ports de Palma, lîle qui avait vu revenir Villalobos les mains vides, furent les témoins de la préparation d'une nouvelle nef qui devait réussir à effacer la malchance de ses prédécesseurs et rendre le projet plus fructueux. Celui-ci fut confié à deux hommes dont les connaissances en sciences nautiques répondaient du succès. Gaspar Perez de Acosta était un pilote consommé. Le Père Fray Lorenzo Pinedo rehaussait l'habit de saint François par une pratique distinguée des affaires maritimes. La nouvelle expédition ne pouvait être dirigée par meilleure association, mais c'était une expédition pour San-Borondon et cela avait été un échec pour les Colombs et les Magellans à qui elle revenait de droit. En efffet, le savant pilote Pedro de Acosta, après avoir croisé durant de longs jours à cette latitude, après s'être trouvé sur les routes qui devaient y mener, en déployant tous les efforts d'un homme qui oeuvre pour sa réputation, n'obtint même pas la consolation équivoque de trouver quelques indices caractéristiques d'une terre proche. Les courants, les vents, les fonds, les oiseaux, rien de tout cela n'indiquait une terre. Tous ces oracles restaient pour le chercheur muets. Il est certain que l'insuccès de cette troisième expérience nous apprend à être plus réservés dans la façon de parler de l'île de San-Borondon. J'ai constaté un vide considérable dans notre histoire durant lequel on n'essaya pas de hasarder de nouveaux pas dans cette recherche. Personne ne se faisait le partisan de l'existence de l'île en l'absence d'une solide justification. Je considère enfin qu'il fut nécessaire de laisser s'écouler plus d'un siècle pour parvenir à oublier ces médiocres événements et avoir à nouveau la hardiesse de naviguer à la recherche de cette île-lutin. Il est vrai qure la tentation paraissait toujours puissante parce qu'on apercevait de temps en temps quelques preuves brillantes qui gagnaient beaucoup de terrain dans l'esprit de ceux qui n'avaient pu déraciner de leur coeur l'idée de l'existence de cette île. Abreu-Galindo a laissé par écrit l'échange de vue qu'il avait eu avec un certain aventurier de France qui revenait tout juste de San-Borondon. Ce dernier lui assurait : "Alors qu'un orage avait éclaté sur nos îles, son navire était arrivé dématé sur une terre inconnue, extrêmement couverte d'arbres robustes, où il débarqua. Ensuite il abattit l'arbre qui lui semblait le plus apte à faire un mât et s'employa avec ses hommes à le préparer à cette fonction. Mais parce que l'atmosphère se chargeait pendant ce temps, et comme il ne trouvait pas souhaitable de passer la nuit ici, il abandonna l'ouvrage entrepris et tout le monde regagna le bord pour s'éloigner à la voile, avec tant de rapidité qu'au jour suivant ils arrivèrent à La Palma. " (Galin, Ms lib 3 cap 25).Il y a quelques années, alors qu'il revenait d'Amérique, un des fonctionnaires de l'enregistrement de nos îles crut un jour que son capitaine avait croisé au large de l'île de La Palma. Mais le lendemain, alors qu'il pensait découvrir celle de Ténériffe, il se trouva face à l'île verdoyante de La Palma. Que devait-il en déduire ? Que la première terre découverte vait été celle de San-Borondon. ( Cette information se trouve dans un des journaux du colonel Don Roberto de Rivas.) Ces raisons, ajoutées aux citrons, fruits étranges, branches vertes et parfois même arbres entiers qui s'échouent sur les plages de Gomerra et de Hierro, particulièrement après les tempêtes du nord-ouest, et par dessus tout les apparitions répétées en provenance de l'île de La Palma et de celle de Hierro, informations recueillies à l'Audience et la Commanderie des îles, produisirent comme de nouveuaux accés de fièvre dans les âmes, qui les déteminèrent à tenter la fortune et à se lancer pour la quatrième fois dans une expédition. L'occasion était favorable. Don Juan de Mur Y Aguerre - qui, lorsqu'il était capitaine général des Canaries, s'était fait aimer de la population insulaire par le soin paternel avec lequel il s'employa à remédier à l'effrayante disette de vivres qui ravageait toute la province cette année-là - s'engagea à cautionner l'expédition, la confiant non pas à un don quichotte d'outre-mer, comme les fois précédentes, mais à un homme d'élite, parfaitement honnête, digne de sa propre confiance et de celle des autres généraux des îles : tel était le capitaine Don Gaspar Dominguez, qu'accompagnèrent en qualité d'aumoniers apostoliques le Père (titulaire d'un bénéfice ecclésiastique) Fray Pedro Condé, de l'ordre des frères prêcheurs, et le Père Fray Francisco del Christo, franciscain. Le bateau fit voile à partir du port de Santa Cruz de Ténériffe à la fin de l'automne. Mais quelle tristesse ! Cette entreprise ne se démarque en rien des précédentes. L'heure de la découverte de San-Borondon n'avait pas encore sonné et le destin voulyut que cette conquête se bornât à la gloire stérile de l'avoir entreprise. On pourrait penser que toutes ces expériences successives qui s'affichaient si haut feraient entendre qu'il fallait embrasser un seul parti à ce sujet, mais il n'en fut pas ainsi. L'existence de l'île de San-Borondon est un problème à propos duquel nous disposons de trois opinions : - la première est celle d'un peuple superstitieux et ignorant qui attribue l'inaccessabilité de l'île à un décret spécial de la divine providence ou à l'action maléfique du diable; - la deuxième manière de voir est celle des gens qui s'obstinent à soutenir la réalité de l'île avec des preuves factuelles et à rechercher les raisons pour lesquelles on ne l'a pas encore découverte, ainsi que les difficultés qui font qu'on ne pourrait la découvrir; - enfin existe une opinion également répandue, celle des critiques et des philosophes qui nient absolument l'existence d'une telle île, éloignée de nos yeux et de notre représentation. Les partisans de l'enchantement de San Borondon compensent le peu d'autorité rezcueillie par leur thèse, par les agréables moments d'excitation que leur offre leur fantaisie. Le fait de parler d'enchanteurs, de charmes, de sorcellerie, de nécromancie et autres magies de prestige, et d'en parler sérieusement, est un attrait qui a toujours leurré la plus grande partie des gens. J'affirme dans cette optique que l'île enchantée de San-Borondon vaut plus, pour notre peuple au sens critique encore peu développé, que dix îles de San-Borondon qui auraient été découvertes. Quelles machines, quels théâtres, quelles scènes n'imagine-t-on pas dans un pays irréel ? Combien de portugais se sont flattés de retrouver ici leur roi Don Sébastien tant regretté ! Combien d'espagnols ont cru que leur malheureux roi Don Rodrigue, fuyant les Maures, se réfugia dans cette île de l'Océan comme derrière une barrière qu'ils ne pourraient forcer ! Sur cette île, on trouve un archevéché et six évéchés, sept cités opulentes s'y rencontrent. De ce fait, certains la nomment "l'ïle des sept cités ". Elle a des ports et aussi des rivières importantes, et elle est habitée par un peuple chrétien comblé de tous les biens de la fortune (3). Il est évident que le fameux Torquato Tasso dans sa "Jérusalem" a démontré combien était grand et agréable son enthousiasme en imaginat ainsi les péripéties de ses héros : l'enchanteresse Armide se sert d'un talisman extraordinaire et disparaît aux yeux du preux renaud, terreur des Sarrasins. Ubald et son compagnon vont consulter un magicien qui les conduit au centre de la terre. De là ils vont à Escalon où ils rencontrent une vieille femme qui les transporte dans une petite barque aux îles Canaries au moyen d'une baguette magique. Ils retrouvent là Renault sous le charme, rompent l'enchantement, et le ramènent… (Jérusalem,, chant 14) Qui n'aurait envie de dire que si ce héros fut envoûté en quelque île, cela ne pouvait être qu'à San Borondon ? Et s'il faut croire, malgé tout, qu'il existe un paradis terrestre, en un endroit inaccessible, quel;meilleur endroit que l'île de San-Borondon, qui, en plus d'être une des îles fortunées, ou îles heureuses dans lesquelles les païens plaçaient le paradis, a la propriété de s'offrir aux yeux et de s'échapper des mains ? Peut-être est-ce parce que le chérubin en défend l'entrée avec une épée de feu ? Faudrait-il qu'une des sept îles Canaries s'enfonce dans la mer afin qu'elles soient à jamais "symboles des sept sacrements" (4). Pendant que les gens superstitieux discourent ainsi, "satisfaits d'un recours malheureux aux phénomènes inexpliquées" - comme l'explique ici le très célèbre Feijoo (in Teat. Crit. tome 4 disc.10. pag. 256), les partisans de l'existence de San-Borondon s'inventent mille tours pour prouver leurs dires. Qu'on voie ici le meilleur fondement de ce qu'ils ont avancé : 1. Ptolmémée a placé entre les îles Fortunées l'île Aprositus, terme grec qui signifie 'Inaccessible". Comment ne pas penser que, quand le géographe parlait ainsi, il était informé du caractère particulier de San-Borondon ? 2. Aristote (ou Théophraste dans le livre "Des choses remarquables ") raconte que quelques phéniciens, ayant navigué quatre jours vers l'occident, avec le vent apéliotès qui souffle du sud-est, aperçurent une terre inculte et soumise à une agitation si continuelle que la mer la couvrait et la découvrait alternativement, laissant à sec nombre de grands thons. 3. Quand les mythographes disaient que les sept filles d'Atlante se transformèrent en sept étoiles nommées Atlantides ou Pléïades, peut-être avaient-ils pris cette idée dans le nombre de ces sept îles qui ont toujours été considérées comme une dépendance ou un prolongement duu mont Atlante. Et quand ils assurent que l'une de ces étoiles, de la même manière, soit s'observe avec difficulté soit s'éclipse jusqu'à disparaître entièrement (comme le confirme l'observation des astronomes ) il semble qu'ils aient reconnu le caractère particulier de San-Borondon(5). 4. Ce nom de San-Borondon, Brandon, ou Blandon qui a été donné à cette terre depuis un temps presque immémorial, provient sans doute de l'abbé San Brandon, Brandaon ou Blandano, moine écossais qui s'arrêta et prêcha sur cette île, peu après la première moitié du sixième siècle. Surio, compilant la vie de San Maclovio ou Machutes, connu aussi sous le nom de Saint Malo, vie qui avait été écrite par Sigebert de Gemblours, rapporte : " Ce saint moine, en tout extraordinaire, pensant quitter son monastère où son mérite avait commencé à faire des envieux, apprit (soit par révélation soit par les récits de quelque marin) que dans l'océan se trouvaient certaines îles extrêmement délicieuses et habitées par des infidèles. Désirant jouir du repos de cette retraite et faciliter la conversion de ces peuples, il prit la résolution de s'embarquer, accompagné dans sa quête par son supérieur San Brandon. Après avoir silloné l'Océan pendant longtemps sans découvrir les îles qu'ils cherchaient, et alors qu'ils avaient perdu l'espoir de satsifaire leurs désirs, ils aperçurent une île nommée "Ima". Durant les premières démarches qu'ils firent dans ce pays, Saint Malo ressucita le cadavre d'un géant qui gisait dans son sépultre, le convertit, l'instruisit et le baptisa, lui imposant le nom de Mildum ou Milduo. Le géant, quinze jours plus tard, eut l'autorisation de mourir une seconde fois, après avoir déclaré que ses compatriotes avaient quelque idée du mystère de la Trinité et des peines de l'enfer. " (6) Donc, que cette île d'Ima soit une des îles Fortunées, cela se vérifiait avec les observations du Père Mabillon dans ses "Siècles Bénédictins" et avec la notice que donne le rassembleur des vies des pères augustins, dans celle de San Maclovio et celle de San Blandano. Puis après avoir mentionné ces îles sous les mêmes noms que ceux signalés par Ptolémée, il déclare : " San Maclovio et an Blandano, homme abstinent et père de trois mille moines, résidèrent sure ces îles durant sept ans etc. " Enfin qu'une des îles où ils s'arrêèrent était l'île inaccessible ou "Aprositus, d'après une tradition certaine dont les fondements se trouvaient en je ne sais quel manuscrit latin qui faisait partie des archives de la cathédrale de Canarie, d'après Nuñer de la Peña et Abreu Galindo, qui se lamentèrent sur sa perte. (7) 5. Une observation constante étalée sur trois siècles confirme tout cela, aprce que les habitants de La Palma, Hierro, Gomera et même de la parie sud-ouest de Ténériffe, ont vu à différentes reprises une terre plus occidentale qu'aucune des sept Canaries. On pourrait leur rétorquer, comme on n'a pas manqué de le faire, qu'une accumulation de nuages, jetant cette image équivoque aux yeux, constitue ce qui les fait juger trop vite, ce qui trouble leur raison. Mais quelle force peut avoir cet argument à l'encontre de ceux qui savent justement que ces jours où l'horizon est le plus clair, quand les vents viennent du couchant, sont exactement les jours où l'on s'aperçoit la nouvelle île ? Le vent soufflant de l'Est-Sud-Est emportant les vapeurs de l'île de Hierro pourrait les réunir en une masse considérable vers l'Ouest-Nord-Ouest jusqu'à forger la terre de San-Borondon. Mais il est également établi que le vent a pour caractéristique d'obscurcir les horizons et il ne souffle pas quand se présente à la vue la dite-île, et par dessus-tout, si les accumulations de nuages étaient au point de passer aux yeux des insulaires pour des terres verdoyantes, il paraitrait normal que de chacune des îles on aperçoive diverses îles de San-Borondon, ce qui au vrai n'arrive pas. San-Borondon ne se voit qu'en un seul point du globe, toujours de la même grandeur et sous un aspect toujours semblable. 6. Sans doute serait-il facile de se désintéresser de la solidité de ces informations si nous n'avions ces témoins dignes de foi qui ont affirmé sous la foi du serment avoir touché terre à San-Borondon à diverses reprises et en différentes occasions : Pedro Vello, Marcos Verde et le français anonyme, quand ils firent déposition de leurs aventures et de leur venue à une certaine île inconnue voisine des nôtres, parlèrent conformément à des hommes de bien, avec ce caractère de sincérité qui manifeste une vérité sereine où n'intervient aucun intérêt particulier. Le journal de Don Roberto de Rivas qui fournit l'observation d'une autre île à l'ouest de l'île de La Palma a un poids infini. Les fruits étranges, les branches vertes et autres productions du règne végétal que la mer rejette sur les plages de Hierro et Gomera donnent des preuves certaines sur le fait qu'une terre voisine les envoie. Toutes ces circonstances assemblées de bonne foi et sans esprit critique stérile ne prouvent-elles pas l'existence de l'île de San-Borondon ? (8) Il est certain qu'on a effectué de nombreuses expéditions outre-mer, dirigées par des personnes intelligentes, dans le but de la découvrir, sans qu'elles ne soient suivies d'effet ; et il paraît invraisemblable qu'après trois siècles de navigations fréquentes sur ces mers, dans lesquelles il n'y a pratiquement pas d'écueil, si petit soit-il, qui ne soit parfaitement connu, une île reste encore cachée, aussi vaste que nous supposons être celle de San-Borondon. Mais comme cela n'est rien d'autre qu'un argument négatif, l'efficacité en est moindre qu'il ne paraissait à première vue. En effet, San-Borondon, pour ce que l'on sait, est une terre extrêmement montagneuse, humide, au coeur de perpétuelles nébulosités, ouragans et tornades. Existe-t-il une raison plus sure à son occultation perpétuelle à ceux qui naviguent sur sa latitude ? D'autre part, comment pourrait-on prouver que les courants insensibles de la mer et les reflux irréguliers qui affectent parfois ses eaux, spécialement autour des caps et promontoires de l'île, ne sont pas suffisants pour repousser les embarcations loin des côtes, les rendant inaccessibles ? (9) Tout ce qui précède est un résumé des principales raisons avancées par les "sanborondonistes" , arguments que les personnes désabusées essayent d'ailleurs de repousser : ils concèdent que Ptolémée a nommé "Aprositus" ou inaccessible l'une des îles Fortunées mais ils ne croient pas qu'il aurait donné ce nom à une île hypothétique, mais à une île différente des six autres alors suffisamment connues des érudits. Pour cette raison il a parlé d'elle en premier lieu. Il paraît, en effet, invraisemblble qu'un auteur du IIème s. , au cours duquel le souvenir de ces îles était déjà assez obscurci, établisse une notice détaillée sur le fait que, parmi ces îles en apparaissait une autre qui, recherchée, ne se laisait pas trouver ; qu'un écrivain qui ignorait le nombre exact des îles inaccessibles suppose l'existence d'une autre encore plus inaccessible, c'est également invraisemblable. De même, enfin, qu'un rédacteur qui supportait une erreur dans l'appréciation de la véritable latitude des îles Fortunées, puisse se rtrouver face à l'énigme de San-Borondon. Ainsi, sans attribuer à Ptolémée une connaissance qu'il ne pouvait avoi, nous devons faire deux suppositions : soit par "Aprositus" le géographe se référait à l'île "Ombrios" de Pline, ou ce qui est plus vraisemblable à l'île "Nivaria" du même auteur. Certains sont favorables à la première opinion, pensant ainsi que Pline commence à dénommer les îles Fortunées par l'île "Ombrios" et que de même Ptolémée, qui ne faisait que le recopier, se doit de faire figurer cette île en premier. Et si, comme on l'a prétendu, "Ombrios" n'est autre que l'île de Hierro, il n'y a pas de doute sur le fait que , à cause des aspérités de ses côtes et de la force repoussante des ses courants, elle puisse se nommer "Aprositus" dans la topographie ancienne. D'autres , avec Isaac Vosio, déclarent que "Aprositu" est la "Nivaria", à la suite de Pline qui afirmait que la "Nivaria" était continuellement couverte de nuages du fait que sa neige abondante Ptolémée souscrivant à l'idée de la considérer inaccessible pour les embarcations qui la recherchaient (Carol. Steph. Verb. Aprositus Moreri.Verb isla). La description de cette terre moyée et chargée de thons, que découvrirent les Phéniciens dans leur navigation vers l'Occident, est trop vague pour permettre d'apporter quelque élément dans la controverse sur San-Borondon. Il est certain que ce serait un songe agréable que de s'imaginer cette île comme une grande machine qui, mue par on ne sait quels ressorts ou leviers, pourrait se dilater ou se comprimer, s'élevant et se replongeant à nouveau sous les eaux. Mais on voit tout de suite que cette chimère est tout juste bonne pour un poème. peut-être l'idée de considérer San-Borondon comme une île flottante qui soit s'approche soit s'éloigne hors de vue, est-elle plus sérieuse ? Bien qu'on puisse considérer cela comme ayant une petite apparence de vérité, parce qu'il est courant de voir sur un lac quelques petites îles flottantes, l'existence d'une île de 80 lieues flottant sur l'Océan ne sera jamais considérée que pour le songe d'un malade atteint de fièvres. Si l'on avait donné le nom de San-Borondon à l'île à cause de la célèbre visite que firent les moines écossais, San Blandon et San Maclovio, au VIème s., cela ne pourrait être admis par la critique la plus favorable sans un sursaut. En effet, Sigebert de Gemblours, qui rapporte le voyage dans sa chronique, et Surio, qui lui donne une plus grande diffusion, ne sont pas considérés par les gens intelligents comme très véridiques. Ainsi, nous voyons qu'ont recusé comme trop fabuleuse, l'expédition rapportée, Georges Hornio, Galien de Bethencourt dans son traité sue les Navigations et le Père Yepes, historien des Bénédictins, et d'autres (10). Mais même si nous tenions compte de la révélation de cette île de païens dans l'Océan et le voyage des saints moines à sa recherche, nous n'aurions rien établi parce qu'il est invraisemblble que cette île soit l'une des Canaries. Qui aurait la légereté de se convaincre que les Ecossais, à une époque où la culture n'était pas très répandue, auraient navigué depuis l'Ecosse vers les îles Canaries sans l'aide d'une boussole ou d'un autre moyen de se diriger avec certitude ? Qui croira Surio, ce cartographe trop naïf, quand il déclare qu'ils croisèrent sur mer durant sept ans, errant sans découvrir de terre ? La résurrection du géant Milduo, son baptème et sa deuxième mort n'ont-ils pas tout l'aspect du mensonge ? Quels monuments ont subsisté aux Canaries après la mission de ces saints aventuriers ? Comment les Ecossais n'ont-ils pas fait leur profit de la découverte de ces îles et pourquoi les ont-ils oubliées de telle sorte qu'ils n'y revinrent jamais ? Ces considérations ont une telle force que chacun devrait croire que la navigation des deux moines Maclovio et Blandano ne se déroula nulle part ailleurs que dans l'une des îles Orcades, situées au nord de l'Ecosse. Il est vrai que le compilateur des vies des pères augustins déclare que ce voyage se fit aux Canaries. Mais cela fut une mauvaise interprétation. Tout le monde sait que les Anciens, pour ne pas avoir expliqué avec suffisamment de clarté quelle était la véritable situation des îles Fortunées, ou pour avoir eu la manie de faire glisser le concept d'une région à une autre région, ont considéré quelquefois que les îles britanniques (qui comprennent les Orcades) comme îles Fortunées et champs élysées (voir Gamden, Descrip. de las islas Orcadas). Ainsi, l'auteur cité ayant eu connaissance des récits de voyage des religieux écossais aux îles Fortunées, chercha dans l'Almageste de Ptolémée leur nombre et leur situation et, préoccupé de l'opinion de ce géographe qui, suivant l'autorité de Pline, parle des Canaries sous le nom d'îles Fortunées, fit la même chose avec les récits des moines, et sans se rendre compte de l'erreur qu'il commettait, les amena jusqu'aux Canaries, alors qu'ils ne s'étaient peutêtre éloignés que de quelques milles de leurs cellules. Il était alors normal que, cheminant avec cette équivoque, il prenne tout l'ascendant qu'eut sur l'opinion de nos ancêtres l'idée que San Blandano ou Brandon avait visité ces îles. Mais si l'on croyait qu'il s'était arrêté sur chacune d'elles, pourquoi seule l'île cachée reçut le nom d'île de San Blandon ou San-Borondon ? La raison à cela - qui n'a encore été donnée par personne à ma connaissance - peut se déduire d'une circonstance mentionnée dans la relation de Sigebert et dont se souvient également San Antonino (San Antonin. Sup. 2. p. tit. 12. cap. 8 ch. 5). Ces auteurs déclarent : " ces saints moines, après avoir navigué très longtemps sans découvrir de terre, virent venir le jour de Pâques, et comme cette fête développait intensément en leurs esprits la dévotion et le désir de célébrer les saints mystères en compagnir de tout leur équipage chrétien, ils se mirent en prière et demandaient à Dieu la grâce de susciter devant eux une terre pour satisfaire leur désir. Le Seigneur entendit les prières de ses serviteurs et décréta qu'il apparaisse au milieu de la mer, soudainement, une île où ils s'empressèrent de débarquer. Après avoir érigé un autel, San Malo célébra le saint sacrifice de la messe. Après avoir distribué l'eucharistie à ses compagnons, ils se réembarquèrent tous et hissèrent la voile. Mais quel ne fut pas leur étonnement quand ils connurent que ce qu'ils avaient pris pour une île véritable n'était en réalité qu'une monstrueuse baleine qui plongea aussitôt. (Sigebert, Epist. ad Tietniar. Abbat. ) Cet événement étrange qu'il ne convient pas de mettre en doute donna assurément tout son fondement au fait qu'on nomma notre île inconnue île de San-Borondon. ensuite, comme on considérait comme un fait avéré que San Brandon avait débarqué sur une île qui était apparue et avait disparu soudainement, comme on avait cru que les Canaries étaient le théâtre de cette scène, et comme on parlait d'une île flottante située plus loin que celles de La Palma et de Hierro, il fut tout à fait normal de nommer cette terre San Blandon ou San-Borondon. Et en vérité, ceux qui lui ont imposé ce nom, la définirent. nombreux sont ceux qui ont observé ses fréquentes apparitions. Nombreux sont ceux qui ont cru voir une terre véritable, mais qui s'enfuit à la manière de la baleine de San Brandon, qui flotte sur l'Océan (11) et qui nous fait douter de la réalité que nous offrent nos rpopres yeux. Et si ces apparitions étaient un jeu incompréhensible de la nature ? Quelque phénomène sensible ? Quelque espiéglerie optique ? On dit que San-Borondon ne peut être l'effet d'une accumulation de nuages, puisqu'on la voit les jours où l'horizon est très clair et où soufflent les vents Favonios ou vents d'ouest. Sans doute je comprends qu'une masse de nuages, arrêtée sur l'horizon par l'équilibre de deux vents contraires, exige pour être vue l'absence de toute autre nébulosité. Qui peut ignorer les inévitables mirages qu'apportent des nuages de cette nature, alors qu'ils trompent même les marins les plus expérimentés ? (12) Ainsi, on pourrait bien affirmer que certains nuages arrêtés à l'Ouest - Nord-Ouest de l'île de Hierro, et modifiés par hasard, conformémént à l'idée qui préexiste dans l'esprit du spectateur, donnent tout son fondement à l'île dont on discute. Mais il faut avouer , concernant ce problème des nuages, que celui qui ne dirait rien de plus que cela en aurait dit trop peu parce que l'observation de l'uniformité constante de l'endroit, de son aspect et de son étendue fait évanouir cette hypothèse. On voit ici pourquoi certains critiques, tenus par la solidité de ces réflexions et observations à ne pas être d'accord avec l'existence véritable de San-Borondon se sont ingéniés à expliquer le mystère de ses apparitions par un autre phénomène que la simple accumulation des nuages, le soir. L'illustre auteur du Théâtre critique qui fit avec tant de succès la guerre aux contrées imaginaires était favorable à l'idée selon laquelle notre île est peut-être une des autres îles Canaries vue par réflexion dans quelque nuage de la qualité d'un miroir : " J'ai observé dernièrement que même quand s'imprime au fond des yeux l'image parfaite de l'île telle qu'on la voyait depuis l'île de Hierro, on ne peut déduire de là que ce soit réellement cette île. Deux célèbres phénomènes se dégagent de ce qui semble un paradoxe. Le premier est une apparence que les habitants de la ville de Reggio dans le royaume de Naples nomment Morgana (13 Ndt). On a vu, à plusieurs reprises, se lever sur la mer voisine de cette ville une magnifique apparence de cité dans laquelle on distonguait édifices, forêts, et même des hommes. Enfin tout ce qui peut composer une cité et le territoire adjacent. Le second est celui qu'observa, iy a quelque temps, le Père Féville, minime, très savant mathématicien de l'Académie Royale des Sciences : une nouvelle terre apparut un matin en face de Marseille, dans laquelle on voyait et on distingait à la longue vue des arbres, des montagnes, des rivières, des animaux et tout ce qui constitue généralement un pays peuplé. Le Père Féville fut avisé d'une nouveauté si prodigieuse, et, montant à son observatoire, il observa la même chose que les autres. Mais, faisant ensuite une prudente réflexion sur ce cas, il tourna les yeux vers la contrée de Marseille et s'aperçut que, dans la nouvelle terre était représenté tout ce qu'il y avait dans celle-ci. D'où il conclut qu'il s'agissait d'un nuage réfléchissant où s'imprimait l'image de la ville et de la contrée avoisinante, comme il arrive dans un miroir. De même il peut arriver que l'île aperçue depuis celle de Hierro ne soit rien d'autre qu'un reflet de celle-ci, plus ou moins clair, plus ou moins confus, imprimé sur quelque nuage réfléchissant à une certaine distance. (14) On pourrait ajouter à ces deux phénomènes celui qu'observèrent les habitants de Jérusalem au temps de l'empereur Dèce. Ils distinguèrent un jour une carte parfaite de la ville sainte, placée verticalement dans l'air élevé. Cette apparence confirma donc, dans leur opinion, les fidèles préoccupés par la fameuse erreur du millénarisme (cf. Tertullien, Apud Orsi. Hist. Ecles.). PL P. Dechales, à la fin de sa dioptrique, rapporte en tant que témoin oculaire qu'à Vézelay, en Bourgogne, il vit en l'air la forme d'un homme de grande stature qui, armée d'une épée paraissait menacer la ville, mais les personnes d'un jugement sain, après un examen attentif de cette apparition, reconnurent que ce spectre n'était rien d'autre qu'une statue de Saint Michel placée en haut d'une église, et réfléchie dans un nuage. A cette même classe de phénomènes appartiennent les parhélies et les parasélènes, c'est-à-dire le soleil et la lune, apparents, vus par réflexion dans des nuages réfléchissants. Mais si nous devons accepter l'opinion selon laquelle l'île de San-Borondon peut être l'image d'une des autres îles, nous qui avons une plus grande connaissance de l'aspect sous lequel elle apparaît, nous préférerions dire pour cela qu'elle ressemble plus à l'île de La Palma qu'à celle de Hierro. En fait, les habitantsdes îles Canaries ont toujours comparé son aspect à celui de l'île de Palma, puisqu'elle a les mêmes bords tranchants, le même commencement, la même concavité et assise, quoique cette île, qui est plus grande que celle de Hierro, ne soit tout de même pas aussi étendue que San-Borondon, telle qu'elle apparaît. Peut-être que la différence provient de la nature du nuage où se fait la réflexion ? Ce nuage peut sans doute se disposer à la manière d'un miroir concave et qui ignore que les miroirs concaves augementent la taille des objets ? Outre cela, les miroirs concaves ont la propriété de représenter les corps qui se présentent à eux, non pas sur l'arrière de leur surface, mais dans le vide qui se trouve au milieu entre la surface du miroir et l'objet. Cette circonstance constitue le plus grand secret de la captotrique pour fasciner nos yeux avec des illusions. Finalement, la diversité notable que nous trouvée dans les différentes hypothèses qui ont été faites sur la distance qui sépare San-Borondon de nos îles sert aussi de preuve en renforçant l'opinion selon laquelle toute sa substance n'est qu'apparente et que les distances variées auxquelles les nuages réfléchissant se sont rassemblés, font évoluer dans la même proportion le jugement des observateurs. Les uns l'ont située à 100 lieues de l'île de Hierro (cf. Thom. Cornel. Diction. Géograph.), d'autres à 40 lieues de l'île de Gomera (cf. Nuñ. de la Peña livre I), d'autres, enfin, à 15 ou 18 lieues de la même île (cf. Moreri, verb. isla) et à 30-40 lieues de l'île de LA Palma. Sabs doute, quiconque est maître de lui-même ne manque pas de ne pas se laisser éblouir par une pensée qui a beaucoup plus de brillant que de solidité : un nuage parfaitement réfléchissant placé à un point de vue déteminé afin de figurer à de nombreuses reprises une même île, on peut en trouver facilement dans l'imagination fertile des philosphes, mais pas dans la nature. Il est vrai que cela est suceptible d'être recherché dans les mouvements de la nature, mais pas au point qu'on puisse s'occuper de planter des nuages réflechissants à une certaine distance des îles de La Palma et de Hierro, quand on ignore quelle est la laideur des iles voisines puisque jamais on ne leur offre un miroir pour se regarder. Cette considération qui est très simple sera peut-être suffisante pour déséquilibrer toute la combinaison et nous dissuader que l'île de San-Borondon soit seulement une projection ou le leurre d'une terre. Que serait-ce si, après avoir tourmenté les esprits aussi longtemps et patr tant de moyens différents pour trancher le noeud gordien de ce problème, une circonstance heureuse bien que commune donnait la solution ? Que serait-ce, dis-je , si l'île de San-Borondon qui a été considérée jusqu'à maintenant comme inconnue et inaccessible, se révélait être un des pays les plus connus et les plus fréquentés ? (15) En effet, ce qui nous a amené à considérer comme satisfaisante la réflexion d'une île dans un nuage réfléchissant nous permettrait peut-être d'obtenir plus de satisfaction de la réfraction dans l'atmosphère de la terre qu'on imagine le moins. Les philosophes et mathématiciens ont expliqué avec clarté comment par un effet de réfraction de la lumière on pouvait voir de nombreux objets qui sans cette circonstance demeureraient cachés. Le soleil, la lune, les étoiles se présentent d'habitude sur l'horizon alors qu'ils sont cependant quelques degrés plus bas. L'argent que l'on met au fond d'une terrine ne se voit pas à la distance de quelques pas, mais se distingue avec netteté si le récipient est rempli d'eau. Le sommet d'une montagne, qui d'un endroit déterminé du globe ne se voit pas normalement, devient visible durant les quelques jours où l'atmosphère se charge de quelques degrés de crasse. D'une même fenêtre et d'un même point de vue, on voit se montrer en partie, derrière un édifice proche, l'objet distant qui, d'autres fois, se cache comme s'il était entiérement submergé (cf. Mémoires de l'Académie royale des Sciences, 1706, p. 80). D'après l'expérience de Huguens, si l'on fixe une longue vue dans une orientation constante, vers la pointe de quelque tour ou clocher, depuis l'après midi jusqu'au soir, on observe que cette pointe est plus élevée, à mesure que décline le jour, ce qui prouve la variété de réfraction des rayons de lumière et les différents degrés de transparence de l'air. (cf. Marquis de Saint Aubin, Traité de l'opinion, tome 6, p. 139) Si cette supposition est vraie, pourquoi ne peut-on hasarder l'hypothèse selon laquelle tout le mystère des apparitions de l'île de San-Borondon consiste dans la réfraction des sommets de quelques terres distantes, situées beaucoup plus loin que notre horizon visible, ces jours où l'atmosphère qui les baigne acquiert une certaine densité ? En effet, le vent d'ouest-nord-ouest, qui a l'habitude de souffler quand on aperçoit la terre de San Borondon est l'un des vents les plus humides et lles plus froids de notre climat. Mais quelle terre, vue par réfraction, peut-être celle-là ? Ici se trouve la difficulté et l'argument le plus osé de l'hypothèse. San Borondon serait-elle quelque partie de l'Amérique septentrionale ? Ce serait quelque sommet des monts Apalaches en Floride qui sont situés sur le même parallèle que nos îles ? La réfraction sert à tout. (16) Sans doute devons-nous modérer cette trop grande liberté d'imagination et nous nous contenterons d'une terre moins lointaine que l'Amérique. L'île de San Antonio, la plus septentrionale des îles du Cap Vert est distante de l'île de Hierro d'un peu plus de 10° et bien que cela paraisse être une grande distance, et c'en est peut-être une en fait, qui sait si ces sommets ne trouvent parfois l'air agencé de telle manière qu'une réfraction prodigieuse soit possible ? Celui qui voudrait connaître quel est l'effet trompeur de la réfraction par rapport aux objets terrestres, consultera le célèbre mathématicien Mayer. Adrian Mecio affirme que le hollandais Willem Barentz et ceux de son équipage qui hivernèrent sur l'île d'Orange en Nouvelle Zemble en 1596 observèrent que le soleil, bien qu' à 17° sous l'horizon, surgit, et ils furent tous admiratifs. (cf. Mémoires de l'Académie royale des Sciences, tome 10, 1693, p. 326). Depuis Kamschatska, qui est une des extrémités de l'Asie, on a observé beaucoup d'indices qui indiquent la présence d'une terre certaine vers le nord-est, et comme jusqu'à présent les nombreuses tentatives pour la découvrir ont été infructueuses, on peut supposer avec Monsieur de Lisle que c'était une partie du nord-ouest de l'Amérique septentrionale vue dans l'atmosphère par réfraction. De même nature peut être le phénomène de la terre de San-Borondon aux Canaries, mais on pourrait tout aussi bien parier que ce n'est pas pareil.toutes les hypothèses qui ont été faites au sujet d'une terre aussi étrange, qui se voit et ne peut être touchée, n'auront jamais assez de crédit et ne sont au fond rien d'autre que des manières policées d'actualiser le mythe aux yeux de tant d'hommes de bien, qui sont persuadés de voir encore, comme par héritage, l'île qui était présente aux yeux de leurs prédécesseurs. En effet, imités par toutes ces argumentations, les partisans du "san-borondisme" voient la critique démolir sans difficulté toutes les thèses sur lesquelles ils appuient leur opinion. Les Pedro Vellos, Marcos Verdes et autres français anonymes qui, à la suite de San Blandano et de San Malo ont obtenu le passeport nécessaire pour débarquer sur cette île, sont, en vérité, des gens très peu capables de repousser les attaques de leurs adversaires. Ils pourraient même craindre la critique acérée. Au-delà des dépositions particulières de chacun de ces témoins, n'y-a-t-il pas dans toutes ces affirmations des aspects de contes de voyageurs qui s'efforcent d'impressionner le public avec leurs récits de voyages fabuleux ? Ces tourmentes et tempêtes qui arrivaient toujours à la tombée de la nuit et qui forçaient toujours les navires à une honteuse retraite, est-ce que Virgile les aurait imaginés avec plus d'habileté poétique dans l'épisode des cavernes de l'île d'Eole ? La célèbre île de Calypsô, accessible seulement aux mortels qui y faisaient naufrage, at-elle quelque chose de plus merveilleux dans le Télémaque de Fénelon ? Enfin les traces humaines qu'ils observèrent sur les sables de San-Borondon et qui représentaient des pieds deux fois supérieurs aux nôtres et espacés en distance en rapport à leur taille, cela est-il crédible ? Une nation de géants si extraordinaire vivant sous le même climat que nous constituerait certainement une monstruosité digne en tout d'une terre monstrueuse. Et il n'ya pas de doute que quelques portugais (pour qui l'île de San-Borondon fut un stimulant extrême), en observant ces pas, pensaient immédiatement à l'autre géant fameux qu'ici même avaient ressucité San Blandano et son disciple San Malo ( 17). En plus, quand on considère qu'au cours d'une longue période de deux cents ans, il n'a jamais été permis à aucun autre vivant d'aborder (18) dans ce pays terrible et désiré pour confirmer les témoignages antiques, étant donné qu'aujourd'hui les navigations sont beaucoup plus fréquentes dans l'océan Atlantique, il semble qu'aucun hommedoté d'un jugement sain ne doive se ontenter d'une catégorie de preuves qui perd chaque jour un peu plus de sa vraisemblance. On peut également ranger dans les preuves singulières et très équivoques celle du journal de bord qui prétend (lui ou un autre qui lui ressemble), que, pour avoir distingué un soir l'île de La Palma, il fallait invoquer une circonstance extraordinaire, puisque le lendemain le vaisseau se trouvait face à la même île de La Palma, alors que tout cela n'est simplement que l'indice d'un vent nul et de courants peu favorables. Le fait de rester sur place, le calme plat dans l'ouest de l'île étaient d'abord causés par sa configuration générale, la position de ses caps, spécialement de l'abri éventuel apporté par une autre terre, distante au moins de 54 milles. L'échouage aux bords de Hierro et de Gomera de quelques citrons, fruits et branches vertes, etc. ,à la suite de grandes bourrasques de vent d'ouest, n'est pas non plus un argument pour affirmer que c'est la terre de San-Borondon qui les envoie, parce que ceux qui ont vu ces fragments s'accordent à penser que ce sont des produits de l'amérique, car il n'y a aucune difficulté à croire qu'ils traversent la mer à partir de ce continent ou des îles qui sont proches. L'Irlande et l'Ecosse sont beaucoup plus loin de l'Amérique que les Canaries. Cela est donc tout à fait possible puisque sur les rives de ces contrées on a recueilli à de nombreuses reprises des fruits du nouveau monde, et même, aux îles Açores sont parvenues des pirogues et des cadavres d'Indiens (cf. Buffon, Histoire Naturelle, tome 2). Toutes ces objections susdites qu'opposent ceux qui doutent de l'existence de l'île de San-Borondon paraitraient cpendant faibles si l'on n'était pas parti inutilement à sa recherche de nombreuses fois. Les arguments contre étaient aussi nombreux que les expéditions, et à chacune d'entre elles l'île allait perdant un peu plus de sa réalité, parce qu'on tardait à la découvrir. Dire ou deviner qu'ell est perpétuellement couverte de nuages et que cette obscurité est un obstacle à sa découverte, est décidément un recours malheureux, comme le fait remarquer le très illustre Feyjoo : "Qui empêche les embarcations de se rendre directement vers ces nuages qui la couvrent ? Et dans le cas où l'on penserait que ces nuages sont comme ceux de la Géorgie, qui ne se laissent pas pénétrer, comment alors quelques marins sont parvenus dans ces îles ? Il y a plus : en ces jours à l'atmosphère très claire où l'on voit l'île, il serait facile d'expédier rapidement un bateau qui, dans ce cas, ne la perdrait pas de vue". J'ajoute : comment, depuis le sommet du haut pic de Ténériffe, d'où l'on embrasse l'horizon marin jusqu'à 70 lieues de distance, ou depuis ses flancs, n'a-t-on jamais aperçu une telle île, ni claire ni nuageuse ?A ceux qui pensent que les courants de l'eau sont ici si extraordinaires et si violents qu'ils font dévier les embarcations , les dirigent vers d'autres routes, Feyjoo interroge et argumente : " Comment ont pu y arriver ceux qui y vinrent par hasard ? Le grand élan de la mer est-il temporaire ou continu ? S'il est temporaire, on a facilement pu observer la conjoncture favorable qui permet aux navires d'aborder. Dans le cas contraire, aucun vaisseau ne pourrrait jamais y aborder." Voici tout ce qui m'a paru intéressant dans la fameuse question de l'île de San-Borondon et le plus crédible de ce qu'on peut avancer de part et d'autre en restant dans les limites de la bonne foi. Le lecteur impartial est libre de juger définitivement, de choisir son parti, si peut-être celui-ci était une affaire pour laquelle le lecteur avait des éclaircissements à rechercher.
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Notes :
(1) Thomas Nicols dans sa description des Canaries en 1526 était incliné à penser que l'île de la Madera était la véritable San-Borondon, qu'elle était à l'origine de la renommée de cette terre chimérique, se trouvant à cent lieues de l'île de Hierro. Cet auteur ne nous a pas expliqué sur quoi il fondait son opinion mais il n'est pas difficile de le deviner : Francisco Alcaforado qui accompagna Juan Gonzales Zarca dans la célèbre expédition vers cette île en 1420, rapporte : "La petite escadre étant arrivée à Puerto Santo, les portugais établis là depuis deux ans, les assurèrent qu'au sud ouest de l'horizon qu'ils avaient devant eux, on voyait certaines ténèbres impénétrables qui s'élevaient de la mer jusqu'à atteindre le ciel sans perdre ni volume ni densité. Ils ajoutèrent que ces ombres épaisses étaient défendues par un bruit terrifiant dont la cause était cachée, et qu'ils ne les considéraient pas autrement que comme un abîme sans fond, ou comme la bouche même de l'enfer. Sans doute les personnes qui se voyaient pourvues d'un sens critique plus étendu soutenaient que cc'était là la célèbre île de Cipango si bien décrite dans les écrits du vénitien Marco Polo et que la Providence se plaisait à garder cette île cachée sous ce voile mystérieux parce que quelques évêques espagnols ou portugais s'y étaient retirés avec un grand nombre de chrétiens dans le seul but de fuir l'esclavage et la servitude musulmanes. Que, donc, on ne pouvait normalement prétendre examiner ce secret d'une haute importance, étant posé en principe que le Ciel même n'avait pas permis que les signes préalables qu'annoncèrent quelques prophéties en parlant de ce miracle rare, précèdent la découverte de cette île". Loin de susciter chez le commandant de l'expédition de vaines terreurs, ces rumeurs le déterminèrent à considérer ces ombres comme les indices infaillibles révélant la terre qu'il cherchait. Il lui fallait cependant attendre jusqu'à la nouvelle lune et comme l'on ne perçoit alors aucune altération dans le phénomène en cause, tous les aventuriers commencèrent à être saisis d'une terreur panique si intense qu'elle les aurait contraints à abandonner l'entreprise si le commandant Zarco, inflexible dans sa détermination, ne leur avait fait voir que ce n'était, comme le montraient les apparences, qu'une île couverte de bois, sur laquelle devait stagner une humidité constante, cause de ce nuage sans fin qui causait leur peur et leur appréhension. Le succès confirma la justesse de ce point de vue".
(2) Nous avons également la vue que dessina en 1730 Don Juan Smalley exploitant de Tixarafe sur l'île de La Palma, les vues de Prospero, de Cazorla et beaucoup d'autres.
(3) Pedro de la Médina, dans son livre "Grandeurs et choses mémorables d'Espagne" - chapitre 52, page 47 - nomme cette île "Antilla" et déclare ceci : " Non loin de l'île de Madéra, se trouve une autre île qui se nomme Antillia ; on ne la voit plus maintenant. Cette île se trouve déjà représentée sur une carte très ancienne, et comme on ne dispose d'aucune notice à son sujet, j'ai essayé de rechercher par différents moyens si, à son propos, on trouvait quelque indice ou document écrit ; dans un ouvrage de Ptolémée qui fut adressé au pape Urbain était signalée cette île avec les lignes qui suivent : " ista insula Antilia aliquando a Lusitanis inventa est, sed modo quando quaeritur, non invenitur. Quae tempore Regis Roderici, qui ultimus Hispaniarum, tempore Gothorum rexit, ad hanc insulam a facie Barbarorum, qui tunc Hispaniam invaserant, fugisse credatur. Habent hinc unum Archepiscopum cum sex aliis episcopis, et quilibet illorum suam habet propriam Civitatem, quare a multis Insula septem Civitatum dicitur. Hic populus christianissime vivit, omnibus divitiis saeculi hujus plenus. " ("cette île Antillia a été parfois découverte lar les portugais mais chaque fois qu'on la recherche, on ne la trouve pas. A l'époque du roi Rodrigue, qui le dernier en Espagne régna au temps des Goths, on croit que ce roi fuit vers cette île loin des Barbares qui avaient envahi l'Espagne. Ils ont là-bas un Archevâque et six évâques et chacun d'eux possède sa propre cité. C'est pourquoi, pour beaucoup, l'île est dite l'île des Sept Cités. Ce peuple vit très chrétiennement, avec toutes les richesses de ce siècle.") Cette île, d'après la carte sur laquelle elle était portée, a 87 lieues dans sa partie la plus longue, qui est celle du nord au midi et 28 lieues de large. Elle est parsemée de nombreux ports et rivières. Dans l'ouvrage de Ptolémée dont il était question, elle est située presque sur la route du détroit de Gibraltar, à trente six degrés et demi de hauteur.
(4) Expression tirée du Mémoire de Don Francisco Machado, député des Canaries, donné au Roi en 1758 - page 4 -, mais l'expression est mal pensée.
(5) Cette étoile des Pléïades qui jette une lumière si confuse, est la fille d'Atlante nommée Méropé. La fable dit que cette imperfection provenait de son mariage avec Sysiphe, simple mortel, alors que ses soeurs avaient épousé uniquement des dieux.
(6) Suri Biblioth. Floriac - 15 nov. Hered. in Vita Sancti Benedicti, tome I, p. 240. Gonzaga Chron. de S. Franc.
(7) En 1494 on imprima à Bâle, avec des planches, l'histoire du voyage de San-Borondon traduite d'un poème allemand en langue latine par Jacob Locher sous le titre suivant : "Narratio Profectionis numquam satis laudatae Navis a S. Brandano, vernaculo Rithmo nuper fabricata et per Jacobum Locher, Philo-Musum, Suevum, in Latium traducta. Edita Basileae cum figuris anno 1494 a Sabastiano Brau, seu Titio Argentinensi".
(8) L'auteur français d'une carte réalisée en 1704 n'a pas hésité à dessiner l'île de San-Borondon en l'ajoutant aux sept îles Canaries. M. Gautier dans ses Observations sur l'histoire naturelle, la physique et la peinture (tome 3, année 1755) dessine aussi sur sa carte géographique des régions exposées aux tremblements de terre sur les côtes occidentales d'Afrique, et place l'île de San Blandon à 5 ° plus à l'ouest de l'île de Hierro et sur le 29 ° de latitude.
(9) Les géographes possèdent des indices très sérieux pour supposer l'existence d'un vaste continent vers la partie australe du globe. Mais il semble qu'une des causes qui ont empêché sa découverte complète est justement le flux et le reflux des courants de ces mers.
(10) Horn. de Orig. Gent. Americ. lib. I cap. 4 pag. 67. Galien. de Bethenc. Trait. des Navig. pag. 27. Yep. Chron. Gene. 55 Bened. ann. 561. tom. I pag.227.
(11) L'Antiquité avait cru que l'île de Délos, en mer Egée, était une île flottante qui avait été submergée quelque temps sous l'impulsion des vents, puis était apparue à nouveau et s'était immobilisée. Virgile y fait allusion dans le livre III de l'Enéide.
(12) Voici une preuve parmi d'autres : il y a quelques années, un haut fonctionnaire civil en poste dans nos îles , revenait d'un voyage à la Havane. Alors que la pilote pensait déjà se trouver à proximité des Açores, il découvrit un jour à l'aube une terre ou quelque chose qui y ressemblait vraiment, dans la direction de la poupe de son navire. nombreux étaient ceux qui avaient vu l'île de Pico en d'autres occasions et personne à bord ne doutait que ce ne soit elle, de telle sorte que cette opinion devint générale. Mais le pilote, craignant de précipiter son jugement, eut la prudence d'attendre auelques heures ; tout l'équipage était occupé à observer si, par hasard, c'était un nuage ou si quelque partie de cette île se modifiait, particulièrement à l'endroit qui représentait le Pico avec perfection. Ces observations ne servirent à rien sinon à étayer l'opinion des gens du bord. Aussi le pilote résolut de mettre le cap sur elle, et navigant jusqu'au coucher du soleil, la terre imaginaire disparut comme dans une trappe, démontrant ainsi qu'un nuage avait berné tout le monde, rendant présente à l'esprit l'image de l'île même qu'ils devaient rencontrer le jour suivant.
(13) Mirage de la fée Morgane (Fata Morgana): réflexion sur l'eau de la ville de Messine toute proche. Mirage dûment mentionné dans le guide Michelin Italie à l'article Reggio. (Note du Traducteur).
(14) Teatr. Crit. tom. 4 disc. 10 pag. 258.
(15) Il paraitrait absurde de croire avec l'auteur de l'Histoire Générale des voyages que toute la confuse rumeur sur l'île de San-Borondon, Antillia ou sur les sept Cités, naquît au XVème s. quand commencèrent à se répandre les annonces et premières hypothèses sur l'existence de l'Amérique. Antonio Leme, habitant de Madère, rapporte : " ayant parcouru une route trop longue sur une caravelle en direction de l'Ouest, il crut distinguer trois terres qu'il ne connaissait pas". Un autre habitant de cette même île de Madère demanda à cette époque au roi du Portugal l'autorisation d'aller découvrir une certaine terre qu'il prétendait avoir vue tous les ans sous un même aspect et une semblable apparence. Et même s'il n'obtint pas satisfaction, il n'y a pas de doute que c'est à partir de l'époque de ce témoignage qu'on commença à représenter sur les cartes marines qui étaient alors dessinées, quelques îles nouvelles dans nos mers, particulièrement celle qui était nommée Antilla ou île de San-Borondon, qui, de l'avis général, était située à presque 200 lieues à l'ouest des Canaries. Les portugais prétendent que l'infant Don Henrique de Portugal avait tenté de s'informer sur les sept Cités et les sept Evéchés de l'île d'Antilla en envoyant une embarcation, que la tempête avait jetée sur les côtes de cette île ; la tempête ayant cessé, le bateau ne put jamais revenir. On raconte aussi que Vincente Diaz, pilote portugais, de retour de Guinée, pensa avoir observé vers l'ouest de l'île de Madère une terre verdoyante encore inconnue. Il communiqua ce secret à un négociant génois de ses amis. Tous deux ayant frété une embarcation, et munis d'une autorisation royale, pour la découvrir, naviguèrent pendant longtemps sur l'océan atlantique, sans découvrir de terre nouvelle. Ni Diaz ni son confident Lucas Cazañas n'eurent plus de succès dans leur entreprise. on assure que s'enlisèrent aussi dans le même type de projet Gaspard et Michel de Corterreal, fils du découvreur de la troisième île, . Le temps sacrifiait toutes ses tentatives à la fortune de Christophe Colomb.
(16) La puissance réfractive de l'air vers la surface de la terre est 320 000 000 fois plus forte que la gravitation courante. Mons Brook, Method. Increm.
(17) Le géant Mildum ou Milduo donna l'information - que rapporte Philiponio, (Nova Typ. transact. Navig.) - aux saints moines Brandan et Malo selon laquelle il avait découvert dans l'océan une île entourée de murailles d'or, transparentes comme le cristal et sans aucune entrée. Les religieux lui demandèrent de les guider vers elle et Milduo, pour satisfaire cette supplique, prit le bateau écossais par son amarre la plus solide, et se jetant à la mer, les guida sur une certaine distance jusqu'à ce qu'une tempête les obligeât à rebrousser chemin. La légende de l'ïle de San-Borondon n'a jamais été décrite sans tempête.
(18) Aucune personne de bon sens ne sera indifférente au fait que nous ayons passé sous silence les visites que prétend avoir effectuées sur l'île de San-Borondon une religieuse clarisse de la Grande Canarie. Il n'est pas nécessaire que cette sorte de transports imaginaires s'éffectue en direction de San-Borondon pour se trouver discréditée mais il faut véritablement admiere qu'il y ait encore des biographes assez crédules pour écrire de pareilles choses au siècle où nous sommes.
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