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Editions CARÂCARA |
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Première partie chapitre III
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Guy Vincent
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Chapitre III Les Genres
A. L'espace de criblage dit "3ème tiers"
B. Naissance des "Genres"
C. Conclusions
D. Annexe
CHAPITRE III
Les genres
"et tous les hommes de se réjouir aux imitations " - Aristote 1448 b.
Comme l'on sait où l'oeuvre naît et où elle rencontre le regard extérieur, il est bon de compléter cette installation par une connaissance des lieux qu'elle partage avec d'autres oeuvres. En l'appréciant, déjà l'on avait cette possibilité qu'elle faisait penser à un autre ouvrage mais nous n'avons pas tenu compte du contenu appréciatif, seulement des modes ouverts par l'acte de juger au sein du Littéraire.
Depuis l'Antiquité, le rapprochement d'uvres aboutit à des classifications utilisant selon leur finesse deux, trois, plus rarement quatre, critères : émotion provoquée, style, forme adoptée, sujet,... en vue de définir la part d'imitation qu'elle serve à se justifier ou de faire-valoir inventif. La critique contemporaine en reprenant la question a parfois été sévère face à ces tentatives peu sures et se contredisant dont elle n'a pas vu toujours les variations et les différences. On est loin d'avoir une belle unité sur les siècles mais il fallait au structuralisme ce rien d'audace qui sert à s'imposer en rejetant de vieilles habitudes. Pour obtenir un nouveau classement l'idée fut d'analyser les relations possibles entre les uvres comme autant de types d'énoncés.
Nous n'aurons d'autre audace, quant à nous, que de spatialiser (encore et toujours) cette question des genres littéraires, tant pour lui donner un substrat objectif fait de contraintes repérables que pour distinguer les phénomènes qui en surgissent. Les objets de l'analyse se constituent dans un processus où ils s'incrivent et se placent, et leur genèse formelle par suite de variables contrôlées sur un espace est une voie que nous osons tenter au risque de n'avoir ni répondant dans le passé ni dans la modernité. Les classifications sont infinies et certaines insensées mais ce qui les départit, c'est leur capacité à s'adapter à ce qui n'existe pas encore et à autoriser l'invention. Outre donc une bonne image des faits, il faut conserver la possibilité d'un processus se poursuivant, non comme un mécanisme (combinatoire d'éléments déjà créés) mais comme le lieu où des forces s'affrontent et enfantent grâce à des constantes morphogénétiques des phénomènes imprévisibles. Position que nous défendrons.
A. L'espace de criblage, dit "troisième tiers" :
Une fois célèbre, que devient l'oeuvre? Elle peut chercher
à maintenir ou à augmenter sa célébrité
; elle se voit concurrencée et utilisée.
Le descriptif est le suivant :
- certaines uvres conservent une célébrité quasi constante
;
- d'autres perdent de leur célébrité ;
- d'autres, après avoir été oubliées, sont re-célébrées
;
- d'autres partagent leur gloire et font naître des épigones
;
- d'autres sont remplacées par des rivales.
De toute évidence, dans ce foisonnement, aucune règle ne paraît
présider à ces variations de la célébrité.
Situation confuse qui ne permet que la description.
L'idée première serait d'envisager l'uvre au faîte de
la gloire, peu à peu "se ridant", sombrant vers un abîme
de néant, ou s'effaçant par étapes. Son énergie
se diluerait et à certaines endroits, il y aurait des dispositifs
retardant cette évolution, resserrant la dilution. Là, l'oeuvre
aurait répit, ou engendrerait de quoi lui survivre et être
modernisée. Mais tenir compte de l'écoulement temporel nuit
à une représentation abstraite et interdit de dégager
les constantes essentielles parce que s'introduit trop de contingence.
Posons donc que pour manifester cette célébrité, il faille considérer un espace sur lequel elle grandit et qu'elle tente d'occuper totalement. L'oeuvre se veut seule, unique, reconnue de tous, dans une sorte de paranoïa ou de passage à la limite. Extension maximale que rien ne contrarie. Ce sera l'espace interaxial entre l'Axe 3 et l'Axe 2 que nous nommons "espace de criblage". L'uvre n'y recherche plus une célébrité obtenue par l'accès à l'Axe 3 mais à maintenir cette célébrité, à la façon dont un organisme vivant tend à survivre.
L'Axe 2 qu'elle peut atteindre ne saurait lui imposer une résistance : il est face à l'uvre arrivant célèbre doublement "dénudé", neutralisé (d'abord en tant qu'Axe 2, dont l'Axe 1 a triomphé lors de la tension créatrice, ensuite, en tant qu'ayant offert son énergie à l'axe 3 de façon à l'activer comme cible - cf. supra). Quoique sa neutralisation soit relative (puisqu'elle annonce un renouveau de ses valeurs , enfouis et donc propres à éveiller la curiosité), il ne saurait, face à la célébrité, s'opposer, étant en relation de dépendance conceptuelle (alors que face à l'Axe 1, il est à nouveau en voie de pré-conflit).
La situation pour l'oeuvre est donc sur cet espace très différente des précédentes : autant l'uvre se créant était "tiraillée", autant l'uvre en quête de célébrité avait été déviée et distendue, autant, sur cet espace, elle est livrée pour l'heure à ses directions.
Le champ qu'elle traverse est donc l'inverse du précédent, selon une symétrie point par point observable.
Ce qui se resserrait, va s'épanouir ; ce qui avait explosé, va se rassembler ; ce qui se mouvait en cercles, plus ou moins fermés, va s'ouvrir, se spiraliser, se détendre comme un ressort. Les figures nées des distorsions vont s'inverser afin de réaliser cette libération qu'impose ce champ. La construction n'est en rien hasardeuse, elle correspond à une physique simple où après une tension, on observe un relâchement que la neutralisation d'un Axe illustre bien. Quant aux déviations subies lors du premier acte appréciatif, il faut ici les tenir pour négligeables, non qu'elles n'aient pu apporter à l'uvre un temps de gloire, mais parce qu'il est nécessaire pour plus de durée de les remplacer par un second temps d'appréciation plus effectif (quoique pas forcément plus juste) : même un roman populaire du type de Belphégor ou un film à grand public comme Batman, après accès rapide à l'Axe 3 et sur-évaluation, connaissent un réajustement qui en rétrécit la portée mais, comme il va être dit, leur assure au minimum comme "pérennité ", celle d'un succès historique à une époque.
Les figures que nous proposons vont d'abord sembler inutilisables parce que toute mesure quantitative de la célébrité est impossible alors qu'il s'agit par l'aire dessinée moins d'en mesurer la surface que d'appréhender un type de célébrité qui, inscrit sur cette représentation, se laisse saisir dans sa nature et ses spécificités. Car le problème posé est de savoir pourquoi telle uvre admet des suites et des imitations, et celle-là aucune, pourquoi l'une demeure comme "classique" et l'autre n'est plus qu'un vague souvenir. La forme de diffusion prise sur l'espace de criblage porte une réponse et donc peut alors éveiller l'esprit à certains faits de la célébrité littéraire qu'il ne savait comment relier ou retenir. Une grille conceptuelle se construit ici qui ne peut être condamnée pour son caractère abstrait tant elle fournit un bon "fit", i.e. une économie de moyens pour un maximum d'appréhension, dans un domaine où les distinctions sont incertaines, voire ignorées.
Rappelons que la critique littéraire a un triple aspect (nous ne soucions plus des bassins où le public intervient et où elle se constitue) qui affecte l'uvre dans cette période de distorsions, ce temps de suspens illustré par le passage en zone instable de la Fronce (et dont les paramètres sont la distribution plus ou moins égale du public dans l'espace et en intensité et l'influence décroissante de l'Axe 1). Elle traite l'uvre soit en considérant des éléments qu'elle sélectionne grâce à des cadres préexistants (style, modèles, genres...), soit en cherchant à spécifier l'uvre par des dates, un lieu, toute particularité d'ordre classificateur, soit en appliquant une interprétation extérieure qui trouve son répondant en l'uvre même. Nous leur avons donné les noms respectifs de "théorie générale", "projet empirique" et "schéma interprétatif", et avons émis l'idée que ces tendances étaient peu compatibles et que, même si le critique désirait être complet, la part d'innovation à laquelle il peut prétendre, restaurait cette division (cf. Apercus sur la critique littéraire - chapitre II - B). Utilisant ces données, et inversant l'aire, nous doublons la critique littéraire d'un versant où elle assure à l'uvre par son regard attentif un supplément d'existence.
Nous aurons ceci :
1er cas. (explosion : critique d'après une théorie générale)
soit formation d'une "poche" où la célébrité axe 3/célébrité se tient.
2ème cas (resserrement : critique selon un projet empirique)
soit la formation d'un cône d'évacuation où la célébrité se dilue
3ème cas (rotation : critique d'après un schéma interprétatif)
soit la formation de boucles de plus en plus lâches où la célébrité se dévoile.
Le Criblage est un espace idéal pour l'oeuvre célèbre ; il correspond à une surface lisse, à un premier niveau, car l'on peut se douter qu'il n'en sera pas toujours ainsi pour l'uvre. Son cours va se heurter à des phénomènes seconds. On voit déjà que l'oeuvre entre en ce champ d'une certaine façon, prédéterminée par la forme appréciative reçue. L'avancée de l'uvre provoque une occultation des phénomènes créatifs souterrains naissant de la tension entre ces deux Axes de façon profonde : à son niveau, l'Axe est sa célébrité envahissante et l'autre Axe est un fonds neutre où se reflète cette célébrité ; à un second niveau, les deux Axes ont conservé leur vertu de directions créatrices souvent conflictuelles. Il y aura donc surgissement ou tentatives de surgissements de nouvelles uvres, lesquelles seront affectées par la toute puissance de l'uvre célèbre.
Le champ du criblage sera donc soulevé, hérissé, de ces efforts.
Jusqu'à présent, nous avons considéré que
l'oeuvre était seule à parcourir le champ littéraire,
indifférente à l'éventuelle existence d'autres uvres
qui pourraient altérer son parcours. Ceci, afin d'amener à
jour l'essentiel. Maintenant, nous pouvons intégrer la présence
concurrentielle d'autres uvres parce que l'une d'elles (l'oeuvre célèbre)
est, par trop, un obstacle aux autres en raison de son dynamisme même.
De plus, il n'est pas constant qu'une uvre naisse toujours à un moment
où une telle célébrité s'impose ; il est des
époques où aucune uvre n'est à ce point célèbre
qu'elle soit "la référence"; il est des temps où
l'uvre naît de façon quasi-solitaire. Enfin, comme nous le
montrerons, l'existence d'une uvre célèbre ne modifie pas
les règles présidant à la tension et à la diffusion.
Cela les confirmerait même.
La coexistence de ces deux phénomènes (une célébrité envahissante, une créativité sous-jacente) amène à étudier plusieurs situations-types.
Inversion des aires :
D'abord, du côté de l'oeuvre célèbre (que nous désignerons par "Opus" pour la différencier des autres uvres), la diffusion de la célébrité a ce triple aspect que nous avons figuré, à quoi correspond une déperdition spécifique. Née à l'axe-médian, la signification a pris l'aspect d'un resserrement, d'une explosion, d'une rotation. En "se reflétant", la célébrité a une triple forme inversée (dont les aires seront ici indéterminées).
- 1er cas (en repères cartésiens) :
Le triangle A-B-C (réplique de D-A-B) forme une barrière à la dispersion de la célébrité ; mais, si ces "parois" s'affaiblissent (et l'on verra que cet affaiblissement est dû à la présence d'uvres rivales), l'énergie maintenue se perdra en dépassant l'axe x-y selon les 4 directions (1-2-3-4). Un vague souvenir se maintient entre 1 et 2 tant que l'axe x-y n'est pas passé. En dépassant cet axe, l'uvre peut très bien quitter le champ littéraire au profit de champs limitrophes.
Cela correspond assez bien à ces uvres très célèbres et qui le demeurent sous la forme de "classiques" à savoir une sorte de poche de célébrité (Le Cid de Corneille, par exemple). L'érosion des parois se fait au contact d'autres uvres et sous l'effet du temps. La critique littéraire de ce type d' Opus est fondée sur l'écartement existant entre deux valeurs prises sur l'Axe 3 : à cheval presque toujours sur la valeur 5 (celle où l'auteur prend conscience de la gratuité de l'acte d'écrire), s'ouvrant comme les deux branches d'un compas, l'aire accordée par la critique fait que l'Opus se trouve engagé dans une position d'autant plus inconciliable que l'ouverture est grande. Ainsi comment concilier pour un Opus le respect qu'il manifeste pour une mode - valeur 2 - et l'usage d'une référence culturelle à titre justificatif - valeur 7 - où d'un côté, l'Opus s'évanouit dans un ensemble et de l'autre, sert à justifier un état de choses ? On dira que les idées exprimées pour justifier étaient à la mode ou bien n'ont pas été vues ou bien sont un défi à la mode, etc. Cela faisant, on remarquera que l'aire de la critique en Criblage se referme d'ailleurs comme pour exprimer ces tentatives de fusion. La nature, enfin, de la critique ressort d'une théorie générale, c'est-à-dire que les éléments de l'uvre sont inclus dans des cadres généraux déjà là (style, genre, ...) qui forment les parois de cette poche. Mais un mouvement nouveau se fait jour de rassemblement des données éparpillées qui ont servi à l'obtention d'une célébrité ; il y a autour de l'Opus agrégation telle que les données deviennent des paradigmes dans les différents cadres de la bonne norme pour les exemplifier, effaçant ceux qui servaient avant et ont servi à apprécier l'oeuvre en quête de célébrité. Cela est facilement observable.
- 2ème cas
Du triangle ABC, on peut établir que très vite l'énergie pour moitié sort du champ littéraire (axe x-y). Vers le haut (B) s'évacue l'autre moitié. C'est le long de cette direction, que l'uvre demeure présente, comme une influence, une référence diluée à la façon dont le nom d'un écrivain ou d'une uvre demeure en mémoire, à l'horizon d'une mémorisation culturelle. De G. Ockham, on garde son "rasoir", de Buridan, son âne, mais de leurs uvres, qui en donnerait les titres ? Toute classification aboutit à ce que trop bien rangé sur son étagère, le livre n'en sort plus jamais et qu'il ne reste de lui que son titre en lettres d'or sur la tranche. C'est une forme de célébrité répandue et que l'on peut aisément repérer.
- 3ème cas
Le mouvement de rotation se détend et l'on observe que la diffusion se fait par englobements d'aire successifs de plus en plus grands, déterminant une éventuelle attraction (un vortex) que nous interprétons comme le lieu des imitations de l'Opus. C'est sur ces boucles que d'autres uvres vont pouvoir se placer, parce que l'Opus est souvent développé, agrandi. La figure explique ces augmentations. Cette figure est la plus riche en phénomènes potentiels parce que la critique voit ses efforts interprétatifs se distendre et la chaîne de sens qu'elle a constituée se défaire, et en même temps le mouvement qu'elle a donné à l'uvre reste attractif, si bien que la figure se complexifie très vite.
Quand une uvre bénéficie d'un schéma interprétatif né dans une autre discipline, comme la psychanalyse a pu l'être ou comme tel ou tel système philosophique ou scientifique, la cohérence trouvée est rapportée à une idéalité extérieure qui l'englobe et la propulse vers une réceptivité non exclusive : d'autres systèmes en concurrence vont s'y intéresser et empêcher que son mouvement soit linéaire ; il sera alors nécessaire au premier schéma interprétatif de reprendre la question avec de nouveaux arguments, et ainsi de suite. L'effet figuratif le plus simple est donc bien celui d'une rotation, d'un mouvement qui est barré, repris et récupéré, puis à nouveau barré. Il n'est pas difficile de voir quelles uvres ont ce type de critique à partir du moment où l'on considère l'interprétation (ce terme est ici employé sans la moindre intention péjorative : la suite le montrera) comme extérieure au champ littéraire mais issue d'un domaine limitrophe. Toutes les uvres sont loin d'avoir à subir ce "malaxage"; certaines n'ont reçu qu'une interprétation qui engendre peu la contestation alors que nous avons besoin pour cette rotation d'au moins deux schémas se contestant. On prendra comme exemple l'uvre de Flaubert marxisée, psychanalysée, structuralisée, sémiotisée, existentialisée, pour comprendre ce que nous voulons dire.
Toutefois, tout cela va se dissoudre dans l'espace du criblage puisque les boucles s'allongent, ce qui traduit ce phénomène que les enchaînements perçus de différente manière se distendent et se fondent même entre eux : les lieux de contradiction s'affaiblissent, faire le tour de l'Opus semble impossible (" incontournable "a été un mot à la mode qui traduit bien cela), l'Opus semble avoir tout dit, le mouvement y est plus lent, moins passionné. Alors il reste à l'imiter par conviction ou par nécessité, à se loger dans ses boucles, ce qui ne donnerait pas grand chose si les boucles en s'allongeant ne se fragilisaient : cette fragilisation sera cause de l'origine d'autres uvres revendiquant certes leur appartenance à l'Opus mais pour le remplacer, comme nous allons le voir. Sans cette fragilisation qui ressemble à celle que subit une armée trop conquérante dont l'extension territoriale devient source de faiblesses, l'Opus, quoique bénéficiant d'une critique interprétative, n'aura pas de "suites". Ses boucles seront encore trop resserrées (quant à mesurer l'extension des boucles, cela sera possible grâce au schéma actantiel : cf. infra).
Ces trois types de célébrité sont essentielles pour
répondre à la question de la différence de statut d'uvres
célèbres :
- les unes sont respectées, quasi sacralisées ;
- les autres sont une référence de plus en plus érudite
;
- les autres engendrent d'autres uvres à la façon de suites.
Il est facile de voir que le Cid interdit toute suite (si ce n'est quelque menue parodie) alors qu'avant Corneille, cette histoire avait subi maints détours mais que Robinson Crusoë est à l'origine de variations nombreuses; pourtant ces deux uvres ont un commun aspect mythique de héros exceptionnel vivant l'impossible, si bien que donner comme explication le fait qu'elles ont deux types différents de célébrité équivaut à remplacer le contenu des uvres peu fiable pour expliquer, par la forme spatiale sous- jacente bien plus prometteuse. La possibilité d'un changement de célébrité où l'on passerait d'un type à l'autre, n'est pas fermée. Elle existe lorsque l'uvre revient en son lieu de naissance et se voit remise dans le mouvement par un nouveau courant artistique et peut donc être réévaluée alors. Mais d'abord il convient d'introduire les uvres sur ces aires de célébrité pour comprendre ce qui s'y pratique afin d'éclairer ce problème des "influences" de l'Opus .
N.B : Dans chacune de ces figures, la déperdition de la célébrité est volontairement exagérée. En fait, les triangles et spirales sont plus orientés vers l'autre axe puisque l'énergie a été dite circulaire.
Opus / oeuvres : un conflit :
Le champ du troisième tiers est marqué par la coprésence d'autres uvres qui sont seulement admises maintenant parce qu'auparavant, tant dans la période de création que de diffusion, il fallait dégager des tracés simples auxquels nous pouvons ajouter peu à peu de nouvelles contraintes. Or, il est évident qu'entre elles de sourdes ou claires rivalités sont qui, d'un côté affectent la célébrité de l'Opus, et de l'autre vont jouer sur l'apparition d'autres oeuvres en les obligeant à trouver une place. Ce sont moins les relations entre uvres ou entre elles et Opus qui portent un intérêt que leur commune transformation, la morphogenèse qui se montre à ce moment.
Ainsi, du côté des oeuvres latentes ou apparues qu'il faut considérer comme "embarrassées" par les zones de célébrité occupées par l'Opus avec lesquelles elles doivent donc composer, il faut distinguer deux sens opposés et les inscrire dans les trois types d'aire que nous venons d'exposer :
- l'oeuvre a le même sens que l'Opus ;
- l'oeuvre a sens opposé.
Si l'oeuvre est latente, en cours de constitution, elle naît entre
les deux Axes (3 et 2 - espace de criblage) où se diffuse l'Opus.
Si l'oeuvre est née en deçà de ces deux Axes c'est
qu'elle cherche alors à être célébrée.
On étudiera donc les cas où ces uvres sont à proximité des zones de la célébrité propre au criblage, ou les rencontrent et les pénètrent. Apparaissent alors différents phénomènes complexes qui affectent l'Opus et dont trop souvent on n'a qu'un descriptif sans valeur générale.
Soient à nouveau les schémas suivants auxquels on intègre
les deux directions d'oeuvres en cours ou en désir de public :
- 1er cas (explosion et formation d'une poche ; exemple d'une uvre devenue "classique").
A
---> : l'oeuvre née dans la "poche" de l'Opus avorte ou augmente la célébrité de l'Opus (en grandissant son cône)
B
---> : l'oeuvre née avant a trop d'énergie pour ne pas traverser le paroi (l'Opus sera affaibli par de multiples traversées). Eventuelle déviation vers l'extérieur .
C
---> : l'oeuvre est propulsée vers une des zones de la créativité ; cela l'oriente vers un des bassins créatifs qui se départagent l'espace interaxial et lui font choisir un Axe de préférence à l'autre. (Le choix créatif est moins pur que ce que nous voyions au chapitre 1).
D
---> : l'oeuvre, à l'axe médian, se heurte à des significations existantes ; commencent son resserrement, son explosion, sa rotation.
A et B servent en un sens la célébrité de l'Opus, comme"place forte" ou lieu "incontournable". C et D heurtent l'Opus, "se frottent à sa gloire", en subissent l'attrait ou l'omniprésence égoïste ; tout leur effort est de se situer à son ombre, malgré son ombre, pour faire éclater leurs qualités selon une stratégie simple d'appui ou de faire-valoir mais il faut bien saisir que ces oeuvres sont des entités à part qui se teintent de l'Opus sans s'inscrire dans la perspective de la continuer. La figure montre bien qu'ils se côtoient.
- 2ème cas : (resserrement et formation d'un cône d'évacuation; exemple : l'âne de Buridan)
Quel que soit le sens de l'oeuvre, à l'endroit où elle rencontre l'Opus, cela aura pour effet de diviser le flux de l'Opus en autant de cours qu'il y aura de points de rencontre. Son extension est ramifiée à l'infini, selon que son influence se répand (image de diffusion des idées par un arbre). Cela représente aussi "l'esprit du temps", une mode intellectuelle, etc. qu'illustrerait le treillis très simple suivant.
Quant aux uvres, elles poursuivent leur chemin selon les mécanismes dits précédemment (arrivée dans un bassin créatif ; diffusion par déviation ou distorsion). En fait, la présence de l'Opus doit être vue comme cet"impondérable" qui précipite l'uvre vers un de ces chemins ou sillons de réceptivité sus-dits ; cela accroît l'instabilité du système et incline à plus de décisions hâtées, mais cela ne modifie pas les règles du champ.
- Pour l'Opus, la représentation peut être telle :
Ex : Qui se souvient que l'expression "clair-obscur" inventée par V. Hugo, lorsqu'il la retrouve sous la plume d'un autre? Ramification insensée qu'aucun moyen ne permet de suivre mais qui existe souterrainement, et que l'on peut poser pour certains Opus ("opera ", devrions-nous dire, s'il n'y avait ambiguïté) à la façon dont un texte sacré comme la Bible s'est inscrit parfois dans les usages culturels les plus insoupçonnés.
- 3ème cas (rotation et formation de boucles de plus en plus lâches ; lieu des imitations)
A ---> est entraîné par la rotation déployée de l'Opus et tourne alors, mais le plus intéressant est lorsque B arrête la rotation, l'immobilise et impose à la boucle de s'allonger et d'être épointée, ce qu'elle fait pour être déjà très allongée.
Soit ceci :
B ---> fait barrage ; la boucle s'affine et se fragilise.
Cela s'interprète comme suit : une partie de l'Opus se détache de l'Opus ; il y a naissance d'une uvre ; c'est le résultat de l'uvre B à laquelle s'intègre plus ou moins un aspect de l'Opus. Souvent même B est à peine constituée et change de direction, allant alors dans le sens de l'Opus ou même comme pour A s'enroule selon sa spirale ; de sa rencontre, elle obtiendra énergie, forme, tenue, etc. en tant que cela matérialise son attraction vers un Axe et qu'elle bénéficie d'un élan. Il ne s'agit plus, comme dans les deux premiers cas, de traverser un espace mais d'interrompre un processus, de provoquer une discontinuité là où l'on avait un affaiblissement d'une poche, un reflux ou une ramification, une immobilisation ou un rejet (l'ombre de l'Opus stérilise tout), qui, tous, s'interprètent comme des phénomènes réguliers.
Là, une brisure a lieu qui ne retient de l'Opus qu'un "morceau" et l'on se trouve plongé dans la triple possibilité d'une uvre soit se glissant à la place du morceau détaché (apocryphes et interpolations en sont la version ancienne ; est-ce une pratique disparue?), soit modifiant sa direction pour mieux intégrer cette nouvelle donnée (préférence pour l'Axe d'abord dévalué ; l'esprit de l'uvre change), soit gardant sa direction opposée à l'Opus.
Seule la spatialisation permet de découvrir les possibilités offertes et contraintes par l'espace même. Une analyse plus détaillée est alors nécessaire pour comprendre ce qu'apporte cette nouvelle phénoménologie. Mais c'est ce troisième cas qu'il nous faut étudier car c'est dans cette situation qu'il y a naissance d'uvres imitées de l'Opus (soit une partie importante du champ littéraire). Et l'on obtient ce résultat limitatif :
Seule une uvre ayant reçu une signification basée sur la rotation sera donc à même d'engendrer d'autres oeuvres. Les autres significations ne le sauraient.
Dislocation du schéma actantiel :
Si l'on peut faire appel ici à une constitution interne de l'Opus, ce que nous avons laissé de côté pour l'apprécier comme une énergie, c'est pour être dans l'espace de criblage qui sert à révéler non le goût pour la célébrité de l'uvre ni ses tensions créatrices mais sa répartition d'"intérêts", ses mises en valeur et ses préférences. Notre investigation intègre alors cette donnée contemporaine, l'existence dans tout récit de structures narratives profondes (carré sémiotique, schéma actantiel), mises en évidence à partir des travaux de V. Propp. Ces structures seraient inscrites dans notre innéité imaginaire. Evoquons le schéma très connu de A. J. Greimas :
destinateur --> objet --> destinataire
Adjuvant --> Sujet <-- opposant
(Sémantique structurale, Paris, 1966 et 1986, p.180).
Voir les exemples donnés par A. Greimas. L'on y reconnaît aisément le schéma des contes où un objet (épée, princesse) a besoin d'être remis par un roi malade ou moribond (destinateur) à un destinataire choisi (souvent le héros) ; celui qui se charge de cette tâche (le sujet) s'identifie au destinataire, dans bien des cas ; il rencontrera des aides (adjuvants) et des épreuves (opposants). Ces six "actants " ritualisent tout acte de narrer et ce, partout et depuis toujours.
Le schéma actantiel est habillé de mille et une façons, selon un processus de conversion qui opère ce passage du niveau enfoui au niveau descriptif, par association de figures et investissement sémantique (thèmes privilégiés, champs lexicaux, mode d'énonciations,...). Les critiques ont surtout porté sur l'handicap du schéma à rendre compte des différences entre les uvres réduites à cette "machine" actantielle alors que tout le "charme" d'une uvre réside bien dans cet habillage que l'on ne peut ainsi évaluer tant le processus de conversion ne saisit que des généralités plutôt scolaires. Mais, pour sauvegarder ce schéma actantiel comme instrument utile à suivre une différenciation, il suffit de le poser comme une idéalité de stabilité et de définir ses actants comme des unités de mesure que chacun développe selon son humeur, accroissant le rôle de l'adjuvant ou du destinataire, réduisant ici, augmentant là, et ainsi de suite. Il ne s'agira plus d'en faire la norme mais un canon, et de lui faire subir cet avatar, même si, encore, de telles déformations supportées par les actants ne sont point théorisées. L'intérêt des commentateurs s'est surtout porté sur la nature des relations entre ces actants, sans supposer que cette structure profonde pouvait subir le contrecoup de l'habillage (effet rétroactif). A titre d'hypothèse, nous agirons comme en présence d'un tout déformable.
L'origine de ce schéma s'apparente à une réduction des nombreuses fonctions repérées dans les contes russes par V. Propp ; les actants sont des agrégats de ces potentialités intervenant dans une suite d'événements, suite qui disparaît sous cette forme actantielle, sans que l'on puisse dire dans un cas comme dans l'autre pourquoi telle fonction se déploie dans ce conte plus qu'ailleurs ou pourquoi cet actant reçoit un habillage plus développé, si ce n'est en avançant le fait que plus de désir s'y est investi. Car le gain logique d'A. Greimas, indifférent à la linéarité de l'aventure racontée ou à ses entrelacements, se paye bien (critique souvent faite) d'une impuissance à différencier les types de récit, si ce n'est comme modes d'énonciation, comme si tout se résumait à une façon de dire et non, au moins à titre d'hypothèse, à une structuration aussi basique que celle du schéma.
Le seul, à notre sens, qui se soit vraiment posé la question de l'origine du schéma actantiel, en dehors d'une réduction logique des fonctions proppiennes, est le philosophe J. Petitot-Cocordat (Morphogenèse du Sens, Paris, 1985, tome I - p. 233-238) qui voit dans la formation des actants le résultat des catastrophes thomiennes : dès qu'un désir s'est investi dans un "objet" dit de valeur, une répartition des rôles ou des places possibles se fait qui, par exemple, à l'égal du chat découvrant une souris et de fait, s'établissant alors dans son rôle de chasseur, aboutit par complexification progressive, à ces six actants. Les relations entre les actants auraient, outre une validité logique, un répondant dans des phénomènes physiques spatialisés par les catastrophes. Et c'est bien par ce biais d'introduire un devenir que l'on peut rendre le schéma actantiel plus apte à générer la multiplicité qu'il résume trop bien sans accès au mouvement inverse d'une diversification.
Notre idée est alors de le plonger dans l'espace du criblage comme lieu de contraintes spécifiques pour en révéler moins la nature que le rôle et la mise en place. Nous ne le traitons plus comme une donnée mais comme une stabilité idéale vers laquelle l'Opus penche, comme un procès d'égalisation et de juste répartition que seul le champ du criblage peut procurer. Les six actants n'existent que comme cadres appréciatifs commodes et pérennisant. Pour asseoir notre propos, il faudra montrer que le schéma sert peut-être à structurer l'uvre mais qu'il est surtout un mode appréciatif propre aux uvres célébrées et enclenchées sur l'espace de criblage, une dernière déformation stabilisante après déviations et distorsions de nature instable, un aboutissement attractif. Outre son caractère symétrique qui ne peut renvoyer qu'à des vertus de stabilité, le schéma actantiel ne trouvera son plein effet que si les actants sont égaux, ont le même poids, ce qui suppose de notre part de dire comment évaluer cette égalité avant de pouvoir même la vérifier.
La résolution de ces points d'interrogation peut être rapide
:
- le schéma actantiel n'est nullement suggéré par notre
modèle ; il faut postuler son existence comme donnée intégrante
d'une uvre ;
- nous poserons logiquement que sa "présence" se manifeste
différemment sur l'espace de diffusion et sur l'espace de criblage
(leurs lois diffèrent) selon une phénoménologie particulière
(semblable à celle déjà effectuée) ;
- nous avons vu qu'une oeuvre sur l'espace de diffusion était appréciée
non comme un tout mais comme un enjeu pour différentes positions
; on se doutera que le schéma subit ces restrictions et que certains
de ses actants seuls sont évalués, comme dans un film, l'interprétation
d'un acteur donne parfois la célébrité et polarise
notre attention.
- sur l'espace de criblage, l'oeuvre est souveraine et n'a plus à
subir ces restrictions si bien que le schéma peut prendre sa place
en entier avec pour corollaire que si certains de ses actants sont atrophiés
(car rien ne prouve que le schéma au sein de l'uvre soit égalitaire),
il y a suffisamment de place pour que chacun d'eux se manifeste. C'est pourquoi,
dans cette optique déterminée par le modèle, le
schéma actantiel n'est plus qu'une déformation appréciative
nouvelle affectant l'Opus en lui donnant un déploiement d'actants
qu'il n'a pas forcément et qu'il faut lui ajouter (comme dans
ce film déjà posé, la célébrité
retentit sur tous les acteurs et les met en lumière). Il n'est pas
improbable que l'Opus bénéficie de cette répartition
laudative puisque, comme pour une sacralisation, le public (rappelons qu'il
s'agit du public du 3ème bassin porté à révérer
l'acquis tangible d'une uvre) tend à tout "aimer" : de
fait, se consolide une stabilité difficilement acquise ; or le schéma
se présente comme une structuration profonde, universelle, symétrisée
; il prend sa source dans les contes et légendes, formes immémoriales
et dont on peut penser que la forme perdure justement pour avoir réalisé
cette égale distribution des actants tant au niveau du rôle
à chacun imparti (il se dédouble en deux aspects complémentaires
le plus souvent) que de leur nature d'êtres vivants ou d'entités
abstraites ( elle déploie la même complexité decriptive)
; on peut donc dire de l'Opus qu'il "se légendifie", et
tend à devenir à la longue un conte (Les Misérables
sont un excellent exemple de ce processus, vu le rôle quasi mythique
que ce roman joue dans la conscience nationale ; c'est loin d'être
le seul exemple 22).
- cette perspective de déploiement d'actants atrophiés ou malmenés a l'avantage de permettre des adjonctions réelles ou figurées ; il suffit de plonger le schéma dans les trois types de célébrité relevés sur l'espace de criblage et de voir comment la répartition des actants se fait.
- dans les deux premiers cas (poche et cône) la répartition ne peut être qu'anarchique, selon les humeurs du temps ; l'aire est ouverte à une dissémination limitée soit par une paroi soit par une distance (les actants s'éloignent les uns des autres) ; quant aux uvres traversant ces aires, on comprend mieux qu'elles ne retiennent qu'une coloration de l'Opus, quasi circulant entre ces unités éparses. L'Opus se réalise par une analyse détaillée, à savoir que métaphorisé comme un corps, il bénéficie d'une "dissection". C'est le propre d'une théorie générale critique ou d'un projet empirique.
- dans le troisième cas, la boucle qui la caractérise contraint les actants à être enchaînés et donc à se déployer les uns par rapport aux autres. Leur cohérence est marquée, surévaluée. Mais il s'agit peu de leurs relations, il faut penser à une suite ou une série. D'autre part, la boucle n'est pas unique et l'on peut la répéter en l'amplifiant : une fois à l'axe submédian, une deuxième fois à l'axe médian, et une dernière fois au second axe submédian ; cela correspond au déplacement de l'Opus que l'on peut mesurer par le passage d'une génération à l'autre. Cela aboutit à des places d'actants dédoublées, étirées. Ces deux aspects (enchaînement, dédoublement) sont interprétables ainsi : le respect pour l'issue d'une histoire n'empêche pas de varier le regard et d'insister sur le rôle d'un personnage, de développer telle scène, etc. ; une nouvelle procrastination se met en place et dans la plupart des cas, les personnages connaissent une seconde aventure à l'intérieur de la première ou bien on privilégie en eux une dualité qui rend leur destin fait de "compossibilités" enchanteresses pour l'esprit.
Le fait, maintenant, d'imposer au schéma actantiel une plongée dans cet espace particulier va servir à expliquer la naissance d'autres uvres qui avouent une filiation avec l'Opus, comme le font des "suites" ou des réécritures.
En effet, qu'arrive-t-il à ce schéma lorsqu'il est pris dans l'allongement des boucles ? Si la rotation vient à s'allonger à l'excès, à devenir cette boucle lâche entrevue, nous pouvons estimer que la nervuration profonde apparaîtra, à la manière d'articulations sur un squelette.
Ce ne seront certes pas les structures mêmes qui se montreront mais des séquences qu'elles nervurent, des aspects simplifiés où l'aspect "destinataire" ou "objet" l'emporte, par exemple, sur les autres aspects.
Ces séquences narratives sont à mi-chemin entre l'habillage discursif (détaillé) et la structure profonde ; ce serait comme un résumé simplifié de l'Opus, avec ses articulations principales. Ces séquences fonctionnent comme des potentiels puisqu'elles captent l'attention du créateur et l'invitent à "s'y installer", en rivalisant entre elles .
Exemple : de l'aventure de Perceval, jeune homme maladroit se devant d'apprendre les bonnes manières, les continuateurs ont détaché l'épisode du Graal pour en faire l'"objet" essentiel de la quête, là où Chrestien de Troyes ne s'en servait que pour montrer un peu plus sa maladresse et son manque d'éducation religieuse. Pour les continuateurs, il y a donc surestimation de cet épisode : on double le but de Perceval de cet autre but, on le détache de son enchaînement contextuel, et l'on peut écrire une suite après avoir créé la liberté nécessaire. Le choix de l'actant "objet" n'est pas sans influer sur le style d'uvres pouvant naître : comme on le verra, il s'agit d'une forme romanesque plus marquée alors que chez Chrestien de Troyes plus de poésie existait. Cela laisse-t-il supposer que cette uvre avait obtenu une célébrité par rotation (interprétations) suffisante déjà ?
Posons ces séquences le long d'une boucle, en nombre égal au schéma actantiel :
L'énergie latente d'une uvre naissante ressentant l'Opus comme insurpassable, se heurte à cette boucle, et va pour ainsi dire "se greffer" à ce qu'elle présente, aux séquences les plus évidentes.
Ce faisant, la boucle s'élève d'autant, déployant ses séquences sur place jusqu'à un point d'affinement tel que la pointe fragilisée se casse et que cette séquence ou partie d'énergie de l'Opus tombe vers l'oeuvre.
Or ce phénomène est identique à celui dont se sert R. Thom pour explique la duplication d'un cycle d'hystéresis (Esquisse d'une sémiophysique, InterEditions, 1988, p.67), si précieux pour comprendre la division d'une cellule ou la formation des organes. Il s'agit d'une analogie avec le moulin à eau.
(dispositif pour utiliser la chute d'eau)
(L'eau retenue par un barrage rencontre dans sa chute un dispositif récupérant son énergie et la doublant).
Le cycle d'hystérésis est conçu, comme son nom l'indique, comme le retard que prend un système à quitter un lieu même instable vers un lieu stable ; il lui faut franchir une barrière d'énergie, grâce à un surcroît d'énergie.
En effet, nous avons un système (celui de la célébrité) bloqué par l'énergie d'une oeuvre, qui finalement s'écroule en cette uvre (dispositif d'arrêt et de récupération) lorsque l'articulation d'une séquence à une autre séquence vient à se rompre par suite d'une excessive torsion.
L'analogie avec ce mécanisme est capitale, vu qu'il peut servir de base explicative à des phénomènes biologiques tant de duplication que de différenciation, ce qui convient bien à notre propos de définir comment à partir de l'Opus, il y a tant d'uvres annexes et indépendantes, nées en fonction de l'Opus. Grâce à ce mécanisme, on voit apparaître deux unités dynamiques se faisant face (celle de la retenue, celle de la pale), tandis que l'énergie de la pale peut très bien servir à autre chose, et donc peu à peu s'éloigne de son modèle. D'autres contraintes le déterminent alors : l'uvre se différencie de l'Opus, progressivement.
Nous héritons donc d'une situation où une séquence
(23) de l'Opus se détache et rejoint la narrativité
potentielle de l'uvre.
Cela se doit entendre symboliquement : l'Opus reste bien complet, mais pour
que créativité il y ait et se continue, il faut qu'un démembrement
se fasse, altère l'Opus au profit de l'uvre naissante.
Pour cette dernière, cela correspond à la période de
tension où un axe l'emporte sur un autre (dissociation "forme-substance";
zones stables et instables ; on voit ici que le choix d'un axe dépend
de la présence d'un Opus qui agit comme un attracteur plus ou moins
admis).
En effet, une fois le héros marié dans un conte, toute narrativité
s'arrête ; l'histoire est close. C'est en le rendant "absent"
(par mort, oubli, remplacement, vieillesse...) qu'un second souffle de narrativité
a lieu. On pourra raconter comment il sera vengé, s'il reviendra,
les aventures de son fils, etc.
La loi est la suivante : c'est l'oeuvre évidée qui permet une invention continuée.
Exemple : Ulysse est absent d'Ithaque ; Télémaque peut exister ; une certaine symétrie ne manque pas entre "Odyssée" et"Télémachie" : ainsi, si Ulysse consulte les Morts, et se raconte au roi des Phéaciens, Télémaque consulte Nestor offrant un sacrifice et écoute le récit de Ménélas ; ils reviendront quasiment ensemble, faisant fusionner leur rôle.
D'un point de vue métaphysique, le "deus absconditus"
doit s'interpréter comme l'invite d'une histoire humaine.
Maintenant nous pouvons expliquer comment se produit cette éviction.
Elle ne porte pas toujours sur le héros-destinataire, mais aussi
sur l'objet, le destinateur, l'adjuvant et l'opposant, considérés
moins comme fonctions que comme séquences, comme nous l'avons dit.
B. Naissance des "Genres" (intergenres - hypergenres):
Un autre phénomène littéraire s'explique, celui
des genres (théâtre, roman, poésie, ou genre dramatique,
narratif et lyrique) dont nous n'avons jusque là rien pu dire, puisqu'il
faut au moins deux oeuvres partageant un certain domaine en commun pour
que l'on puisse parler de genre. En deçà, c'est impensable.
Comme nous avons "duplication", nous aurons "genres",
mais au sens d'abord très étroit d'un Opus et d'uvres liées
à l'Opus. Première étape dans la constitution du concept
de "genre".
Concevons d'abord ceci que la longueur maximale de la boucle soit 10 ou
12 : cette boucle est faite de 6 ou 5 séquences (selon que le sujet
s'identifie au destinataire comme il est fréquent) ; et l'Opus ayant
su développer de manière égalitaire chaque séquence,
on dira que l'on obtient pour chacune d'elle 2.
Si l'on établit qu'une séquence réduite à sa valeur minimale vaut encore 1, on obtient l'élasticité maximale d'une séquence. Soit :
12 - 5 = 7 ou 10 - 5 = 5
Or, que fait loe'uvre annexe si ce n'est souvent "allonger" telle ou telle séquence de l'Opus? De plus, si des genres existent, ne serait-ce pas en fonction de l'importance qui est accordée à telle ou telle séquence narrative? Et à la réduction faite sur d'autres? Cela s'accompagne inévitablement d'une redistribution des rôles faisant qu'un personnage quitte un potentiel (celui d'une séquence) pour sauter dans un autre, à moins de disparaître).
(Ulysse dans l'épopée, n'est pas le même que dans la tragédie où son rôle est réduit, peu sympathique - parce qu'il quitte un potentiel pour un autre-).
Notre hypothèse est la suivante : la naissance d'un genre est liée à quelques récits de base et pris comme bases, sur lesquels ont été opérées une ablation et une réorganisation interne. Certes on voit mal, par exemple, qu'un roman actuel soit en rapport avec un Opus archétypal, si bien que notre hypothèse n'a aucune évidence pour elle. Mais si l'on pose le problème de l'origine, force nous est de dégager ce lieu où une dynamique a produit un double "imparfait", puis autonome et sans attache avouée.
Deux situations-limites surgissent : dans l'une, aucune uvre n'entretient de rapport avec une quelconque uvre ; dans l'autre, on ne peut que reproduire toujours la même uvre. Or nous savons que l'Opus se démembre, non pas n'importe comment, mais selon quelques articulations inscrites dans le schéma actantiel, au nombre de 6 , si bien que nous pouvons avancer que là, se situe autant de possibilités de directions nouvelles. Cela crée une première subdivision principielle.
Le "genre" n'est qu'un ensemble de traits orientés vers une de ces six directions qui a été privilégiée.
Le démembrement d'une chaîne narrative s'accompagne d'une
altération du :
- destinataire : accord de l'oeuvre à une autre préoccupation
;
- sujet : modification du héros ;
- objet : substitution d'un thème ; d'un motif ;
- destinateur : altération des valeurs initiales ;
- adjuvant et opposant : rôles intervertis.
Toute altération se fait au détriment des autres ; plus
l'augmentation d'une séquence est grande , plus les autres séquences
sont réduites.
Une fois l'augmentation créée, une forme apparaît dont
l'autonomie est plus que probable. Cette altération inclut le "saut"
d'un personnage d'un actant à l'autre, - de quoi expliquer les changements
de nature ou de caractère subis par un personnage (comme ce que nous
disions d'Ulysse dans la Tragédie) - .
Il faut partir d'une séquentialité parfaite, égalitaire dont on verrait la trace dans la littérature orale qui a ce triple aspect (mythe, chant épique, conte) très proche de l'origine de nos 3 Axes (M, V, E). Les ressemblances entre ces formes semblent indiquer une narrativité plus en évidence car mieux répartie. Chaque séquence y aura quasi la valeur 2, par définition. Si cette séquentialité est réduite (valeur 1), nous aurons les fonctions narratives profondes qui sont à peine revêtues d'un habillage discursif (résumé exsangue, schéma, transcription, démarquage, principes et conventions). Il s'agit aussi d'une "mimêsis" inférieure au modèle, faite de réécritures partielles ou paraphrasantes (l'uvre ou épitomé n'a pas su être le dispositif fractionnant l'Opus).
Il s'ensuit :
- la séquence est augmentée au détriment proportionnel des autres (on peut ainsi s'amuser à combiner toutes les augmentations et réductions possibles : cela donne une idée de la multiplicité des genres, sous-genres et catégories expérimentées, d'autant que l'on peut associer les séquences par paires, triplets...) mais cette voie est hypothétique (difficulté à mesurer les variations de séquences ; on utilisera ce qui suit).
- chaque séquence aboutit à un hypergenre, un absolu générique, une essence regroupant différents aspects ayant une fonction semblable. Aucune uvre ne l'illustrera pleinement car l'uvre sera toujours un mixte entre plusieurs séquences mêmes affaiblies et une privilégiée. Mais cela suffit déjà pour donner des directions essentielles (on ajoutera plus tard les positions possibles de l'uvre par rapport à l'Opus).
Les 6 hypergenres comme transfinis :
La tradition gréco-latine nous renvoie à trois genres :
narratif, lyrique et dramatique.
La période romantique s'est demandée lequel de ces genres
était l'ancêtre de l'autre.
La période contemporaine est incertaine quant à leur existence
et nourrit l'idée soit que tout s'interpénètre, soit
qu'un genre est
momentané et correspond à un public.
En ce qui nous concerne, nous devons donc supposer des types d'expressivité
s'originant dans le développement d'une séquence, soit 6 types
ou hypergenres qui sont moins en rapport avec des structures de l'esprit
humain (puisque tous les peuples n'ont pas utilisé identiquement
les hypergenres) qu'avec des opérations pratiquées plus ou
moins couramment au sein d'une culture. C'est donc à un regroupement
particulier, résultat d'une spéculation plus que de l'analyse
des faits, que nous nous heurtons et qu'il nous faut contrôler par
un descriptif des catégories permises.
a) La séquence du "destinataire", si elle est développée
à son extrême, mène à une expressivité
cultuelle, rituelle, orante (narration inexistante; évocation laudative
du destinataire symbole d'un absolu ; éloges d'une présence
et/ou complaintes dues à son absence...).
Cet hypergenre draine toute poésie lyrique, hymnique, descriptive
et élégiaque, mais aussi toute formule sacrée (charme
et cantique), toute prière, toute liturgie ou eulogie métaphysique
et spéculative.
Un classement est possible : moins la séquence est développée,
plus les autres séquences existent, et donc plus il y a de narrativité24
: on part d'une forme descriptive - pastorale ou idyllique, etc., on accède
à une forme lyrique - odes et éloges, etc., et on aboutit
à une forme élégiaque et sacrée - expression
d'un sentiment -)
L'importance accordée au "son"(musicalité interne
et instrumentale) s'explique par le caractère "abstrait"
du "son" convenant bien à l'évocation de tout destinataire
(lointain par essence).
b) Avec les séquences "sujet" et "objet",
s'ouvrent respectivement le domaine de l'introspection et celui de l'objectivation.
On observe que l'on change de héros tout en gardant l'histoire, et
que très vite le héros est l'histoire ((auto)biographie, éducation
sentimentale, introspection et roman intimiste, confessions...).
Il arrive aussi que le héros initial de l'Opus soit gardé,
mais on voit qu'il est transformé dans le sens d'un rapprochement
modernisant, et que l'on va de plus en plus vers le particulier où
toute référence au héros est un prétexte et
s'estompe au profit d'un autre "moi"; auparavant ce héros
avait pu être parodié, travesti, remplacé (soit une
gamme d'éviction partielle et progressive).
La "fluidité" est la valeur dominante de cette séquence
: tout doit s'échanger, s'écouler et se nuancer.
Différent est l'autre hypergenre basée sur une objectivation
renforcée où d'abord on adapte le texte à de nouvelles
situations, ce qui conduit à une remise en cause des cadres de l'Opus,
puis à son oubli au profit d'une représentation de la réalité
orientée vers quelque nouveau désir. Après des variations,
il y a eu substitutions ou inversions de sens. Enfin, toute narrativité
s'arrête au profit d'un documentaire, d'une analyse ou d'un quelconque
relevé.
L'"abondance" reste un élément clef de cette séquence
tant par le style que pour l'esprit du texte puisqu'il s'agit de rencontrer
un "objet", ce qui a pour effet de réifier le monde, ne
serait-ce que par l'intentionnalité du regard désirant.
c) La séquence "destinateur"25 renvoie à tout
ce qui a trait à l'art oratoire, didactique, épistolaire parce
qu'un système non-dit pré-existe (système de croyances
et d'équilibres sociaux) et qu'il génère sa propre
problématique, ses cas ambigus et ses règlements à
inventer, ses propres difficultés, sa casuistique.
Plus la séquence se développe, plus le caractère théorique
augmente : de la lettre à la fable, de la fable à l'allégorie,
de l'allégorie au plaidoyer ou oraison, ces derniers à la
prosopopée, au catéchisme, à l'érudition, aux
manuels, aux entretiens, mais aussi l'hypergenre véhicule le genre
divinatoire (oracles et prophéties, visions et énigmes), propitiatoire
(sorts, interdits, silences) et compilatoire (dictionnaire, thésaurus,
lexique, compilation...)
(Comme pour les séquences précédentes, le développement maximal d'une séquence nous fait côtoyer déjà ce qui n'est plus littéraire totalement et fuit son champ).
d) Les deux dernières séquences "adjuvant" et
"opposant" en réduisant, entre autres, celles du sujet
et de l'objet, ont pour effet de mettre en lumière, par le biais
de personnages annexes mis en lumière, le pourquoi d'une situation
: motifs, causes, raisons, présupposés sont alors privilégiés.
Plus ces séquences se développent, plus il y a une représentation
du monde qui est proposée (Weltanschauung), soit que la réalité
soit vue comme le reflet d'autre chose (un arrière-monde équilibré,
de rétributions,...) donnant son sens à l'ici-bas, soit comme
un chaos généralisé, absurde, dérisoire et grotesque.
"L'adjuvant" a la première position ; "l'opposant"
la seconde.
L'hypergenre est constitué de toute la littérature dramatique
(comédies, satires, épigrammes, tragédies, drames,
farces, mystères et passions, nôs japonais..) que l'on peut
diviser selon les deux catégories sus-dites.
C'est moins la présence du dialogue qui est déterminante que cette remontée à une antériorité, cette réflexion sur l'état du monde, cette interrogation sur une situation donnée. (D'où la naissance parallèle de l'Histoire et de la Tragédie en Grèce). L'hypergenre regroupe donc les généalogies, les cosmogonies, les histoires saintes, les révélations et théophanies.
Ainsi devons-nous répertorier 6 hypergenres fondés sur :
1) une expressivité orante
2) une expressivité introspective
3) une expressivité objective
4) une expressivité oratoire
5) une expressivité dramatique
6) une expressivité dramatique et cosmogonique
Face à une séquentialité idéale, des excès ont lieu provenant du démembrement d'une narrativité antérieure. A proximité de cette dernière, les uvres gardent une similitude avouée avec l'Opus, mais inventent de nouveaux genres (dissymétries, écarts, variations par rapport aux modèles : autant d'aspects originaux). Ces nouveaux genres sont investis par des uvres sans grand souci de leur origine : le genre s'affranchit de sa matrice.
Un tableau visualisera ces données simplifiées (on ne tient pas compte des combinaisons possibles de séquences ; l'essentiel est de considérer que l'une l'emporte sur les autres, selon un point de vue tout qualitatif). A chaque époque, on peut estimer qu'une uvre tentera d'atteindre l'absolu d'une séquence au moins, le "Livre Absolu" dont parle Mallarmé, ce point transfini où se rassemblent en hypergenre tous les "fils" d'une séquence.
1 | 2 | 3 | 4 |
séquences variables | séquentialité équilibrée | démembrement | formation des genres |
destinataire | lyrisme élégie prière eulogie | ||
sujet | autobiographie introspection confession historiographie | ||
objet | romans (policier, exotique, d'aventure ) | ||
destinateur | lettre fable allégorie manuel oracle compilation | ||
opposant | farce dramle tragédie histoire sainte | ||
adjuvant | comédie mystère tragédie cosmogonie |
Intergenres :
Il s'agit decomprendre la naissance de groupes d'oeuvres plus ou moins détachées de l'Opus mais entretenant entre elles des rapports de connivences internes ou externes.
L'Opus bénéficiant d'une célébrité spiralée voit sa chaîne narrative se démembrer selon six directions (sujet, objet, destinataire,...) qui forment des hypergenres, autant de points-limites ou transfinis. Mais cette solution n'est que globale et ne rend pas compte de similitudes plus réduites, ce qu'apporte une micro-analyse : il y a ces uvres sous influence de l'Opus, celles qui gardent avec l'Opus un lien même lâche (elles partagent au moins avec l'Opus un titre, un nom, une référence etc.), il y a aussi les liens possibles entre des uvres, au point que nous avons posé que deux uvres se ressemblant suffisent pour former un "genre". Nous avons donc deux limites (issues l'une et l'autre d'un déterminisme) : six hypergenres et une infinité de "genres".
De la tradition, on hérite, bien sûr, de la notion de "genres" pour expliquer certains aspects communs, mais, ainsi que nous l'avons dit, aucune nécessité ne les impose. C'est pourquoi, poser six hypergenres est meilleur parce qu'il s'agit d'un schéma actantiel limité à six actants qui est défait par le choc d'uvres se devant de traverser le lieu occupé par l'Opus. Une rivalité même admirative est toujours plus probable dont les effets sont une sélection au sein de l'Opus d'un actant qu'il faut détacher, libérer, remplacer, développer, de façon à créer une place où permettre une nouvelle narrativité (orientée vers une surenchère de ce même actant et menant à l'hypergenre). Sans vide, point de suites, point de nouvelles uvres. Plusieurs façons de faire existent depuis celle minimale où l'on retire simplement à un actant ses traits distinctifs (nom, époque, caractère...) pour les remplacer par ceux d'un autre personnage auquel on fait vivre un quasi même réseau d'aventures (on a déjà proposé l'exemple de Télémaque remplaçant son père Ulysse pour des aventures identiques : processus déjà observable dans Homère et culminant avec Fénelon) jusqu'à celle extrême où plus rien d'apparent de l'Opus ne demeure (ni noms ni lieux ni époques) si ce n'est la reconstruction d'une structure portant la même thématique et semblable par isomorphisme (on citera l'exemple de l'Enéide mais aussi toute uvre imitant le genre inauguré par un Opus comme un roman policier imite même sans le savoir la nouvelle d'E. Poë, Le Double Assassinat de la rue Morgue, inventeur du thème du meurtre dans une chambre close et du détective à l'intelligence déductive : on observe bien à ce sujet ce double phénomène : des uvres encore sous la dépendance (même éloignée de l'Opus) avec les 1300 uvres policières portant sur un meurtre dans un lieu clos et des uvres libérées du modèle, tout en restant policières ou plus exactement développant le modèle).
Car toutes les oeuvres n'ont pas un rapport évident avec un Opus ; c'est même le cas le plus répandu. Bien des uvres ne disent pas à quelle famille elles appartiennent, encore moins d'où elles proviennent, pour l'ignorer elles mêmes de surcroît. On ne peut les rattacher ombiliquement à un centre (Opus, uvre prestigieuse) ; les attaches sont rompues, tout au moins de façon immédiate. Nous avons su, par notre modèle, que des uvres traversaient les deux autres formes de célébrité (cône et poche), amenant des perturbations au sein de ces célébrités (affaiblissement, renforcement, division), sans pour autant dire ce qu'emportaient les uvres de leur passage en ces lieux de célébrité. Ces "emprunts" servent à renforcer une direction qui est à rapprocher des directions données par les hypergenres. En effet, il n'y a pas insertion au sein d'un Opus avec cassure de la séquence narrative mais les emprunts (il n'y a pas traversée d'une seule uvre mais de plusieurs) se font en plusieurs "Opus" qui exercent une attraction sur une époque ou sur un auteur (les "opus" sélectionnés le sont rarement au-delà de trois générations, comme nous l'avons écrit). Cela crée un horizon générique , c'est-à-dire un paysage attractif fait de plusieurs morceaux, champ assez unifié par une mode ou une culture que l'on peut alors disloquer ou unifier de façon actantielle (les uvres vont se loger là où les actants manquent et satureront ainsi la fonction).
La notion d'"horizon générique" ou ensemble d'oeuvres jouant le rôle d'Opus, c'est-à-dire de "résistance", de "fond", ou de "barrière" d'où émerger, prendre de l'élan pour s'en extraire, passer outre, explique le comportement fréquent des auteurs - leur recherche d'une autorité (que d'écrivains tentés par les totalitarismes de la pensée, comme autant de moyens de générer leur uvre en tant qu'appuis possibles malmenés) et leurs attaques contre leurs prédécesseurs -. Grâce à cette notion, on peut assimiler les uvres disant leur rapport à l'Opus et celles n'en avouant aucun : ces dernières renvoient à un horizon jouant ce même rôle d'Opus qu'il faut démembrer, orienter. Les six hypergenres gardent leur validité.
Cependant cela ne conduit toujours pas à une micro-analyse. Et pourtant, que faire, par exemple, des différences existant entre le roman autobiographique, exotique, d'apprentissage ou policier ? Tous sont orientés vers l'hypergenre formé par les actants "objet" ou "sujet", sans que nous en sachions plus.
Pour affiner le modèle, il faut bien dégager les étapes du processus de particularisation. Au départ, l'Opus (ou un horizon générique fonctionnant de même) ; ensuite sa dislocation ; en fin de parcours, des milliers de genres : il ressort qu'entre la dislocation et les genres, une étape existe qui permet aux uvres de se "ressembler" non par emprunts ou commune origine et non plus seulement par l'hypergenre mais par une "attitude" envers la réalité littéraire (représentée par l'Opus ou l'horizon générique). On voit bien, par exemple, que Céline et Lucien ont en commun un trait railleur qui dépasse les contingences (influences, observation objective, sources communes, etc.).
a) l'obtention d'une narrativité équilibrée :
Nous avons estimé que la célébrité agissait sur l'Opus en affectant les actants d'une répartition égale de leur pouvoir d'attraction. Le schéma actantiel de Greimas n'est pas un universel initial mais final qui correspond au "poids" acquis par une uvre. Un équilibre est atteint qui se répercute sur la perception que l'on a de l'uvre, si bien que l'on finit par croire que cet équilibre est naturel. En fait il est construit par la célébrité, c'est-à-dire la critique appréciative. Il s'agit d'un retour à la "nature", d'un sentiment de plénitude et d'achèvement qui n'a rien à voir avec la littérature fondée sur un déséquilibre, celui de produire un artefact qui s'ajoute au réel de façon sélective et limitative.
Pourtant certaines formes d'oeuvres ont acquis à tout jamais ce statut d'équilibre attractif : ce sont les mythes, les contes et, à un degré moindre, les épopées. Rien ne peut leur être ôté sans détruire l'équilibre obtenu et si d'aventure on s'autorise de les modifier en profondeur, ce sera presque de l'ordre du sacrilège ou tout au moins de l'audace. Une perfection est atteinte non encore une fois à l'origine (il suffit de considérer les multiples variantes pour comprendre qu'entre mille choix possibles, la tradition s'est fixée sur ce qui stabilise et égalise les actants entre eux32) mais à la fin d'un processus souvent séculaire dont l'effet majeur est de retirer ces uvres du champ littéraire et de les quasi-diviniser, de les "religiosiser", de les situer au-delà du Littéraire car il manque l'excès, le déséquilibre que remplace une perfection stable, fortement prégnante.
Le cas de l'épopée est intéressant parce que ce processus n'est pas totalement achevé mais qu'il tend toujours à l'être. On le voit au fait que l'épopée permet des reprises, des imitations, fait surgir des uvres, tant que justement elle peut encore être "malmenée" pour n'être pas tenue pour intouchable. Elle n'est souvent qu'un morceau d'un cycle et tout l'effort des autres uvres sera de la continuer, d'achever précisément le cycle afin d'atteindre cet idéal d'équilibre qu'elle même indique et envisage comme projet. De même pour un mythe, on verra que l'imagination ne fonctionne que si le mythe n'est pas achevé, a une fin en suspens. Il présente toutefois un aspect plus "terminé" que l'épopée, mais tout cela n'est pour nous qu'une gradation, qu'une tendance vers, fondée sur le fait que l'enchaînement des événements y est plus strict. C'est le conte qui possède le mieux cette forme immuable dont l'acquisition s'est le plus oubliée au point de sembler le paradigme de toute narrativité.
Cela pour dire que l'équilibre atteint fonctionne comme une limite d'exclusion du champ littéraire, un seuil au-delà duquel il faut d'autres critères pour analyser et comprendre, vu la proximité d'autres champs rivaux du Littéraire. La dislocation de l'Opus est donc d'autant plus précieuse puisqu'elle permet à l'Opus de ne pas franchir ce seuil vers lequel la célébration le pousse parfois irrémédiablement. En revanche, l'Opus qui a franchi ce seuil acquiert une notoriété sans égale, bien plus essentielle que celle du champ littéraire où tout est fugitif et rejoué.
Un autre seuil de sortie du champ littéraire a déjà été pressenti, à savoir celui où l'uvre tend à réaliser l'hypergenre en supprimant toute narrativité et nous avons donné l'exemple de Mallarmé et de sa quête du Livre Absolu ou du Nouveau Roman dont certains essais se rapprochaient de la perfection descriptive d'un catalogue d'objets de même que la littérature sanskrite nous donne le cas des Purâna (récits en l'honneur d'un dieu : tout ramène à ce dieu, tous les potentiels des actants sont absorbés par le seul destinataire qu'est le dieu) qui, par rapport aux épopées (l'équilibre des actants ayant été obtenu), présentent une situation quasi-semblable d'exclusion du Littéraire vers le Mythico-Religieux, à la différence essentielle toutefois que l'épopée reste "humaine" en donnant naissance à d'autres uvres là où l'éloge purânique se fond dans une immense prière aux effets littéraires se raréfiant. Ces deux seuils confirment notre idée d'une position intermédiaire du Littéraire dont l'humanisation est en fonction inverse d'un quelconque holisme si ce n'est pour le montrer comme une bordure, un rivage extrême.
Brièvement nous remarquerons que la critique agit de façon à construire (ou à reconstruire) un partage équitable des actants dans les uvres qui ne le possèdent pas, comme nous le disions, par essence. Elle complète ce qui est absent, rétablit un équilibre perdu par une quelconque dislocation, ou établit ce qui tend vers cet équilibre, en cherchant des influences (destinateur), un objectif et un sens (objet), des défenses et des condamnations, appuis ou querelles (adjuvant et opposant), un public ou un idéal (destinataire), un dynamisme, un effort (sujet). Une fois son travail achevé, qui est de reformer un tout satisfaisant pour l'esprit, l'Opus perd sa littéralité. On notera que ces "ajouts" se font surtout aux places vides, celles où les actants ont été, par le choix de l'hypergenre adopté, sous-développés, afin de leur redonner une même importance. C'est pourquoi la critique théâtrale ne ressemble pas à la critique romanesque, cette dernière à la critique poétique, etc. Leurs points communs seront les communs actants négligés à ces trois hypergenres (par exemple : l'auteur-héros ou actant sujet). Mais leurs différences seront dans ce que l'une n'utilise pas et que l'autre introduit, comme l'intériorité peut être évidente en poésie et ne nécessite pas qu'une critique s'y ajoute (elle cherchera à adjoindre une dialectique , proche dons des actants adjuvant-opposant, comme dans l'uvre de Baudelaire, on note des aspirations vers le Beau et une sombre déchéance alors qu'une pièce de Tchekov est glosée par une visée existentialiste proche d'une ontologie du sujet).
Ce travail de la critique ainsi définie ou de la célébrité doit se comprendre comme générant ce stade de narrativité équilibrée (moins un stade en fait qu'une tendance) qui s'applique à toute uvre. L'exemple typique que nous prendrons au roman sera Les Misérables (V. Hugo). L'admiration publique tend à faire occuper à ce roman cette position-limite : devenu référence commune à une culture, patrimoine culturel, il se charge de valeurs épiques, voire mythiques (conflit du Bien et du Mal), a inspiré de nombreux films dans cette optique ; ou bien il est adressé à des enfants, simplifié de façon à faire conte. Son caractère littéraire s'estompe.
Le conte, le mythe, l'épopée, et certaines oeuvres narratives ont ce pouvoir d'accéder à un équilibre des actants qu'il faut toujours jugé momentané et artificiel : l'uvre n'est pas née ainsi, elle s'est solidifiée peu à peu de cette façon, à chaque reprise (une suite ou une continuation se faisant là où il y a un vide, peu à peu l'équilibre se forme tout autour d'elle, et ce avec les meilleurs intentions). Plus l'uvre est "incomplète", plus elle fascine, dans la mesure où le cadre qu'elle met en place suggère des routes énigmatiques possibles. Car un effet rétroactif est à saisir ici : l'Opus imité, développé, donnant naissance à des uvres, reçoit en échange un "supplément" de sens tel que l'image de l'Opus s'en trouve modifiée.
Un exemple fameux est le cas de Robinson Crusoë dont la fortune multiple a pour aboutissement d'apparenter cette uvre à un mythe (cf. dans une perspective désacralisante, L'Ile Mystérieuse ; Sa Majesté des mouches ; Vendredi ou les limbes du Pacifique ; ...) à une épopée (cf. L'Ile de R. Merle) ou à un conte pour enfants (cf. Deux ans de vacances ; ou Les Robinsons suisses). L'Opus n'est plus guère lisible avec ses longs développements sur le travail l'économie et la société et ce que nous percevons d'elle, c'est cette mise en scène d'une situation impossible revue et corrigée par tous les successeurs de Defoë. L'Opus démembré se reconstitue autrement dans nos consciences et l'on sent cette attente, ce besoin de le réécrire en intégrant tous ces aspects ultérieurs pour concrétiser épiquement et sous un jour nouveau ce qu'il est devenu dans nos consciences. Cette proposition n'est point invraisemblable d'un cycle se formant si, admettant le long terme, on voit L'Enéide comme la résultante de toutes les uvres nées du démembrement homérique, La Divine Comédie comme la synthèse d'un horizon générique médiéval multiforme, ou Le Mahâbhârata comme une tentative de somme sur l'éclatement des hymnes védiques et de leurs gloses.
Cela n'affecte pas toutes les uvres mais nous savons maintenant qu'une direction horizontale s'ajoute à celle verticale du démembrement : l'Opus s'ouvre sous l'effet d'uvres concurrentes vers six hypergenres et se ferme sur trois situations-limites (le conte, le mythe, l'épopée). Un cycle se forme : l'Opus au fur et à mesure qu'il est démembré, est remembré par la critique et par l'image que donnent ces uvres nouvelles qui l'utilisent. Il atteint ainsi une stabilité quasi-immortelle. Il peut alors être réécrit comme conte, mythe ou épopée ; la critique et les uvres l'ayant démembré agissent dans le même sens de stabilité atteinte de tous ses actants.
Une gradation a cependant été perçue : l'épopée demeure plus littéraire que le mythe ou le conte, elle constitue un hypergenre supplémentaire aux six autres, en tant qu'elle est, comme eux, un aboutissement jamais totalement réalisé. Elle correspond soit à un stade final de l'Opus élevé dans nos consciences à la puissance de la collectivité, stade atteint après les ajouts d'autres uvres soit à un stade de synthèse par une uvre nouvelle - souvent épique - approchant d'une structure équilibrée (capacité d'un créateur à unifier les développements et à les rassembler). C'est une visée globale bien connue qui fonde l'épique, et dont nous retrouvons ici la genèse : nécessité d'un Opus comme fond et fondement (souvent le mythe) qui retrouve une narrativité équilibrée après avoir été démembré (le mythe est souvent "brisé" en prières, drames, compilations, commentaires ; il se recompose grâce à l'épopée qui transpose sans les épuiser les conflits des dieux au niveau des hommes mais laisse ainsi encore parler le mythe).
L'analyse nous apporte donc, cette fois-ci par une direction horizontale, c'est-à-dire linéaire et suivant le cours de l'Opus, une autre catégorie (celle de la recomposition) ajoutant un septième hypergenre marqué par le souci d'une narrativité complète approchée. Il convient de se demander si les uvres en contact avec l'Opus et qui visent à son démembrement n'optent pas pour des directions particulières pour améliorer notre catégorisation. L'uvre utilise "un" actant de l'Opus (il en privilégie un entre autres) et le valorise, mais ce faisant, s'adapte-t-elle au sens de l'Opus, le contrarie-t-elle, ou se love-t-elle dans sa problématique ? Nous savons que l'Opus a une direction (émanant du champ littéraire) et il est probable que l'uvre peut l'accepter ou non. Nous nous situons au niveau de la direction de l'Opus, dans une horizontalité que nous a découverte l'épopée.
b) directions et intergenres :
Trois directions (déjà repérées) sont à considérer, que ce soit par rapport à l'Opus ou que ce soit par rapport à l'horizon générique qui fonctionne comme l'Opus :
- 1) l'oeuvre nouvelle va dans le même sens que l'Opus, elle en adopte la finalité, l'idéologie ou la problématique, la formulation, les catégories, etc. ;
- 2) l'oeuvre nouvelle va dans le sens opposé à l'Opus, elle le conteste et dénonce soit en parties soit en totalité ;
- 3) l'oeuvre nouvelle va s'installer dans l'Opus soit en respectant son "univers" et en l'aménageant selon un autre goût soit en redistribuant les rôles pour une autre signification (on est dans le double cas d'un local dont on respecterait la fonctionnalité des pièces tout en modifiant le décor - aménagement - ou bien dont on affecterait les pièces à de nouveaux usages - réaffectation -). Il faut comprendre que dans le premier cas les rôles bénéficieront d'apports et se gonfleront tandis que dans le second, ils seront bouleversés (les uns prenant ceux des autres, les uns réduits ou surévalués, les uns divisés et privés par les autres).
Selon ces trois directions, on comprendra le modèle ainsi :
- l'oeuvre peut respecter l'hypergenre originel de l'Opus (ou l'hypergenre dominant de l'horizon générique : telle époque est "dramatique", telle autre est "romanesque") le ramifiant, le particularisant (cf. supra les robinsonnades où, à tour de rôle, tel agent symbolisant la fonction d'opposant ou d'adjuvant ou de destinataire se trouve promu en place du héros Robinson à bénéficier des feux de la rampe, quoiqu'on conserve le même but que Defoë, à savoir une peinture du réel, soit l'actant objet comme visée centrale);
- l'oeuvre peut ne pas respecter l'hypergenre de l'Opus et effectuer un "saut" d'un actant à un autre et provoquer un renouvellement précieux (imaginons toujours notre Robinson au théâtre, ou en modèle de peinture intérieure comme Ulysse entre les mains de Joyce...).
Grâce à quoi, nous pouvons mieux rendre compte de la complexité des relations entre uvres, étant donné qu'un classement selon ces deux paramètres s'ouvre alors :
- la direction actantielle ou hypergenre : soit 7 directions (les actants objet, sujet... sont vus comme des potentiels et l'épopée comme l'approche d'une égalisation des potentiels) ;
- la direction par rapport à l'Opus (ou horizon) : soit 3 directions dont une double (même sens ; sens opposé ; dedans pour aménagement ou réaffectation).
La première direction sera dite verticale, la seconde horizontale et l'endroit où elles se joignent aura pour fonction d'expliciter ce domaine commun à des uvres nées d'Opus différents mais optant pour les mêmes directions verticale et horizontale.
Nous nommerons ces endroits, "Intergenres " soit domaines communs à des uvres offrant le même choix de directions. C'est cet instrument intermédiaire entre les genres (au nombre infini puisque deux uvres suffisent à former un genre s'il y a similitude entre elles deux) et les six hypergenres (qui sont autant de potentiels attractifs dont l'accès au centre est l'objet de multiples gradations ; rappelons que plus la narrativité s'estompe, plus l'actant est réalisé dans sa "pureté") qui nous faisait défaut pour identifier des recoupements et des similitudes.
hypergenres--->
directions | destinateur | objet | sujet | opposant | adjuvant | destinataire | épopée |
même sens | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 25 |
sens opposé | 7 | 8 | 9 | 10 | 11 | 12 | 26 |
dedans (aménagement) | 13 | 14 | 15 | 16 | 17 | 18 | 27 |
dedans (réaffectation) | 19 | 20 | 21 | 22 | 23 | 24 | 28 |
Cela fait apparaître 24 intergenres qui sont comme des cadres nouveaux pour expliquer certains rapprochements et rendre compte du fait qu'une certaine permanence inter-culturelle existe (même si l'Opus est différent, le fait d'emprunter une même direction horizontale et verticale crée un terrain commun et permettra une comparaison raisonnée et justifiée.
Quant à la colonne supplémentaire (cases 25 à 28), elle correspond à l'obtention d'une nouvelle narrativité quasi-complète, identique à la représentation que l'Opus obtient à force d'être enrichi par la critique (cette dernière fonctionne principalement en promesses de dire ce que l'on n'a pas vu, i.e. en complétant "ce qui manque" : les actants moins développés) et les imitations, qui pourtant le démembrent, si bien qu'Opus et épopée formeraient les deux limites encadrant mille uvres : l'Opus en soi n'est pas naturellement possédant un équilibre des actants (tout au plus est-il comme l'épopée, proche de cette structure symétrique) mais l'acquérant, l'épopée non plus ne le possède mais par le trait d'un génie unificateur "recoud" (après tout elle est "rhapsodie") et refond ce que les uvres ont produit d'original, au sein d'une structure (qui doit avoir des propriétés de symétrisation virtuelle), et donc tend vers cette situation d'équilibre.
c) applications :
Toutes ces notions (hypergenre, intergenre, genre) visent à définir pourquoi ceci est comparable à cela, quelles raisons pèsent objectivement pour qu'il y ait comparaison, alors que le lot "actuel" est "un marché aux puces" où tout peut se comparer à tout selon des affinités évidentes, traditionnelles, ou fortuites, dans une ambiance où seul le hasard règle l'étude. Et le brio aussi.
Avec ces notions, les rapprochements seront fondés sur une nécessité théorique justifiée : certains inédits, beaucoup ne s'imposant pas immédiatement à l'esprit, car tous supposent une méthode et donc de découvrir quelque nouveauté. Le point d'arrivée n'est pas inclus dans le point de départ. Ce qui paraît aller ensemble n'est peut-être pas tel, et ce qui va ensemble, va à l'amble seulement sur une certaine distance.
Ainsi, si nous ne tenons compte que de la ligne horizontale, et que nous prenons une série constituée d'un Opus, d'une uvre dépendante et d'une autre oeuvre dépendant de la précédente ou de l'Opus, si d'autre part nous affectons à l'Opus une des trois directions (considérant qu'il provient lui aussi de quelque part), par une simple combinaison obtenue par le fait du respect ou non par la première uvre et par la seconde de cette direction, nous découvrons un cas d'enchaînement (la direction initiale est maintenue : Opus ---> oeuvre 1 ----> uvre 2), un cas de boucle fermée (l'oeuvre 1 opte pour une autre direction que celle de l'Opus mais l'oeuvre 2 revient à la direction initiale), et un autre de boucle ouverte (l'oeuvre 1 modifie la direction et l'uvre 2 choisit une autre direction que celle de l'oeuvre 1, sans que cela soit celle de l'Opus). C'est de cette façon que l'on peut construire un "genre" en tant que filiation conduite par un de ces trois cas. La solidité d'un genre réside peut-être dans une direction initiale de l'Opus répétée : plus cette direction est d'opposition, plus elle surprend, se détache et si ces traits distinctifs sont appuyés et repris jusqu'à devenir admis par des uvres gardant cette direction - soit le cas de l'enchaînement - (répétition insistante), alors le genre est nettement "marqué" et caractérisé. Mais l'emploi de cette seule ligne horizontale tient trop d'une micro-analyse pour être vraiment utile ; le niveau moyen des intergenres nous paraît plus riche. On utilisera les genres pour définir des rapports immédiats.
Il est dit que la nouvelle d'E. Poë, Le Double Assassinat de la rue Morgue, est à l'origine du genre policier : on a signalé souvent qu'en tant qu'uvre, elle s'opposait à l'horizon générique des romans gothiques en vogue à l'époque dont Poë raille l'ambiance mystérieuse factice. Cette uvre devient Opus par suite de la fascination qu'elle exerce et l'on sait que les personnages de Sherlock Holmès (Conan Doyle) et d'Hercule Poirot (Agatha Christie) doivent beaucoup au Dupin de Poë : le détective en devient plus typique et gagne en épaisseur et vraisemblance ; même si l'on observe des différences de comportement propres à chaque culture (soit qu'il agisse, fasse de la psychologie ou de la sociologie, déduise ou analyse ... respectivement dit détective américain, français, anglais), il reste la figure centrale de l'homme qui sait ou va savoir avant nous à qui il s'oppose donc. On obtient donc une série très simple fondée sur la répétition d'une même direction (d'opposition moins d'une uvre par rapport à l'autre que par rapport à l'horizon générique initial : ici le roman gothique). L'esprit des débuts demeure. Une consolidation a lieu. Mais si l'on considère que Melville doit aussi à cette nouvelle, force nous est de constater un changement de direction : une bifurcation se forme parce que Melville "s'installe" en Poë et redistribue les rôles (par exemple, Bartelby, son personnage énigmatique, s'enferme, ne songe qu'à être imperceptible, détruit tout sens : il efface les traces là où Dupin les recompose) - ce qui ne renvoie pas au roman gothique-.
Plus intéressant nous paraît être ce qui se cache sous les cases en raison des divisions qu'elles autorisent. Prenons une catégorie comme celle du "roman" dont la vitalité est telle qu'elle multiplie les genres ; notre définition repose sur l'idée que les actants "objet" et "sujet" se sont surdéveloppés, à la façon de quelque potentiel très attractif : on ne peut qu'être frappés par le besoin que le roman ne cesse d'exprimer d'aller vers la réalité - intérieure/extérieure - de manière de plus en plus directe, brutale et exhaustive (quand en aura-t-on fini de couvrir avec les mots le réel, quand tout sera-t-il transcrit ?) et de constater ce culte des listes d'objets, cette exactitude maniaque, ce rendu prodigieux du monde que seul le cinéma pourrait concurrencer. Mais comment rendre compte des différences et des façons de "relancer" le mouvement d'enquête qui anime le roman ? Notre tableau offre 8 cases (2,3,8,9,14,15,21,22), soit 8 types possibles et reconductibles quels que soient le lieu et l'époque (même si ces 8 types n'ont pas d'obligation à exister simultanément). Il y aura lieu de se demander pourquoi à un certain moment les 8 types coexistent, et nous avancerons l'idée que cela provient de l'instrument conceptuel en usage pour saisir la réalité.
Il est une notion qui revient sous la plume des écrivains, leur répulsion-admiration pour le "romanesque". C'est souvent la manière dont les romanciers se débarrassent de leurs prédécesseurs en les accusant d'être romanesques là où ils sont véridiques. Le romanesque fonctionne comme un horizon générique dont on veut s'éloigner, se détacher pour voguer vers plus de réalisme objectif ou subjectif. On voit apparaître notre direction de sens opposé, manifestant un fond de récusation au nom d'une vérité plus juste (adaequatio rei et intellectus). Cela correspond aux cases 8 et 9 et nous proposons d'appeler ce type " roman apobolique " avec l'idée que l'"apobolisme" (concept de rejet et de dénonciation) ne se limite pas au genre "roman" mais qu'il embrasse d'autres genres ayant pour directions les potentiels objet-sujet, comme nous l'avons dit plus haut (documentaire, reportage, confession, parodie, aveu, stèle, mémoires, etc.).
Mais cela ne saurait épuiser le roman qui fait vivre par procuration au sein d'une réalité imitée (mimesis) et donne une image seconde que l'on ne veut pas forcément exacte mais suffisamment prégnante pour déclencher le rêve, l'émotion, un élan d'adhésion harmonique. Il ne s'agit plus de copier le réel et d'être vrai mais d'enchanter et de produire du réel. Les uvres précédentes sont tenues pour des auxiliaires précieux parce qu'elles apportent des images et des réseaux de sens qu'il convient d'utiliser et dont on entrecroise les lumières. La direction est d'ordre du même sens, les règles du jeu sont connues et appréciées et, à l'intérieur d'un cadre établi par d'autres, se tisseront mille et une relations. Nous oserons le nom de "roman supplétif-harmonique " pour les cases 2 et 3, et promouvrons la notion de suppléance harmonique comme projet de compléter et d'accorder, non pas les existences en leur fournissant une quelconque compensation (car toute uvre peut servir à cela), mais des situations créées par d'autres uvres. Art de la broderie, de la variation et de la nuance.
Enfin loin du refus ou d'une connivence immédiate, on peut rencontrer le cas où une nécessaire acculturation a lieu, où l'acquisition de façons de faire, d'être et de se comporter est l'essentiel du roman. Le personnage en quête de lui-même ou du monde se réalise peu à peu ou s'ouvre à la réalité ; son éducation nous est contée, son évolution. Les uvres ou références culturelles sont alors impliquées dans ce processus soit comme lignes de conduite à découvrir (cf. Perceval et le Graal, légende chrétienne) soit comme modèles insuffisants (cf. Zadig face à la philosophie de Leibniz). On admettra donc la direction dite "s'installer en" avec son double aspect d'aménagement et de réaffectation : dans le premier cas, adaptation ; dans le second, modification. Ce type de roman est fort connu, à savoir le roman d'apprentissage portant sur une découverte de soi (sujet) ou du monde (objet) ; il correspondra aux cases 14, 15 /20, 21. Nous le définirons comme "mathétique " au sens où une connaissance est l'enjeu : "inclusif" si le modèle intègre l'élément nouveau, "désillusionné" si le modèle est contesté.
Il pourrait y avoir confusion dans les esprits entre certaines formes du roman apobolique et d'autres du roman mathétique désillusionné puisqu'une même contestation semble les animer. La différence est que l'apobolique dénonce des enchaînements-standart et remonte à une causalité voilée, alors que le mathétique désillusionné est finaliste et cherche un sens, un message. Le premier est accusation, appel de témoins et il prend des mesures pour que le réel en fuite comparaisse, le second est répudiation, bannissement d'un puissant déjà là pour qu'on se libère de son influence et recouvre une liberté. L'un fait venir, l'autre éloigne. C'est la différence entre Céline et Vallès, Diderot et Voltaire, Rousseau et Goethe, Sorel et Scarron.
Mais le roman en tant que genre multiple ne couvre pas à lui tout seul, rappelons le, toutes ces 8 cases : l'apobolisme, la suppléance harmonique et le mathétisme sont un "état d'esprit" qui s'appliquent à tout genre né ou à naître qui s'oriente vers les hypergenres sujet et objet. C'est par l'invention d'un terme plus élégant qu'"hypergenre sujet-objet" que l'on éviterait la confusion de celui de "roman".
Ce qui surprend, c'est de voir que ces deux hypergenres conduisent à la création de genres caractérisés par l'absence de règles formelles premières (la règle existe souvent "avant" - comme en poésie même libre - cf. la définition célèbre de R. Jakobson 33- ou au théâtre - parler à un public -) : ici, dans le roman, les règles formelles se construisent avec l'uvre, en corrélation, d'où cette infinie variété d'épaisseur, de styles pluriels, de typographie, de découpages, de distribution des événements... Seule la littérature OULIPO a lutté contre cette tendance en proposant de se donner d'abord des règles pour observer ce qui advenait ensuite. Pourquoi ces hypergenres sont-ils marqués par cette "déréglementation" ? Visiblement le roman plaît à notre époque pour cela même que, à l'instar de nos vies, ces textes dégagent une structuration et une forme, fabriquent de l'ordre et du sens peu à peu, en toute liberté, sans nécessité antérieure (les règles ne préexistent pas, elles se font, ce qui flatte notre sentiment de liberté). Il est exact aussi de considérer que dans les pays totalitaires, la forme romanesque disparaît et que la poésie alors prend son essor, paraissant moins dangereuse et restant autorisée. Ces deux hypergenres déploient donc des possibilités moins contraintes parce que la description du réel est en cause, là où les autres hypergenres sont plus "abstraits" car tournés vers l'établissement de relations entre l'homme et l'autre (destinataire, opposant, etc.), vers plus de littéralité et d'humanisation.
Mais le terme de roman est commode même s'il ne correspond à aucune définition capable d'intégrer tant d'aspects (en quoi un roman de Chrestien de Troyes écrit en vers est de même famille qu'un roman policier ou épistolaire ?). Reste que si l'on admet ces deux hypergenres comme éléments constitutifs de définition, alors sa nature s'éclaire et quels que soient les époques, les lieux ou le style, il reste une visée identique. C'est le refus de croire à une évolution de l'hypergenre qui peut décevoir tant l'idée d'un processus linéaire nous est familière alors que nous observons un perpétuel jaillissement de différences qui sont provisoirement dues à de micro-influences (d'uvre à uvre, démembrement et passage d'un hypergenre à un autre, changement incessant de direction) au sein d'une structure dynamique. Une histoire unifiante n'aboutit en revanche qu'à perdre ce foisonnement et ces singularités au profit, certes, d'une vaste fresque belle et simple mais déloyale car sélective, et nationale par exemple (cf. les difficultés à concevoir une histoire de la littérature européenne par manque de concepts : avec ce tableau, il sera facile de voir quelles cases sont activées ici et non là, ici et là, ni ici ni là, de quoi délimiter une époque et ses goûts, et des aires en raison de mêmes cases activées). La modernisation constante n'a pas seulement à être décrite et expliquée par des changements sociaux (le roman fut autant aristocratique - cf. L'Astrée - que bourgeois ou populaire - cf. roman picaresque -), elle doit pouvoir se produire par un dispositif qui permet le renouvellement : ce qui est nouveau, c'est la mise en place d'un nouvel Opus, son emploi dans des directions variées verticales et horizontales, et non une nouvelle façon d'écrire, de penser ou de sentir qui ne sont que des effets de cette disposition particulière. Sinon la modernité, la nouveauté, l'évolution n'existent pas. Il est vrai que nos sociétés ont toujours constitué de nouveaux Opus ou en ont changé constamment en proportion même de la liberté d'apprécier qui fonde l'intervention du public dans le champ littéraire.
La structure de nos langues est-elle aussi responsable de cela ? L'hypothèse de G. Steiner d'une équivalence entre cas grammaticaux, modes verbaux et les mythes archétypaux de notre civilisation, mérite réflexion. Le schéma actantiel de Greimas n'est pas sans analogie avec les cas propres aux langues indo-européennes (nominatif, accusatif, datif...) si bien que le récit déploierait à son insu l'importance que l'on accorde à un des rôles possibles dans la phrase, il légendifierait une des possibilités du logos d'autant plus que les cas seraient oubliés (comme en français, anglais, italien, espagnol, sources évidentes de littérature) par nécessité de les présentifier à un niveau supérieur. L'absence de cas pourrait traduire plus d'instabilité compensée par des récits "reformant" la structure du langage. En effet, les langues conservant l'usage des cas, certes, ont une littérature mais constituée davantage d'Opus, i.e. d'uvres à narrativité équilibrée, à vocation holiste, là où les autres langues ont davantage d'uvres non" équilibrées" et le devenant par la critique. Ce sont des uvres plus partielles à la recherche constante entre elles d'une complétude, et moins par elles seules. D'où cette modification permanente de l'horizon générique et de ce qui peut servir d'Opus.
Les autres cases à étudier renvoient pour l'essentiel à la poésie (en fait toutes cases), au théâtre (plus particulièrement les cases 4, 5, 10, 11, 16, 17, 22, 23), à l'épopée (25, 26, 27, 28), et mille et un genres dont certains oubliés.
Nous traiterons de l'épopée pour montrer que le tableau l'éclaire d'un nouveau jour. Sous cette étiquette, on range des uvres aussi diverses que L'Iliade, La Jérusalem délivrée, Le Paradis perdu ou La Chanson de Roland, ce qui ne manque pas d'étonner. Nous avons dit que leur narrativité tendait à l'équilibre soit in se soit par suite du succès, et pour repérer cet équilibre, nous optons pour détecter les traces de symétrisation à l'intérieur de l'uvre (dédoublement des rôles actantiels, répétition des événements, parallélisme des situations) qui fondent notre sentiment d'un tout achevé, à la limite du Littéraire (proximité du mythe, du religieux). Ces épopées sont issues d'un Opus (mythe ou épopée précédente), ou d'un horizon générique (ensemble d'uvres fonctionnant par agrégat comme Opus : corpus de légendes ou de textes) avec lequel elles entretiennent une des trois directions horizontales ; quant au choix de l'hypergenre, nous dirons qu'il n'est pas suffisamment marqué pour incliner l'uvre (même si elle opère sur l'Opus sa sélection) vers lui uniquement ou bien que l'uvre additionne les aspects développés par d'autres uvres (opérant un nécessaire démembrement) et en fait une synthèse proche de l'équilibre. Les cases 25 26 27 28 sont comme un distillé des autres cases.
Case 25 : (même sens) domaine des "suites", des prolongements et des "imitations" où l'on prête à un nouvel héros les aventures du héros de l'Opus précédent tout en modifiant le contexte historique, social, etc. Ce type d'épopée réalise un "clone", une "bouture" sur un autre terrain. "Epopée dite clonique" (!). Soit : La Franciade (Ronsard) ; La Guerre contre les Goths (Claudien) ; La Thébaïde (Stace) ; Punica (Silius Italicus) ; La Jérusalem délivrée (Le Tasse) ; etc. Un même état d'esprit commande à ces uvres, le respect d'une tradition, le souci de s'y hausser, l'envie de bien faire.
Case 26 : (sens opposé) domaine du renversement des rôles et des valeurs, de l'inversion du sens et des oppositions (le destinateur devient le destinataire, le sujet devient objet, ... et vice versa ; soit tous les actants soit quelques uns) si bien que le camp des "méchants" devient celui des "bons" et que le projet est une réaction. "Epopée dite antinomique" proposant une nouvelle table de valeurs. Soit : L'Enéide (Virgile : cf. Troie détruite - Rome à fonder ; le retour d'Ulysse - l'exil d'Enée...) ; Le Paradis perdu (Milton); Contre Symnaque (Prudence ; épopée chrétienne) ; etc.
Case 27 : (s'intaller en de façon à aménager) domaine de l'amplification et de la variation sur un thème, de la greffe et de l'établissement de relations internes inhabituelles, de l'ajout et du romanesque. "Epopée dite à expansion continue ". Soit : La Chanson de Roland (cf. le point de départ historique très simple et la broderie qui s'en est suivie ; L'Odyssée (Homère ; cf. les nombreux autres "retours" perdus collatéraux ou antérieurs et les greffes de récits de voyage inclus en l'uvre) ; Le Roman de Troie (Benoît de Sainte-Maure) ; Vita Martini (Fortunat) ; Les Argonautiques (Apollonios de Rhodes); etc.
Case 28 : (s'intaller en de façon à réaffecter) domaine d'une réorganisation interne qui fait que l'on polarise l'attention autrement sur des personnages ou des situations jusque là annexes ou évacuées et que l'on obtient un autre rendu axé sur d'autres thèmes, actants ou valeurs. D'où une impression de rupture, de violence, de défenses (le destinateur peut devenir opposant, l'adjuvant sujet...). Une table de valeurs a été oubliée. "Epopée dite à expansion discontinue". Soit : L'Iliade (Homère ; cf. la "colère" d'Achille remplace le ressentiment justifié de Ménélas qui devrait être le héros) ; La Divine Comédie (Dante ; cf. le rôle dévolu au narrateur, rôle qui conviendrait mieux à un saint) ; La Pharsale (Lucain ; cf. la prise de position pour Pompée contre César) ; Les Tragiques (A. d'Aubigné; cf. le peuple huguenot héroïque et martyr face au roi de France corrompu et criminel) ; etc.
Une telle classification ne manquera pas d'aider à clarifier une situation faite de confusions telles que les critères édictées pour une uvre sont difficilement applicables partout (et pour cause, cette séparation inhérente à des directions différentes). De plus c'est la nature de l'uvre qui, dans ses intentions, se trouve ainsi mise en évidence, ce à quoi il faut rajouter la comparaison permise avec des uvres naissant d'un autre Opus ou horizon générique et empruntant les mêmes chemins : une correspondance harmonique est alors possible.
Le système s'ouvre aussi sur des voies inexplorées, celles de genres disparues ou tombées en désuétude dont on peut reconstituer de façon quasi archéologique l'enracinement et les orientations et comprendre les éventuels avatars ou les ressemblances avec des genres encore vivants. Cf. Annexe.
C. Conclusions :
1) Retour aux Axes de départ :
La champ littéraire présente un dernier aspect. Là où entre les deux Axes il y a eu tension créatrice, il faut admettre une résolution de cette tension, un apaisement.
Cela revient à dire qu'il y a une unification de l'espace interaxial (comme l'arc revient à sa forme initiale). Une différence de potentiel avait été faite au profit d'un Axe. Il est donc normal que ce soit par l'autre Axe qu'arrive l'énergie nécessaire à l'équilibre des potentiels. L'Axe perturbé et "vaincu" reprend sa place grâce à un rapport d'énergie.
Il faut donc, dans un certain sens, que l'Opus ait été célébré et soit passé par le criblage, afin que ce qui en reste, revienne au lieu de tension.
L'énergie de l'Opus criblée et éparpillée va se répandre le long de l'Axe de façon très diffuse. Là, un balayage s'opère, qui unifie. Si l'on voit l'espace interaxial hérissé (un sommet et un col pour l'axe vaincu car en position instable ; un bassin pour l'axe vainqueur ayant reçu l'énergie de son rival), le balayage aura pour effet de tout aplanir. En effet, on a vu que l'Opus épandait son énergie de façon de plus en plus lâche. Dans le cas où l'uvre n'a jamais réussi à exister, où la tension créatrice a avorté tant dans l'obtention d'une parcelle de célébrité que dans la constitution d'une uvre (projet affiché non réalisé : cahier, ligne, titre d'un écrivain en témoignent), l'on posera le même balayage en vue d'une pareille indifférenciation.
Pourquoi supposer un balayage interaxial lorsque rien n'anime le champ littéraire ?
La coexistence de ces trois sources d'énergie n'est possible que s'il y a échange régulier et équitable : un balayage en rend compte. Ecran vide de potentialités parallèles, fluides, allant dans un sens puis dans l'autre. C'est la matière vitale que l'écrivain va problématiser : elle est faite d'un alphabet, d'une langue, d'expériences, etc. Chaque écrivain a un champ littéraire vierge, une table propre, quoique ce champ littéraire soit commun aux autres, ait une valeur générale.
Pour définir la création, nous aurons donc un triple niveau
:
- un espace vide interaxial ;
- le même espace soumis à une tension ;
- l'espace du criblage fait de conflits et directions (les hypergenres sont
comme des "canaux" que l'uvre récuse ou emprunte).
La notion d'équilibre entre les Axes est hypothétique. Rien ne semble la produire longtemps, sauf à un niveau personnel lorsque l'écrivain n'a plus rien à dire ou ne voit rien à dire. Après tout, celui qui lit les uvres passées, ne devrait pas avoir besoin d'en créer d'autres. Or, non seulement il n'agit pas ainsi et écrit, mais de plus il réécrit des uvres déjà produites (imitations et allongements : cf. criblage). Cela prouve la sensibilité de cet espace interaxial dont l'équilibre est si infime qu'un rien l'ébranle et peut provoquer la tension dite.
A quoi correspond ce balayage final de l'Opus ?
Il est de plus en plus indifférencié. Processus d'entropie. Il n'est plus qu'une vague référence, un écho lointain. Ce qui demeure de lui, c'est ce qu'il a modifié du monde sans qu'on puisse lui attribuer une quelconque paternité de cela.
Il y a deux types de modifications :
a) matérielles : l'uvre a existé, il a fallu
fabriquer l'ouvrage, le distribuer, l'acheter, le détruire ; il a
nécessité du temps pour ceux qui l'ont lu, de la place pour
le ranger (pensons à ces piles abandonnées ; dans Le Petit
Chose d'A. Daudet, l'ouvrage sert à envelopper des faïences
dans une boutique).
b) morales : l'uvre a agi (même très modestement) sur les mentalités,
sur des comportements qu'elle a confirmées ; elle a permis d'alimenter
les "canaux" des hypergenres qu'elle a entretenus ; elle a pu
agir sur des consciences, les éveiller à ..., etc.
Certaines grandes oeuvres ont dû disparaître mais ces oeuvres majeures, aux carrefours essentiels des besoins humains (entre les 2 axes, il y a des "points" de cet ordre à admettre - plan de recherche à proposer) ont trouvé des remplaçants (une culture a besoin visiblement d'uvres étrangères traduites pour combler ces vides internes à sa créativité).
Enfin, nous pensons à ce lieu imaginaire inventé par Milton où toutes les créations vaines de l'homme vont : au-delà des convexités planétaires, sur l'orbe qui sépare les Ténèbres de la Lumière interne (celle du soleil éclairant les planètes). Ce lieu, sur "le dos du monde", d'abord désert, est pour l'heure envahi par ...
"all things vain, and who in vain things
built their fond hopes of glory or lasting fame,
or happiness in this or the other life." (Paradise Lost -III - 448-450).
Semblable aux Limbes (espace indifférencié) il est le"Paradis Insensé". Cela rend bien compte de l'influence minimisée d'une uvre, de ce balayage que nous décrivons.
Ne croyons pas cette entropie inévitable et facile ! L'oeuvre, quelque peu supérieure, a du mal à disparaître parce qu'il lui arrive d'être pris dans le mouvement d'une autre uvre courant à sa célébrité. Une oeuvre nouvelle a souvent besoin pour s'imposer (devenir célèbre) d'un parrainage ; elle entraîne dans son sillage des uvres antérieures dont elle montre l'éventuelle préoccupation similaire à ce qu'elle propose. L'uvre ancienne n'est pas captée (criblage), elle est utilisée comme élément d'une critique se formant (célébrité). Cette utilisation est l'équivalent d'une dernière (ultime) métamorphose.
Posons O l'oeuvre ancienne, O' l'oeuvre nouvelle. O s'indifférencie ; O' veut être célèbre. Il en résulte que O' est née d'une tension entre deux axes différents de ceux de O. O' entraîne O dans son sillage, fait converger son tracé au sien, l'infléchit. Cet infléchissement devenant convergence correspond à une récupération et à une certaine altération de O. Le destin de O devient celui de O'. O n'est plus compris qu'à travers O'.
Exemple : Nous prendrons un exemple mi-pictural mi-littéraire. L'uvre de Jérôme Bosch naît d'un conflit entre V et M où V< M ; cette uvre est oubliée et se dilue entre V-M après avoir eu sa célébrité et quelques imitateurs. Au XX°siècle, le surréalisme dont la naissance est à situer entre E et V (où E < V : le nom "sur-réel" l'indique bien)réemploie l'uvre de J. Bosch lorsque ce courant tend à être célèbre et tend à atteindre une valeur générale quasi-mythique (M).
L'oeuvre de J. Bosch est prise dans ce mouvement qui le renvoie au sein de la critique et du champ littéraire, devient "pré-surréaliste", l'expression antérieure du surréalisme. Une altération a lieu : l'"anti-réalisme" de J. Bosch sert ce "réalisme" nouveau.
2) Quelle définition ?
La "physique" du champ littéraire n'est habitée que par une seule irréversibilité : lorsque l'uvre est née, cela seul est irréversible. Dans les autres cas, l'uvre poursuit sa route mais demeure à chaque fois en sa place : ce qui a été célébré, peut à nouveau l'être ; ce qui a été imité, reste imitable ; ce qui a été perdu, peut être retrouvé. Et pourtant ce qui a eu lieu est irrévocable et l'esprit humain ne peut que difficilement le récupérer. De même toute prédictibilité paraît impossible : tout au plus des tracés nécessaires.
Peut-on postuler l'existence de phénomènes physiques comparables? Certes, cette référence peut sembler n'avoir servi que de propédeutique et de mise en valeur. Le renvoi à un support spatial d'une géométrie simple mais efficace, n'est pas innocent. Mais également on peut se demander si, comml'écrit R.Thom34, " les interactions sémantiques entre concepts (ne) sont (pas) les reflets, dans l'univers sémantique, des interactions physiques ou biologiques des êtres". C'est sur cette quasi-ressemblance qu'il faut parier, ici, pour comprendre la réalité des faits littéraires, appréhendés comme des phénomènes (surgissant et devenant).
Un traité n'est valable que par ce qu'il suggère. Il met en évidence une succession d'événements, des types de relations, une problématique globale. Les problèmes soulevés sont loin d'être tous résolus, ils sont cependant reposés à l'intérieur d'un autre cadre. Je ne sais si, dans tous les cas de figures, on obtiendra une confirmation exacte des propositions du traité. Cela est même incertain, mais toute correction apportée par les faits à un raisonnement, est de moindre importance que la collecte de faits jusque là inaperçus grâce au raisonnement.
Vers quelle définition de la littérature tend-on ? Toutes les tentatives pour la définir à partir de paramètres historiques, sociologiques, sémantiques (contenus, communiqués), génériques ou psychologiques ont trop à embrasser, afin d'éviter le dogmatisme, pour saisir la circulation générale qui affecte le domaine littéraire. Différents jugements de valeur interviennent dans leurs analyses, ne serait-ce que pour montrer que toutes les uvres n'ont pas la même importance et la même qualité - là où, de notre côté, nous demeurons encore bien silencieux. Mais cela nous paraît appartenir à une autre sphère de préoccupation, de même que notre traité imagine l'uvre dans un isolement tout théorique. Que faire de ces anciennes définitions où la littérature est un art de bien écrire et de bien juger, ce qui nous renvoie à des restes de philosophie cartésienne ? Ou des projets contemporains d'un art de comprendre et de changer le monde ? Ou d'être un témoignage, un reflet, une sublimation ? Ou de former un système et de se clore sur elle même ? Rien pour l'heure, si ce n'est de les identifier à l'intervention dans le champ d'une critique et d'un public..
Oublieux donc encore de la fonction et du contenu et des mécanismes de la Littérature, - qui occultent un processus plus abstrait -, nous avons une vision aspectuelle : différentes directions évacuant une énergie et régies par les contraintes propres à quatre régions (création : directions opposées ; diffusion : s'affrontant ; criblage : se divisant ; finalités : se désintégrant). Les apparences et les formes dépendent et naissent de ces lieux. Certains mouvements sont à complexifier, à mieux mesurer dans leur vitesse ; certaines relations à mieux cerner. Mais il y a aussi plus de dynamisme.
La littérature répond donc à l'agitation qui anime la réalité matérielle et à celle de notre esprit dont elle donne une image supplémentaire ni plus ni moins hasardeuse, déterminée, intelligible.
D. Annexe
Sur des genres oubliés
Des oeuvres ont eu suffisamment de gloire pour devenir Opus et provoquer autour d'elles des imitations, ce qui nous sert de définition d'un genre. Mais dans bien des cas, ce "jeu" littéraire s'est arrêté. La notion d'"intergenre" permet alors de trouver des équivalences qui rendent à ces genres oubliés une permanence structurale à défaut d'une continuité historique. On obtient d'étranges similitudes qui correspondent à des besoins que le champ littéraire satisfait en modifiant l'aspect et la tournure mais non l'esprit et la fonction. Sans faire une étude détaillée, nous viserons une application de notre méthode et les possibilités ainsi offertes.
a) Les Paradoxographies ou Recueils de Merveilles (cf. A. Gianni, Paradoxographorum Graecorum reliquiae, Milano, 1967) :
Faits étranges recueillis, fort en usage dans l'Antiquité hellénistique. On attribua à Aristote la rédaction d'un de ces ouvrages : "Au sujet des faits étonnants", ce qui donne à penser qu'en se réclamant de ce savant on fabriquait une justification et que l'on accordait à cet ouvrage le rôle d'Opus (uvre scientifique imaginaire) ou que l'on créait un horizon générique sur lesquels agir. On s'est servi du sérieux de l'Opus, on en a détaché ce qui pouvait surprendre, et on l'a mis au niveau du public. Il est évident que l'on est ni dans le même sens ni dans le sens opposé mais que l'on s'installe en l'Opus pour le réaffecter. Enfin, de se destiner à un public impose toujours que l'on prête, sans le dire, des connaissances, des habitudes de pensée, des goûts moraux, à ce public : stade de l'implicite (comme dans une fable ou une nouvelle, le lecteur est supposé s'intéresser, vouloir apprendre, apprécier une révélation, aimer le secret et être ainsi valorisé par ce qu'il découvre).
Hypergenre : destinateur.
Direction : "s'installer en" (réaffectation). Case : 19.
Intergenre : toute uvre de vulgarisation scientifique basé sur le spectaculaire.
b) Les " Débats de l'âme et du corps " (cf. Th. Batiouchkof in Romania 20, 1891, p. 1-65, 513-578) :Ce genre trouve son origine en Orient, chez les orthodoxes, vers le IVème s. et se développe jusqu'en Occident. L'âme se plaint du corps qui ne lui a pas obéi durant l'existence, et le corps se plaint de l'âme de ne pas l'avoir bien dirigé. Ce dialogue a lieu juste à l'instant de la mort.
L'Opus est la Vision de saint Paul, ou La Vision de saint Macaire (ou celle d'Alexandre l'ascète). Narrativité équilibrée de la légende (très proche du conte). L'Opus est disloqué pour devenir un hypergenre dramatique. Ces débats vont varier les arguments de l'un et de l'autre protagoniste là où l'Opus était un récit.
Hypergenre : opposant.
Direction : "même sens"; (on se situe dans la
perspective de l'Opus que l'on veut rendre plus efficace). Case 4 .
Intergenre : débats politiques (?) .
c) "Les Lettres édifiantes et curieuses" (cf. H. Veissière, Introduction aux Lettres édifiantes et curieuses, Paris, Garnier-Flammarion n°315, 1982):
Ce genre eut du succès au XVIIIème s. avec les lettres envoyées de Chine par les Jésuites, et celles inventées par Montesquieu (Les Lettres persanes). Conscience du relativisme culturel. Les Jésuites voulaient prouver la perfection des murs des chinois.
De là, de nombreuses imitations : Lettres chinoises (Le marquis d'Argebs) : L'Espion (Ange Goudar ; où un mandarin de fantaisie se nomme Cham-pi-pi) etc.
Hypergenre : destinateur (la lettre suppose un public voulant apprendre et partageant de tels centres d'intérêt).
Direction : " même sens". Case 1 .
Intergenre : ?
d)" L'Epyllion" (cf. E. Wolff, Recherches sur les epyllia de Dracontius, thèse, Paris, 1987) :
C'est une sorte d'épopée miniature dont le modèle est dans l'uvre du poète alexandrin Callimaque de Cyrène (IIIème s. av. J-C), narrant un épisode légendaire ou mythique ou tragique sous la forme d'un récit avec des personnages vivant et s'exprimant. Voir : La Prise de Troie (Triphiodore) ; L'Enlèvement d'Hélène (Colouthos) : Héro et Léandre (Musée) ; Orestis tragoedia (Dracontius) ; De concubitu Martis et Veneris (Reposianus) ; etc.
Il s'agit, en fait, d'un "retraitement" : une histoire connue sous une forme précise (légende, mythe, tragédie...) est réécrite sous une autre forme, celle-ci narrative.
Visiblement on se sert du succès d'une uvre. De plus on prête une grande attention à la psychologie (étude des sentiments, des passions, de l'amour) . L'hypergenre "sujet"se révèle là.
Hypergenre : sujet.
Direction : "même sens ". Case : 3.
Intergenre : films peplum ; roman supplétif .
e) "Les Stromates", "Cestes", et autres" Prairies" (cf. J. R. Vieillefond, Les Cestes de Julius Africanus, Paris, 1970, Publication de l'Institut de Florence) :
Il s'agit, à proprement parler, de "couvertures" ("stromates") et de "broderies" ("cestes"), c'est-à-dire de recueils de faits variés où l'on se promène comme en une prairie l'on cueillerait des fleurs. Clément d'Alexandrie, Aulu-Gelle, Julius Africanus, bien d'autres composèrent ces recueils (on a aussi comme titres " Violettes", "Prairies", "Lampes", "Salades de fruits"...) . L'époque fut le II-IIIèmè s. ap.J-C . On y trouve des recettes pour guérir, des talismans, des faits étranges, de la géométrie, de l'histoire... le tout sans suite. L'origine en est le goût pour l'allégorie qui fleurit dans la littérature d'Alexandrie d'origine juive (puis chrétienne) : tout est en rapport avec tout, sur un autre plan symbolique (signum stat pro aliquo). Origène, Philon, Clément furent les maîtres. Les "Prairies" suivent donc cette tendance (où science, magie, philosophie et religions se mêlent et sont vulgarisées). Art du coffret merveilleux.
Hypergenre : destinateur.
Direction : "s'installer en" (aménagement). Case : 13.
[ On ne cherche point à étonner comme dans les paradoxographies ni à bénéficier d'un succès comme dans les Lettres édifiantes, mais à montrer que la méthode allégorique, quelle que soit la variété du réel où elle s'applique, peut être universelle ; d'où cette visée de complétude qui "re-présente" les connaissances sous un autre jour et aménage des correspondances ].
Intergenre : à deux époques, dans deux civilisations différentes, on retrouve la même tendance : à Byzance avec, entre autres, Photius (Xème s.)dont le recensement de type bibliothécaire est de cet état d'esprit universaliste ; à Bagdad où le même goût encyclopédique mondain régnait au XIème s. (cf. A. Miquel, La Géographie humaine du monde musulman jusqu'au XIème s., Paris, Mouton, 1973, 2 vol.). Dans les deux cas, il y a des uvres où il fait bon se promener pour y glaner de quoi briller en société ou se distraire l'esprit dans la certitude d'un univers grandiose et harmonieux.
Survivances à notre époque dans les ouvrages "scientistes" pour la jeunesse (merveilles de l'univers révélées par la science, etc.)
f) "Les Centons" (latin : "cento" ou " habit rapiécé ") :
C'est peut-être le genre disparu qui dénonce le mieux l'horizon que représente un Opus puisqu'il s'est agi d'utiliser des morceaux de vers de Virgile et d'Homère pour composer une histoire racontant la vie du Christ et des passages de la Bible.
Application quasi injective : si E est égal aux vers de Virgile ou d'Homère et F la Bible ou l'Evangile, x1 est un élément de E (fragment de vers) qui, par l'application f , traduit y1 (élément de F). Tous les éléments de F (y1, y2, y 3,...) ne sont pas traduits ; certains restent libres. Mais on peut supposer que tous les éléments de E (x1, x2, x3)ou presque ont servi et qu'il a même fallu deux ou trois éléments de E pour traduire un élément de F. Que F soit plus vaste que E ou l'inverse n'a aucune influence sur le fait que la fragmentation de E est forcément plus forte que celle de F afin d'obtenir un choix plus ample et plus souple.
Cela ne suffit pas pour expliquer l'origine de ce genre. Il revient à Proba Falconia qui vécut à Rome vers le milieu du IVème s. d'en avoir conçu (la première ?) le dessein : 694 hexamètres composent son "Centon virgilien" (Poetae christiani minores - I -, Vienne, 1888, vol. XVI)et racontent l'histoire de la création, de la chute et du déluge et celle du Christ. Un certain Pomponius fit de même (Versus ad gratiam Domini). D'autres tentatives de mise en vers héroïques ou en hexamètres les récits bibliques sont d'un esprit proche et ont ici leur place (Cyprianus Gallus, Heptateuchos; Gaius Vettius Aquilinus Iuvencus , Evangeliorum libri; cf. Corpus scriptorum ecclesiasticorum latinorum, Mediolani, 1891)
Cet exercice lettré dut plaire puisqu'un siècle après, l'impératrice de Byzance, Eudocie Athénaïs (femme de Théodose II) qui vécut de 394 à 461 ap. J-C , reprend le flambeau et rend compte de la vie du Christ et de la Bible grâce aux vers d'Homère (De Christo Homérocentones, Ed. A. Ludwich, Leipzig, 1893).
Les critiques raillent souvent ces jongleries intellectuelles et verbales, après avoir recensé les emprunts à Virgile et Homère et repéré dans la Bible le passage correspondant. La déformation, il est vrai, est forte. Mais ce jeu est plus qu'un jeu et surprend par sa conception et par ce que cela traduit.
Soit l'Opus (Virgile - Homère) respecté, admiré, mais mis en concurrence vec des textes sacrés (Bible). Comment concilier cette admiration pour des uvres païennes écrites dans la forme la plus noble possible (la poésie) et la fidélité à une foi basée sur des récits écrits en langue prosaïque et familière (tels les Evangiles) ? Du conflit surgit le genre : il ne s'agit pas d'embellir le texte sacré ni de le modeler en des formes culturelles classiques mais de faire dire à Virgile et à Homère, à leur insu, la "Bonne Nouvelle". Ce serait comme la preuve que leurs vers peuvent mener à la Révélation. Pour cela, il y a dislocation du sens, et choix d'un nouveau destinataire (Virgile, Homère rendant hommage à Dieu ; leurs vers sont comme des formules sacrées pouvant servir d'eulogie, de prières).
Hypergenre : destinataire.
Direction : "s'installer en " (réaffectation). Case : 24.
Intergenre : certains exercices d'OULIPO.
g) "Les Héroïdes" ou Lettres en vers prétées à des héroïnes :
L'origine est l'uvre d'Ovide de même nom, quoiqu'on puisse supposer des exercices d'école visant à entraîner à la déclamation. Il s'agit de traduire en vers les passions de différentes héroïnes de l'Antiquité (Pénélope, Hélène, Médée, Phèdre...) sous forme de lettres qu'elles auraient pu écrire et qui permettent à Ovide de faire montre de sa virtuosité.
L'horizon générique fait bien ici figure d'Opus puisqu'Ovide s'adapte : si Pénélope écrit, le style rappelle l'Odyssée ; si c'est Hélène, Pâris, on aura l'Iliade ; si c'est Didon, l'Enéide ; si c'est Phèdre, Euripide...
Par rapport à ces uvres, on adopte de les englober dans une autre thématique (ici amoureuse)et de les compléter à cette fin d'aménagement (développement au profit des héroïnes). Variations sur les passions, les mouvements de l'âme, l'étude du caractère, tout cela évoque l'actant "sujet".
Hypergenre : Sujet.
Direction : "s'installer en" (aménagement). Case : 15.
Intergenre : le roman mathétique.
[La poésie d'Ovide est d'un "romanesque historique" (la versification ne suffit pas pour qu'il y ait poésie) et ce rapprochement a souvent été fait. Cela donne à ce genre des Héroïdes une nombreuse descendance (quand on donne la parole à un personnage historique et qu'on lui fait dire ou penser fictivement ce qu'il aurait pu dire ou penser - cf. Les Mémoires d'Hadrien de M. Yourcenar, et tant d'autres... -). Au XVIIIème s. la lettre en vers reprend quelque vigueur : cf. Blin de Sainmore, Héroïdes ou Lettres en vers, 1767 : Biblis y écrit à Caunus ; Jean Calas à sa femme ; Gabrielle d'Estrées à Henri IV ; Sapphô à Phaon etc.)]
Il faudrait encore bien des recherches pour s'assurer de la disparition ou de l'oubli de certains genres qui ont eu parfois leur heure de gloire. Mais l'intergenre dénonce une permanence remarquable et des rapprochements que l'on veut croire justifiés pour provenir d'un dispositif.
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